Félix Radu : la force de l’authenticité

Photo : © DR - Valentine Magendie

Levez les yeux au ciel, une étoile dansante vient de filer. La voyez-vous semer au vent les escarbilles d’un feu sacré ? Parti du plat pays qui est le sien, Félix Radu, jeune poète aux talents pluriels, a franchi la frontière pour fouler la terre de Molière, les ailes aux talons, les songes en bandoulière.

Avec une plume à la fois sensible et ciselée, il touche en plein cœur, avec la grâce et la force de l’authenticité.

Rencontre avec un incurable rêveur, un amoureux de l’amour et un pourfendeur du temps, qui, pour ne pas en subir les affres, en orchestre la musique à contretemps.

Un décor et une esperluette

16h01 – Ils se sont rencontrés dans un café qu’il avait suggéré, chez Paul & Julienne.

Un nom qui résonne comme un écho à Rose & Massimo, sa première pièce de théâtre. Une histoire d’amour romanesque et poétique, intemporelle, comme peu osent encore en écrire, peut-être en raison de la peur infondée d’être désuets.

– Alfred, William ! Bonne nouvelle ! Les amants de Cornouailles ont encore de beaux jours devant eux !

Mais l’histoire de l’histoire est, vous le verrez, encore plus belle, puisque c’est celle d’un serment auquel l’auteur a été fidèle.

Il y a aussi l’esperluette qui mérite probablement notre attention. Il est vrai qu’il se loge dans cette conjonction calligraphique une immense poésie. Fil, mais pas à la patte, entre deux mots ou deux êtres, elle semble à la fois lien d’éternité infrangible et ouverture sur une promesse d’un « encore » et d’un « après ».

En tout cas, la rencontre, sous quelque habit qu’elle se présente, semble être un sujet cher au poète wallon.

Mais ne nous égarons pas, même si c’est déjà fait…

Je m’étais faufilée dans un coin, tentant, tant bien que mal, de me soustraire à la fanfare de fourchettes ainsi qu’au ballet bavard des garçons de café.

Il m’attendait déjà dehors, en terrasse. Nous nous étions loupés.

Le décor « salon de thé » et les bribes de conversations éparses donnaient à l’atmosphère un style Ionesco. « Absurde mais charmant » comme dirait Félix.  Une cantatrice chauve aurait pu entrer en scène que personne n’aurait sourcillé.

– « Un chocolat chaud ! » – « Avec des glaçons ? » – « Non avec de la purée ! » – « Garçon, l’addition ! » – « Pas trop salé le pavé s’il vous plaît. »

J’attends mon citron pressé (pour changer) et pourquoi pas un dessert, puis non, du salé.

– Une assiette de frites s’il vous plaît !

Félix entre alors en scène, pour de vrai. Son regard ingénu et timide semble demander pardon pour sa délicatesse. Sa parole, quant à elle agile et impétueuse, trahit la sagesse de ceux qui parviennent à dompter, sans pour autant les cacher, leurs débordements intérieurs.

Amusé face à ma montagne, que dis-je, un mont-blanc mordoré, une pyramide de patates sacrées, je lui lance :

– J’espère que tu aimes les frites !
– Évidemment, je suis belge !

L’interview glisse au fil de ses chocolats chauds. J’ai peut-être rencontré un personnage de roman, je ne sais plus très bien, mes souvenirs sont flous et cotonneux. Mais s’il existe vraiment, l’humanité a encore de quoi espérer car un être d’une rare sensibilité a eu le courage d’exister.

L’albatros

« Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »

L’Albatros, Charles Baudelaire

Cliquetis de projecteur. La bobine déroule son fil de mémoire à Ciney, en Belgique.  Qu’il est dur de survivre quand on est un albatros qui s’ignore encore. « Mal-aimé de la cour de récré », Félix porte une manière d’exister qui dérange, qui heurte ses camarades. Le hors-champs est un cadre duquel il n’est apparemment pas bon de s’évader. Sa vie se colore alors du bleu des coups qu’il reçoit régulièrement et se mure dans le silence d’un déni professoral, voire d’une omerta.

Pourtant, pour le jeune Félix, la cour de récré ne devrait être qu’un prétexte à épopée et à rires éclatés. Un marronnier devrait être une nouvelle contrée à explorer, les lignes de marelle les frontières d’une forteresse dont il faudrait s’évader et un ballon de football, pourquoi pas, une météorite semant la panique, comme un arbitre au milieu d’une mêlée de micro-raptors médusés.  Ambiance Le Petit Nicolas assurée.

Heureusement, le délire est bien meilleur lorsqu’il est partagé. Avec trois autres « rejetés », il forme une bande de « bizarres », qui font de leurs tares, des super-pouvoirs.

Les 4 fantastiques dévorent ainsi le temps récréatif à coups de défis, d’expérimentations et d’explorations de l’imaginaire.

