08 Juil Pauline Picot : la poésie comme précipité chimique
Permettez-moi de palpiter, un titre qui claque comme une évidence. Sélectionnée pour le Prix Apollinaire Découverte 2025 et présente dans L’Année poétique de Jean-Yves Reuzeau chez Seghers, Pauline Picot compose sans calcul, avec des mots qui brûlent et qui pulsent. Elle ne cherche pas à séduire : elle dit ce qui doit l’être. Rencontre avec une poète qui ne retient rien et laisse surgir une parole, vive et nue.
Pauline Picot parle vite. Sa voix est claire, son débit sans détour, comme si chaque phrase devait naître avant de la brûler. « Je viens du théâtre », commence-t-elle, sans effet de manche. Ce n’est pas une coquetterie biographique. Ses premiers textes paraissent dès 2012 aux éditions Quartett. Rapidement, elle comprend que sa langue résiste aux formats attendus. « On me disait : tes pièces sont trop courtes pour tenir une soirée complète. J’essayais d’allonger, de créer des situations dramatiques plus longues, mais je perdais ma langue. »
Elle lâche prise. « J’ai compris que mon mouvement intérieur, c’est la brièveté. Ma langue est un précipité chimique. » Elle sait qu’elle n’écrira jamais pour combler le temps qui passe. Ce qu’elle cherche, ce n’est pas l’expansion, mais la condensation. Le choc, la fulgurance. Elle dit : « Je voulais aller encore plus loin dans cette brièveté, cette concentration, cette dimension de précipité. » Pourtant, même si elle s’oriente résolument vers la forme courte et la concision, elle n’a jamais cessé d’écrire pour les planches. « Bien sûr, je continue à écrire pour le théâtre. Je continue à travailler cette forme. »
Sa pièce Votre âme sœur est peut-être dans cette forêt, publiée en 2022 a été coup de cœur de plusieurs comités de lecture, mise en voix au Théâtre du Rond-Point en février 2023. Elle est actuellement mise en scène par une jeune compagnie professionnelle de Montpellier. Pauline vient aussi d’achever l’écriture d’une nouvelle pièce, Je pourrais compter tous mes os.
« La poésie met sur les jambes »
Pendant longtemps, elle appelle ses textes des « fragments ». Non par pudeur, mais parce qu’elle refuse un mot qui ne lui correspond pas encore. « Je n’appelais pas ça poésie. Je ne voyais simplement pas ce mot-là. » Puis, en 2017, paraît À l’heure qu’il sera, publié aux éditions Les Éclairs. Un texte dense, continu, écrit « comme un pacte d’amour grandissant dans un monde en ruine ». Finaliste du Prix René Leynaud et finaliste du prix Kotetishivili 2018, organisé par le Ministère de la Culture de Géorgie. Elle raconte : « On m’a dit que c’était de la poésie. Alors j’ai compris que j’écrivais de la poésie. Non parce que je l’avais décidé, mais parce que c’était un autre pays de langue. »
Depuis, elle écrit sans plan de carrière, sans stratégie littéraire. Parce que c’est vital. « J’écris pour ne pas vivre à côté de moi. » Sa poésie refuse la pose mélancolique. « Il y a de la douleur, mais la poésie met sur les jambes. » Pauline aime dire des choses légères avec gravité, ou l’inverse. « Plus on dit les choses légères avec gravité, plus c’est absurde et délicieux. »
Elle refuse la plainte sans issue, tout comme la solennité creuse.
« Je n’écris pas pour enjoliver le réel, ni pour l’accabler. »
Avec Permettez-moi de palpiter, publié chez Vroum, elle signe un livre qui porte son titre comme un drapeau : une langue qui pulse et se donne sans filtre. « Ce que je cherche, c’est la condensation. Pas la complétude. » Cette année, elle est finaliste du Prix Apollinaire Découverte, une distinction majeure pour un recueil poétique, et figure dans l’anthologie dirigée par Jean-Yves Reuzeau, aux côtés d’autres 118 voix fortes de la poésie contemporaine. Elle relativise ces reconnaissances. « Elles mettent surtout la maison d’édition et le livre en lumière. Elles prolongent sa vie en allant chercher de nouveaux lecteurs. Et ça, c’est précieux ».
