La chair équivoque

Photo : © Patrick Grin
La chair équivoque 
Nadège Cheref – Illustrations : Jean-Claude Hérissant – Tarmac éditions

Avec La chair équivoque, paru chez Tarmac, Nadège Cheref livre un recueil bref, acéré et vibrant. Un texte de rupture, oui, mais traité comme un laboratoire sensible où se confrontent désir, lucidité et survie. Une poésie qui ne s’apitoie pas : elle analyse, tranche et avance.

Une exploration de la rupture

Si l’amour est « substance indécise », Cheref en observe les altérations comme on suit un phénomène naturel : variations brusques, secousses, retours d’ondes. La rupture n’est jamais dramatisée ; elle est envisagée comme un point de bascule. Le « je » lyrique refuse les larmes faciles et préfère interroger ce qui résiste encore quand tout se dérobe.

Pas de plainte, pas d’ornements : les poèmes frappent court, avec une tension constante entre le corps, la pensée et ce qui les déborde. Chaque texte semble chercher le point exact où la sensation devient langage.

Nadège Cheref travaille une langue nerveuse, qui mobilise le paysage autant que les émotions. La nature n’est pas métaphore mais présence stabilisatrice : racines, vent, aube, pierres… Autant de repères qui permettent au texte de rester ancré et d’éviter l’abstraction.

La vie et la mort cohabitent sans emphase : ce sont deux forces en tension que la poétesse observe avec un calme presque clinique. Une phrase, souvent, suffit à déplacer le centre de gravité.

Des images qui réfléchissent le trouble

Les peintures de Jean-Claude Hérissant ne surplombent pas le texte : elles dialoguent avec lui. Couleurs diluées, effets de transparence, silhouettes affleurant — elles prolongent la méthode du recueil : suggérer plutôt que décrire, ouvrir plutôt que conclure.

Ce choix visuel renforce la cohérence de l’ensemble : une poésie de l’oscillation, du glissement, de l’instant où quelque chose bascule sans prévenir.

Une écriture libre

Cheref revendique une liberté formelle venue de certaines voix américaines : vers courts, ruptures internes, attention au rythme plus qu’à la structure classique. Cette liberté  permet à la langue d’épouser la matière émotionnelle sans la figer.

Le résultat est un texte vif, mobile, qui refuse l’espace clos de la lamentation pour lui préférer une dynamique de reconstruction — même fragile, même imparfaite.

L’intérêt de La chair équivoque réside dans ce déplacement : il ne s’agit pas de raconter une rupture, mais de comprendre comment on traverse. La poétesse ne s’abandonne pas au désespoir ; elle décortique les forces à l’œuvre. Elle s’appuie sur la nature, sur la nuit, sur l’aube. Sur le langage surtout, qui devient outil de maintien et non refuge.

Le livre se referme sur une impression de vitalité plus que de manque. Le cœur n’est pas apaisé, mais il continue — et c’est cela que la poésie met en scène.

Avec La chair équivoque, Nadège Cheref propose un recueil resserré, exigeant, qui renouvelle la poésie de la rupture en lui insufflant une énergie analytique et une forte présence physique. Le texte cherche la justesse des sensations et la netteté des images. Une œuvre concise portée par une voix en pleine affirmation.

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