Saint-John Perse, le poète qui parlait au vent

Photo : © CC - Gisèle Freund

Cinquante ans après sa mort, le poète et diplomate guadeloupéen Alexis Leger — alias Saint-John Perse — revient par les chemins du vent et du verbe. En 2025, colloques, expositions et rééditions ont réactivé une œuvre qui refuse la poussière des commémorations. Plus qu’un souvenir, une respiration.

Un nom venu du large

Saint-John Perse. Rien que le nom évoque le voyage.
Un nom d’emprunt, choisi par Alexis Leger, né à Pointe-à-Pitre en 1887. L’enfant grandit entre les plantations familiales, la houle et la rumeur des marchés. Tout semble déjà là : la lumière, la violence du vent, le sentiment d’être à la fois enraciné et en partance.
En 1899, la famille quitte la Guadeloupe pour Pau, dans le Sud-Ouest. Le jeune Leger découvre une autre langue, un autre ciel. Cet arrachement précoce devient le premier motif de son écriture. Ses futurs vers garderont la mémoire de ce double horizon : le rivage natal et l’exil nécessaire.

À vingt-sept ans, il entre au ministère des Affaires étrangères. Pékin, Washington, Paris : il gravit les échelons, jusqu’à devenir secrétaire général du Quai d’Orsay.
Mais la politique n’éteint pas la poésie ; elle la nourrit. Dans les salons de la diplomatie, il observe la scène du monde avec la même acuité qu’un poète face à la mer.

Puis 1940. La guerre, l’exil, la rupture. Le régime de Vichy le destitue, lui retire sa nationalité. Leger part pour les États-Unis, seul, sans patrie officielle. C’est là, dans la solitude, que Saint-John Perse prend toute sa voix. Exil, Vents, Amers : trois livres d’après la tempête, trois respirations d’un même souffle.

Sa poésie devient une manière de tenir debout. Elle dit le déplacement, la perte, la grandeur d’un monde que la guerre a brisé. Elle parle du vent parce qu’il emporte tout, mais qu’il ramène aussi le vivant.

Le poème comme espace du monde

Lire Saint-John Perse, c’est entrer dans une langue sans rivage. Pas de ponctuation serrée, pas de strophe sage : le verset s’étire, ondule, respire.
Les mots se succèdent comme les vagues, portés par une syntaxe ample, sans emphase.

Dans Vents (1946), le poète écoute les rafales du monde moderne, entre chaos et recommencement. Dans Amers (1957), il fait de la mer une métaphore du destin, du temps et de l’espoir. Rien d’anecdotique : chaque poème est un territoire, un climat, une traversée.
On ne lit pas Perse, on voyage avec lui

Le Nobel et l’après

En 1960, le prix Nobel de littérature consacre « l’essor de son inspiration et la force d’évocation de sa poésie ». Un diplomate devenu poète universel : la trajectoire a quelque chose d’unique.
Installé sur la presqu’île de Giens, il consacre ses dernières années à la relecture de ses manuscrits et à la création de la Fondation Saint-John Perse à Aix-en-Provence. Là, dans cette lumière de Méditerranée, il retrouve quelque chose du ciel des îles : la même clarté, le même silence.

Il meurt le 20 septembre 1975, à 88 ans, laissant derrière lui une œuvre exigeante, mais traversée d’une vitalité qui ne vieillit pas

Un demi-siècle plus tard, 2025 remet Perse sur la carte. En Guadeloupe, le musée qui porte son nom a rassemblé artistes, lecteurs, chercheurs. À Aix-en-Provence, la Fondation expose ses manuscrits et ses carnets de route. Et un livre collectif, Saint-John Perse 1975-2025. Priorité à la poésie (Honoré Champion), dirigé par Henriette Levillain et Catherine Mayaux, relance le dialogue entre générations.

Ce qui frappe, dans ces initiatives, c’est l’absence de dévotion figée. Personne ne parle d’un “grand homme” ; on relit un poète qui a su faire de la langue une manière de comprendre le monde.

Dans une époque où tout circule, où l’on cherche à nouveau des points d’ancrage, Perse revient à propos.
Sa poésie n’explique rien : elle montre. Elle traverse les éléments pour rappeler que l’homme n’est pas au centre, mais au milieu — du vent, de la mer, du temps.

Chez lui, l’écriture devient une géographie : une manière d’habiter l’espace et le silence.
Et c’est sans doute pour cela que son œuvre, cinquante ans après, ne s’éteint pas. Elle n’est ni nostalgique ni figée ; elle respire encore, comme le vent qu’elle invoque.

Saint-John Perse reste un poète d’avenir, parce qu’il parle du mouvement — du nôtre, du monde, de la langue. Et parce que sa poésie, loin des dogmes, continue de souffler où elle veut

À lire…

Saint-John Perse, 1975-2025, Priorité à la poésie montre l’influence d’une œuvre au fil des générations. De jeunes lecteurs livrent des approches nouvelles, graves ou teintées de drôlerie. Ensuite, des spécialistes plus âgés relisent l’œuvre dans un contexte littéraire et critique tout autre que celui des années 70, au miroir de notre époque menacée des mêmes spectres qu’au XXe siècle. Enfin, écrivains antillais, poètes et artistes proposent leur rencontre stimulante avec un aîné qui, s’interdisant de s’abandonner à la tristesse, n’a cessé de chanter « l’émerveillement d’être au monde » 

À voir…

Saint-John Perse, poète et diplomate : Jusqu’au 30/12/25, une grande exposition se tient à Pointe-à-Pitre. Poète de l’exil, diplomate de la République, prix Nobel de littérature, Saint-John Perse a porté haut le nom de la Guadeloupe et de Pointe-à-Pitre, sa ville natale. Son œuvre, exigeante et visionnaire, a su puiser dans la lumière des Caraïbes, ses paysages et son souffle créole, les ressources d’un lyrisme souverain et ouvert à l’universel. Pavillon de la ville, angle des rues Alexandre Isaac et Bebian, 97110 Pointe-à-Pitre (entrée libre, du lundi au vendredi).

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