Une poésie qui circule
Sur scène, elle lit debout, sans artifice ni mise en scène. Pour elle, c’est une « mise en voix », pas une performance. Pas de lecture solennelle, pas de posture spectaculaire. Son corps penche légèrement vers l’avant, son regard se perd au loin, sa voix reste posée. Elle lit pour transmettre, pas pour se montrer. Ses textes résonnent simplement, dans leur densité nue. Mais il lui arrive aussi d’explorer la performance en posant des mots qui frappent, qui touchent l’émotion, qu’ils soient plastiques ou physiques, souvent radicaux. Rien n’y est répété : c’est une poésie de l’instant. Chaque geste est unique, irréversible. « J’aime que chaque action soit un risque. »
Elle publie parfois sur les réseaux sociaux, sans stratégie de visibilité. Pour elle, ce sont des espaces de test, des laboratoires d’adresse. Elle raconte ce poème érotique inspiré de Louise Labé, qu’elle proposait à celles et ceux qui lui écrivaient avant 3h du matin. « Je voulais créer un rituel. Voir s’il y avait quelqu’un de l’autre côté. Pas pour valider. Pour jouer. »
Elle refuse l’étiquette de « poétesse d’Instagram », même si elle y poste. « J’ai des pulsions de création capricieuses. Il faut que je les satisfasse. » Son écriture n’a rien de décoratif. Elle vise l’instant, l’impact.
« Ce qui m’intéresse, c’est la faille que ça ouvre. »
Organique. Compacte. Ancrée.
Elle cite Antoine Mouton et Milène Tournier comme influences inspirantes mais refuse de les brandir comme des références obligées. Chez Antoine Mouton, elle admire cette capacité à « découvrir qu’on écrit de la poésie sans l’avoir décidé, sans l’avoir cherché ». Une écriture du déraillement, de l’évidence, qui la rassure sur la sienne : « Ça me conforte dans l’idée qu’écrire de la poésie n’est pas forcément un choix conscient. »
Quant à Milène Tournier, elle la décrit comme « une sorte de marraine poétique ». Elle suit son rythme quotidien, ses dizaines de textes postés en ligne comme un journal ouvert, sans pudeur. « Elle publie dix poèmes par jour. C’est comme une respiration continue. Elle se fiche des likes, elle se fiche d’être lue, elle écrit parce qu’elle doit écrire. Et ça, ça m’inspire profondément. Écrire parce qu’on n’a pas le choix. Écrire comme on respire. »
Quand on lui demande de définir sa poésie, elle hésite puis dit : « Organique. Compacte. Ancrée. » Pour elle, écrire n’est ni un projet littéraire, ni un métier, ni une posture. C’est une manière de continuer à palpiter. De rester traversée. D’habiter le réel sans s’y engourdir.
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Sept poissons dans la mer
Dix-neuf euros pour la fin du mois
Cents trois maisons en feu dans le paysage
Mais qu’il reste également
Huit mille combinaisons de nos corps
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Relativement ouvertes
Retrouvez Pauline
27 septembre
Centre d’Art LBO
Vernissage d’une installation issue de ma performance « Pleureuse, l’émissaire des lieux perdus »
28 septembre
Lyon – Biennale Hors Normes
Performance « La robe de mariée »
29 et 30 septembre
Montpellier – Théâtre La Vista
Présentation d’une étape de travail sur la mise en scène de mon texte Votre âme soeur est peut-être dans cette forêt par la compagnie Le Choix de la Joie.
4 octobre
Liège – Festival Les Ondes
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11 octobre
Montpellier – Festival XS
Performance
2 décembre
Chalon-sur-Saône – Café Gourmand
Mise en voix d’un montage de textes (poésie / théâtre)
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