14 Fév Brésil : le renouveau de la littérature de Cordel
La littérature de Cordel, genre poétique populaire brésilien, connaît aujourd’hui un renouveau, oscillant entre préservation des traditions et adaptation aux nouvelles réalités numériques et pédagogiques. Longtemps suspendus à des cordes dans les marchés du Nordeste, les folhetos – ces livrets rythmés et illustrés par la xylogravure – se réinventent sous l’impulsion d’auteurs engagés et de nouvelles plateformes de diffusion.
Un héritage populaire ancré dans l’histoire brésilienne
D’origine portugaise, le Cordel s’implante au Brésil avec l’arrivée des colons, devenant un outil de domination culturelle avant d’être réapproprié par les poètes du sertão. Dès l’apparition des premières imprimeries dans le Nordeste, il se transforme en un puissant véhicule de mémoire et de transmission orale, relatant mythes, légendes et faits d’actualité. Son rôle éducatif s’affirme rapidement : d’outil d’alphabétisation, il devient également un instrument de contestation sociale, notamment durant la dictature, où il permet de contourner la censure.
Les repentistas, poètes de l’improvisation, sont les figures emblématiques de cet art. Lors des cantorias, véritables joutes oratoires, ils s’affrontent à la force de leurs rimes, popularisant ainsi le Cordel auprès des populations illettrées du Nordeste.
Une renaissance portée par de nouvelles voix
Aujourd’hui, des chercheurs et passionnés comme Sophie Foray contribuent à la diffusion et à la valorisation de cette tradition en France. Spécialiste des pratiques pédagogiques et interculturelles, elle découvre le Cordel lors d’un voyage au Brésil en 2022 et perçoit immédiatement son potentiel en tant qu’outil de résilience et de lutte contre les inégalités. Inspirée par cette forme poétique accessible, elle développe des projets éducatifs intégrant l’écriture et la publication de Cordels, tout en établissant des liens avec les traditions littéraires et orales françaises, notamment celles des troubadours occitans.
Cette résurgence est également marquée par une plus grande participation des femmes, qui investissent un domaine historiquement dominé par les hommes. Mari Bigio, poétesse et conteuse brésilienne, incarne cette nouvelle vague d’artistes qui modernisent le Cordel en l’adaptant aux enjeux contemporains. Son travail met en lumière la richesse de cette tradition, tout en y intégrant des thématiques féministes et éducatives. Grâce à des performances scéniques et des ateliers, elle contribue à démocratiser cet art auprès des jeunes générations.
Entre tradition et adaptation au numérique
Si les points de vente traditionnels du Cordel ont diminué, le genre se réinvente à travers les réseaux sociaux et le numérique. Les poètes contemporains diffusent désormais leurs textes et déclamations sur YouTube, Instagram et TikTok, atteignant un public plus large et plus jeune. Dans les écoles brésiliennes, des projets pédagogiques s’appuient sur le Cordel pour développer l’expression orale et écrite des élèves, tandis que des musiciens et dramaturges s’inspirent de ses vers pour enrichir leurs œuvres.
En parallèle, l’esthétique de la xylogravure, indissociable du Cordel, continue d’être un marqueur fort de cette identité culturelle. Ces illustrations naïves, aux traits épais et évocateurs, capturent l’essence du sertão, mettant en scène son imaginaire et ses traditions.
Un modèle d’innovation culturelle
Le renouveau du Cordel témoigne de la capacité des cultures populaires à se réinventer sans perdre leur essence. Grâce à des nouvelles figures et à l’adoption du numérique, il trouve une nouvelle place dans le paysage littéraire mondial, servant à la fois d’outil pédagogique, d’expression artistique et de résistance culturelle.
Dans un monde en quête de nouvelles formes de narration et d’inclusion sociale, la littérature de Cordel démontre que la tradition, loin d’être figée, peut être un moteur puissant d’innovation et de transmission.
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