03 Nov Quand la douane s’habille en vers
Pour son cinquantenaire, l’Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes (AHAD) met en ligne une anthologie inattendue : cinquante poèmes écrits entre 1820 et 2025, célébrant la rencontre singulière entre service public et création littéraire. L’ensemble est, pour l’instant, accessible uniquement sur le site de l’AHAD ; une édition papier est annoncée prochainement.
Le 1ᵉʳ janvier 2022, l’AHAD ouvrait sur son site un espace « douane littéraire ». L’initiative, modeste à ses débuts, prolongeait une histoire ancienne : dès 1955, les publications internes de l’administration — notamment le Journal de la formation professionnelle — accueillaient déjà des textes inspirés par le métier. Aujourd’hui, ce fil se noue dans une anthologie en ligne : cinquante poèmes, cinquante bougies pour un demi-siècle d’une association qui s’attache à faire vivre la mémoire d’une institution pas comme les autres. L’AHAD précise qu’une version imprimée suivra sous forme de brochure.
La poésie au guichet
À première vue, rien ne rapproche la poésie et la douane. Les textes rassemblés démontrent l’inverse : la frontière devient motif, la ronde un rythme, le registre un carnet de terrain. Les « douaniers poètes » racontent l’aube au poste, la mer qui change de visage, la fraternité des brigades et les gestes précis d’un métier d’attention.
Cette collecte a mobilisé lecteurs, chercheurs et auteurs. Des pièces anciennes ont été retrouvées dans les archives du Musée national des Douanes ou sur Gallica ; d’autres ont été confiées par des plumes d’aujourd’hui. Parmi elles, Francis Carpentier, Claude Huyghe, Cécile Masquelet, Jacques Premel-Cabic, Jean-Claude Tardif et Kévin Mills, maître d’œuvre du projet.
De Chaucer à Melville, une généalogie inattendue
La douane croise la littérature depuis longtemps. Geoffrey Chaucer, au XIVᵉ siècle, fut contrôleur des taxes au port de Londres. Plus tard, Herman Melville, à New York, servit à la douane tout en écrivant des milliers de vers, longtemps restés dans l’ombre. La lignée se prolonge en France : Charles-Alfred Barthélémy signe Douanilaria en 1900 ; Jules-François Agostini publie Les Debouts en 1902 ; Francis Carpentier, en 2018, rassemble Douanes, plongée contemporaine dans le quotidien du corps.
L’anthologie ne juxtapose pas des curiosités ; elle trace une continuité. Elle s’ouvre sur un procès-verbal versifié de Jean-Antoine Trimolet (1820) et se clôt — provisoirement — en 2025. Entre ces bornes, un paysage se dessine : la frontière comme scène, le vent comme interlocuteur, la patrouille comme mesure. Certains textes sonnent comme des professions de foi ; d’autres interrogent la loyauté, l’usure, l’attente.
La question posée jadis par René Rémond — qu’est-ce qui attache si vite et si durablement à cette institution ? — trouve ici une piste : la douane oblige à voir, à consigner, à peser les mots. Cette discipline du réel nourrit une écriture de précision.
Une littérature de l’attention
Francis Carpentier résume bien le lien entre prose administrative et poésie : rédiger un sonnet ou un procès-verbal, dit-il, relève d’un même geste — choisir l’outil pour dire au plus juste, tantôt l’émotion, tantôt le fait. De là naît une « littérature de l’attention » où le regard professionnel se mue en regard poétique.
En mettant en ligne ce florilège — et en annonçant une version papier à venir — l’AHAD fait plus que célébrer un anniversaire : elle propose une autre cartographie du métier, où l’uniforme dialogue avec la plume. À la frontière du réel et de l’imaginaire, ces cinquante poèmes rappellent qu’un service public peut aussi être un territoire de littérature.
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