Face à des enfants plus mesurés, ils détonnent. Le contraste peut en effet être saisissant. D’un côté des « presque adultes » aux rêves engoncés (mais à qui la faute) ; de l’autre un Félix qui fait le poirier pour vérifier s’il peut avaler son soda à l’envers, pour qui la cour devient court de tennis ou qui, pantalon baissé, vérifie les lois de gravité et de célérité dans des courses effrénées, juste pour voir s’il peut courir aussi vite qu’un camarade froqué.  J’ai envie de dire, vive les « sans-culotte » !

Félix commence très tôt à noircir des pages de poèmes et à tenir son propre blog. Là où les amis se font rares dans la cour de récré, les correspondantes se multiplient sur la toile et lui offrent une portion de confiance salutaire.  « Je m’étais convaincu que j’étais aimable de loin » me confie-t-il. La distance lui offre ce luxe : le temps de raturer, de reprendre ses maladresses, pour finalement livrer l’essentiel, une poésie qui n’est rien d’autre qu’« un parfum de soi-même ».

Sa mère aussi est là, elle veille au grain. Il lui rendra hommage dans une chanson qui attendrit le cœur, même les plus fermés. Enfant qui a fait semblant de grandir, elle lui enseigne la folie et les pleurs en sourire. Elle l’emmène régulièrement au théâtre, comme une douceur ritualisée, comme un chocolat chaud qu’on boit sur une neige cristallisée. Il est bouleversé sans le savoir par Cyrano de Bergerac ou par des auteurs plus contemporains comme Bruno Coppens (un contorsionniste de la langue, comme Devos), Brel, Brassens, Ferré…

Un jour, elle lui offre Les contemplations, de Victor Hugo et, sans le soupçonner, une première clé d’accès à un futur étoilé. Il a à peu près 12 ans et découvre que « poète peut être un métier ».

Levée de rideau

« Tu vas devenir un homme, un vrai ! »

Toute traversée du désert finit un jour, dans un oasis, par s’achever. Après des années de perdition scolaire, le père de Félix le déménage à Namur. Convaincu par l’aura des internats – ces royaumes de rigueur qui façonnent les caractères à coups de règle sur les doigts – il l’inscrit à l’I.A.T.A (Institut d’enseignement des Arts Techniques Science et Artisanat).

Il voulait bien faire. Il ne pouvait pas mieux faire.

En bon partisan de l’utile et devant l’obstination de son fils d’embrasser la carrière d’artiste, il l’oriente vers la section Architecture : quitte à faire de l’art, ce sera au service du fonctionnel. Mais il ignore qu’en Félix bat le cœur d’un Chevalier qui porte en étendard la devise de Cyrano : « c’est bien plus beau quand c’est inutile »

Félix se retrouve dans la même chambre que le « bad boy » de l’internat, un Danny Zuko « classe mais un peu effrayant quand même », plus sensible qu’il ne le laisse paraître. Tant que Félix « range la chambre », il ne lui cause pas de souci et bénéficie en retour d’une sorte de « totem d’immunité », d’un laissez-passer tacite.

Chat échaudé, il esquive au début les mains tendues des autres camarades pour le saluer. Progressivement, il découvre avec bonheur « que les rapports sociaux peuvent être en dehors de la violence » et que l’art, quelle que soit son expression, adoucit réellement les mœurs.  

Un grand virage s’amorce  : Félix découvre les jeunes de l’option théâtre. Subjugué, il en tombe « fou amoureux ». Ils sont beaux, drôles, charmants et leur intelligence possède la finesse des esprits éveillés. Il veut s’imprégner de leur monde, en capturer chaque parcelle, avec une gourmandise qui frise la boulimie.  Il vit par procuration leurs émotions théâtrales : découvertes des textes, répétitions, scènes, tout devient matière à rêver.

Un univers qui aiguise l’imaginaire se déploie à nouveau, mais cette fois, il n’attise ni rejet ni incompréhension. Bien au contraire : les jeux reprennent, on se filme dans les couloirs, on s’amuse, on crée.

Il finit par s’inscrire lui-même au cours d’arts de la parole et c’est le début de l’envolée. Les parents sont convoqués et pour la première fois, on lui tresse des lauriers.

L’envol

« Ma sensibilité n’était plus un défaut mais au contraire une qualité. »

Un jour, lors d’un examen de théâtre, Félix interprète l’un de ses textes. Une démarche bien accueillie et valorisée tant par la professeure que par ses camarades. Cette initiative devient une habitude puis un poste d’écrivain attitré : on sollicite son aide et ses conseils avisés. Porté par l’envie de voir ses mots franchir les murs de l’école, il s’inscrit à concours d’humour. Il ajuste ses poèmes, les habille d’une verve ciselée. Les mots jonglent avec virtuosité entre absurde et double sens, non-sens et traits d’esprit affutés. Un digne héritier de Raymond Devos. De fil en aiguille les sketchs deviennent spectacle, lequel sera grandement ovationné.

« Ce seul-en-scène était une pièce inavouée. »

Félix raconte comment l’humour, bien que n’étant pas son ambition première, a servi de porte d’entrée vers la scène. Avant qu’il ne retourne au théâtre, sa réelle passion.

