22 Juil Vénus impudiques
Dans Vénus impudiques, Caroline Bouchoms livre un texte percutant, hybride et d’une sincérité rare, à mi-chemin entre le monologue théâtral, l’essai poétique et la radiographie existentielle. Publié comme une déclinaison papier de son « seul en scène » éponyme, ce recueil interroge avec subtilité, humour et gravité un tabou tenace : celui de ne pas vouloir d’enfant.
Dès les premières lignes, le décor est planté : le corps, ce terrain d’émotions, de conflits et de projections sociales, devient ici un champ de bataille intime, un laboratoire sensible. Ce n’est pas tant une confession qu’une enquête introspective aux accents pluriels. En vingt et un « pliages » – comme autant d’origamis de soi – l’autrice convoque la mémoire, les voix de femmes, la musique, la mythologie, la physique quantique, et même les cosmogonies anciennes pour dérouler un fil délicat mais ferme : celui d’une réappropriation.
Un texte chorégraphique, entre chair et cosmos
Bouchoms écrit comme elle joue : avec tout son corps. Chaque mot est en mouvement, chaque paragraphe semble respirer, danser, suspendre le temps. Sa prose est tantôt charnelle, tantôt éthérée. Elle part de l’intime – un retard de règles – pour embrasser l’universel : et si l’on flottait tous, comme des œufs dans le ventre de l’univers ? Ce décentrement poétique vient contrecarrer l’angoisse première et replace la question de la maternité dans une perspective vertigineusement humaine.
Le ton, résolument moderne, passe sans transition de l’ironie à la métaphysique. Il y a du Nancy Huston dans cette démarche, mais avec une voix propre, plus espiègle, plus libre, moins académique.
Le corps des femmes, ce champ de forces
Vénus impudiques donne à entendre d’autres femmes, ces voix glanées par dictaphone, confidentes anonymes devenues complices. Leurs définitions du corps – « outil de travail sacré », « impermanence », « temple », etc. – forment un chœur hétéroclite et puissant. Chacune vient enrichir le récit de Bouchoms sans jamais l’effacer. À leur suite, l’autrice livre la sienne, dans une page d’une intensité rare, où la douleur devient presque mystique, le corps une grotte vivante, un abri fragile.
Là réside sans doute la force du livre : dans sa capacité à faire dialoguer les vécus sans hiérarchie, à détricoter les injonctions sociales en les mettant à nu, à créer un espace de pensée libre, doux, mais résolument politique.
Un objet littéraire sonore
La lecture du recueil se fait en écho avec un univers sonore conçu comme une bande originale de l’intime. À la manière d’une respiration musicale, les silences, les notes et les souvenirs s’articulent avec le texte dans une temporalité fluide. Cette dimension acoustique, inédite dans le champ littéraire traditionnel, renforce la sensation d’immersion et souligne la nature performative du projet.
En choisissant d’écrire contre le courant, Caroline Bouchoms ne cherche pas à convaincre, mais à dire. À poser une parole rare, à lui donner un écrin, à en faire une œuvre. Vénus impudiques n’est ni un manifeste ni un réquisitoire : c’est un geste. Un acte d’insoumission douce et poétique face aux visions dichotomiques du monde, face aux verdicts sociaux sur ce que devrait être une femme, une vie, un choix.
Ce texte questionne, apaise parfois, dérange souvent – et c’est tant mieux. Il fallait du courage pour l’écrire. Il en faudra aussi pour l’entendre.
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