Les finalistes des Prix littéraires du Gouverneur général dévoilés

Photo : © DR

Annoncée le 21 octobre, la sélection 2025 des Prix littéraires du Gouverneur général – catégorie Poésie – dessine un paysage tendu entre écologie, mémoire et justice. Dix livres, en anglais et en français, qui font du poème non plus une échappée mais un instrument d’examen : peser ce qui compte, compter ce qui pèse.

Une poésie sous tension : la valeur comme motif central

Cette année, la poésie canadienne semble animée par une question économique, au sens le plus large : que vaut le monde, que valent les vivants, que valent les mots pour les dire ?
Côté anglophone, cinq livres proposent autant de réponses fragmentées et lucides.

– Michael Trussler, avec 10:10 (icehouse/Goose Lane), compose un collage critique du présent numérique, où s’entrechoquent images, e-mails, fragments de films et notations philosophiques. Le poète s’y fait archiviste du chaos contemporain, cherchant dans la saturation même une possibilité de sens.

– Farah Ghafoor, dans Shadow Price (House of Anansi), emprunte à l’économie son vocabulaire pour en révéler la violence : “shadow price”, prix de l’ombre, valeur cachée des choses et des corps. Ses poèmes circulent entre le climat, le commerce et la mémoire, tissant une cartographie sensible des flux.

– Avec Wellwater, Karen Solie reste dans ce registre du réel, mais l’ancre dans les paysages abîmés de l’Ouest. Son écriture, d’une précision minérale, scrute la responsabilité et la survie : comment continuer à habiter ce qui s’effondre ?

– Douglas Walbourne-Gough, lui, retourne vers l’intime. Island explore la double appartenance mi’kmaq et terre-neuvienne à travers des poèmes-récits d’enfance et de territoire. Le livre oscille entre mémoire et rêve, comme si l’identité n’était pas un lieu fixe, mais une navigation.

Lorna Goodison, grande voix des lettres caribéennes, signe avec Dante’s Inferno: A New Translation (Signal/Véhicule) un geste audacieux : revisiter Dante en poète du XXIᵉ siècle. Traduire devient ici acte de résistance et de filiation ; la “valeur” d’un texte se mesure à sa capacité de renaître.

Les francophones : recoudre, témoigner, veiller

Du côté francophone, la cohérence est tout aussi forte, mais le foyer s’est déplacé : moins la valeur, plus la comparution — le fait d’être là, face au monde.

– Aller aux corps de Laurence Veilleux (Le Noroît) est un livre de veille et d’intimité. La poète y convoque les morts et les gestes du soin, dans une langue sèche et habitée : le deuil y devient un territoire à explorer.

Paul Chanel Malenfant, vétéran de la poésie québécoise, poursuit avec Au passage du fleuve (Le Noroît) sa méditation sur la fluidité du temps. Le fleuve, métaphore et mémoire, emporte les voix et les âges ; sa phrase, ample et claire, s’inscrit dans une tradition où la beauté se confond avec la lucidité.

– Comparution d’Angelina Guo (Le Quartanier, Série QR) fait entrer la langue judiciaire dans la poésie. À partir de formulaires, de témoignages, de traces d’exil, le texte invente une voix entre aveu et accusation. C’est une œuvre d’interface : entre langues, entre statuts, entre silences.

– Dans Les sutures (Poètes de brousse), Catherine Harton travaille la blessure par l’art. Chaque poème devient un point de couture entre peinture et langage, comme si écrire consistait à réparer la toile du monde.

– Mourir est beau de Stéphane Martelly (Le Noroît) s’inscrit dans une pensée diasporique et féministe : la mort y est envisagée comme un passage, une résistance, une manière de dire le vrai sans se résigner.

Lignes de force : une poétique de la mesure

En réunissant ces dix livres, le jury du Gouverneur général compose une sorte d’“état des lieux” de la poésie canadienne. Un état sobre, précis, sans effets de manche. Ce qui relie ces œuvres : la volonté de mesurer, d’évaluer, d’examiner le monde plutôt que de le chanter.
Les formes privilégiées — le récit lyrique, le montage critique, la traduction-réinvention — montrent un art qui refuse la clôture. La poésie y devient enquête, dossier, montage d’indices.

Chez les anglophones, on lit une obsession du réel : l’économie, le territoire, la mémoire coloniale. Chez les francophones, un retour aux gestes : veiller, coudre, témoigner, enterrer, revivre.
Entre les deux langues, un même mouvement : reprendre la parole là où les récits s’effondrent, en faire un outil de lucidité.

Les lauréats et lauréates seront dévoilés le 6 novembre 2025. Peu importe qui l’emporte, cette sélection témoigne d’une vitalité rare : une poésie qui s’affirme comme une forme d’audit du monde, attentive, exacte, politique.
Dans un moment saturé d’images et de discours, les poètes du cru 2025 rappellent qu’écrire n’est pas un retrait : c’est une manière de rendre compte.

Pas de commentaire

Postez un commentaire

#SUIVEZ-NOUS SUR INSTAGRAM
Review Your Cart
0
Add Coupon Code
Subtotal