À 20 ans il part à Paris, s’inscrit aux cours Florent et rencontre Clémentine, une comédienne qui devient son premier grand amour, et une flamme derrière ses mots.

Pour lui offrir un rôle à sa mesure, il écrit une pièce, Rose & Massimo, fruit d’un amour ardent même si candide : « on était trop jeunes pour savoir s’aimer ». L’histoire s’achève mais la promesse de publier la pièce puis la montrer tient. Une parole respectée et une dédicace, 7 ans après : « cette pièce t’appartient car c’est dans tes yeux que je l’ai trouvée ».

Le temps d’une suspension

« Tes sourires discutent avec mes silences, je les sens trembler dans ma voix. Pas longtemps enfin, je veux dire quelques secondes, mais en amour c’est bien suffisant pour mourir une bonne centaine de fois (…)

En fait, tu réinventes le printemps à chacun de tes baisers. Tu m’embrasses et je n’entends plus ni les gens, ni le jazz, ni le garçon de café. C’est comme si je tombais dans une autre réalité et cet instant-là, il dure l’infini + 3 ».

Extrait de L’amour le temps d’un café, chronique écrite par Félix pour la RTBF.

Infini + 3, le prochain album de Félix (talents pluriels donc) est né d’une chronique. Par le hasard complice et les belles rencontres de la vie, ce texte s’est mué en véritable aventure musicale.

Pourquoi Infini + 3 ? parce qu’il raconte la suspension magique où s’installe l’éternité d’un instant amoureux. Quand les frontières de la réalité se brouillent, et que l’esprit vacille et qu’un cœur qui s’emballe de passion touche l’infini… et même un peu plus. Délicieux vertige de l’absurde.

Puis c’est l’histoire d’une mathématique amoureuse, d’une équation sentimentale. Le 8 de l’infini +3 = 11 = toi et moi. Ou bien encore le troisième temps d’une valse de Jacques Brel où « il y a toi, y’a l’amour et y’a moi ».

Je vous ai perdus ? tant mieux, l’amour n’a jamais aimé les lignes droites.

Puis vient le retour à la réalité et une projection dans un futur souhaité. Lorsque je lui demande ce qu’il aimerait qu’on retienne de lui, Félix – qui enfant craignait l’oubli et qui à l’école, lorsqu’on l’interrogeait sur ses modèles, répondait : Jésus, Jules César et Napoléon (voyez-y moins une vanité qu’un désir ardent de vivre grand et marquer son temps) se dit aujourd’hui apaisé.

Être une étoile filante ne l’effraie plus, pourvu que les escarbilles de son sillage entretiennent le feu sacré de l’humanité.

Nous nous quittons, je lance une dernière question, comme une ultime balle au bond :

– Que te souhaiter pour l’avenir ?

 – « Des rêves et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns. » (Jacques Brel).

Félix Radu 

Une trajectoire stellaire entre scène, plume et musique

Originaire de Namur, Félix Radu se passionne très tôt pour la littérature et les mots. À seulement 16 ans, il reçoit le prix Raymond Devos de l’humour pour son premier seul-en-scène. Quatre ans plus tard il quitte la Belgique pour Paris et intègre la prestigieuse Classe Libre des Cours Florent. C’est à cette période qu’il écrit Rose & Massimo pièce publiée chez Fayard en 2023, avec une préface d’Alexis Michalik.

Son spectacle Les mots s’improsent, mis en scène par Julien Alluguette, tourne en Belgique, France et Suisse jusqu’en 2023. Parallèlement, il s’impose comme chroniqueur à la RTBF (Matin Première), où ses textes deviennent viraux, puis collabore avec France Télévisions pour créer Félix Délire, grand succès de la plateforme éducative Lumni.

Plus récemment, Félix s’est tourné vers la musique. Après plusieurs singles, il sortira son premier album Infini + 3 le 26 septembre 2025, un objet musical à la croisée du slam, du lo-fi et de la chanson française. Passant avec aisance de la prose aux vers, du parler au chanter, il rappelle qu’en amour comme en art, peu importent la forme, la durée ou la manière : ce qui compte, au fond, c’est d’être vrai.

À lire…

Rose et Massimo

Rose et Massimo est une œuvre singulière, portée par la plume poétique et la sensibilité de Félix Radu. C’est un conte moderne qui assume son lyrisme, où l’amour, la fragilité et l’espérance se donnent rendez-vous. Si vous aimez les histoires romantiques, les mots ciselés et le charme du théâtre qui fait rêver, cette pièce est une belle invitation à renouer avec la puissance simple et intemporelle des sentiments.

« C’est du théâtre qui se lit, qu’on se surprend à relire, parfois, car la phrase est jolie, car il est bon de redécouvrir cette langue romantique, et lorsqu’elle est maniée avec autant de dextérité, on se dit qu’un auteur est né. » Alexis Michalik

20h33 · Félix Radu

Ma mère · Félix Radu 

(Clip officiel)

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