
06 Juin Elle, Ulysse – Un retour
Elle, Ulysse
Un retour
Denise Desautels – Illustrations Stéphanie Béliveau – Éditions du Noroît

C’est ce qu’elle a cru – la mère.
Ce qu’elle a eu tort de croire.
Ce qui a fait exploser fiel et sarcasme dans le couloir exigu d’où ont surgi les récits d’Ulysse.
Et au bout du compte
tant le torrent de sa honte
que son affliction de fille
condamnée à l’inapaisement.
Alors qu’il y aurait tant – une fois de plus – à faire
éclater.
À adoucir.
À adoucir surtout.
(Elle, Ulysse, extrait)
Certains ouvrages redessinent le champ poétique. Elle, Ulysse, dernier recueil de Denise Desautels, fait partie de ceux-là. Cette œuvre singulière, marquée par la voix puissante d’une grande dame de la poésie québécoise, est une traversée du mythe, du deuil et de la création au féminin.
Ulysse au féminin, réécrire le mythe
Derrière ce titre intrigant, c’est une figure inversée d’Ulysse qui prend vie : une fille d’Ulysse et de Pénélope, née d’une mère veuve et tyrannique. Cette héroïne sans nom se fraie un chemin entre douleur et survivance. Au fil des pages, la narration initiale glisse lentement vers une poésie fragmentée, lyrique, introspective — signature reconnaissable de Desautels. Et à ses côtés, les œuvres de Stéphanie Béliveau ne sont pas de simples illustrations. Elles participent du récit, le prolongent, le hantent. Dessins, installations, gestes d’encre et de matière viennent étoffer ce paysage textuel de façon organique.
Denise Desautels, poète majeure née à Montréal en 1945, n’en est pas à son coup d’essai : plus de quarante ouvrages à son actif, des prix prestigieux dont celui du Gouverneur général du Canada et le prix Athanase-David, et des distinctions telles que l’Ordre du Canada et l’Ordre national du Québec. Dans Elle, Ulysse, elle signe une œuvre habitée par la fidélité à sa démarche : celle de scruter les zones grises de l’existence, de faire du manque et du silence des territoires d’écriture.
Face à elle, Stéphanie Béliveau — artiste visuelle née à Québec en 1966 — apporte son propre langage : celui d’un art brut, sensible, viscéral. Reconnue pour ses installations et dessins chargés d’émotion, elle explore les thèmes de la mort, de la solitude, de la souffrance avec une intensité rare. Son œuvre est présente dans les collections du Musée des beaux-arts de Montréal et du Musée national des beaux-arts du Québec, entre autres.
La rencontre entre ces deux créatrices n’a rien d’un hasard. C’est une amitié, un lien d’estime réciproque, mais aussi une affinité esthétique profonde. Dans ce recueil, leur dialogue devient symbiose. La poésie de Desautels n’illustre pas les images de Béliveau ; elle les absorbe. Inversement, les œuvres de Béliveau répondent aux mots par leur propre gravité. Ensemble, elles donnent naissance à un livre total, à la fois chant funèbre et geste de réconciliation.
Elle, Ulysse est un texte exigeant, à lire lentement, à relire souvent. C’est un livre qui veille, qui murmure, qui résiste. Un livre qui ose féminiser le mythe pour en extraire une vérité plus intime, plus troublante : celle d’un monde en ruine où l’on cherche encore à aimer, à écrire, à se tenir debout.
À lire, sans réserve.
Car il est des œuvres qui font plus que dire : elles transfigurent.
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