Réunis le 7 octobre sous l’égide de la Fondation de France, Alain Borer et son jury ont dévoilé les lauréats des Prix Robert Ganzo d’automne 2025. Quatre distinctions, quatre manières d’habiter la langue et le monde : Anna Milani, Benjamin Guérin, Jean Portante et Isabelle Macor. Ce cru affirme une poésie du passage — entre les langues, les territoires et les formes de vie.
Le palmarès a cette année la cohérence discrète des grands équilibres : chaque lauréat avance depuis un bord.
D’abord celui du lac, avec Anna Milani, récompensée du Prix Espoir pour Cantique du lac (Cheyne). Dans ce livre bref, l’eau n’est pas décor mais miroir : elle reflète une féminité fluide, en quête d’un “dedans” où le visible et l’invisible se confondent. Ses proses — limpides, tendues — disent le passage de l’enfance au langage, du rivage au mythe.
Sur un autre versant, Benjamin Guérin, lauréat du Prix Révélation pour Quand nous étions des loups (Corlevour), explore la part animale de l’homme. Le poète y poursuit le loup intérieur, non pour l’apprivoiser, mais pour en faire un guide. Ce loup, figure de migration et de survie, ouvre le recueil à la question écologique : comment habiter le monde sans le dévorer ?
Avec Jean Portante, Prix du Poète-traducteur pour sa version de Rayons de nuit de Paul Celan (Le Castor Astral), la frontière devient linguistique. Écrivain luxembourgeois d’expression française, Portante traduit comme on traverse une mémoire fracturée : chaque mot de Celan y résonne d’une perte et d’un recommencement. La traduction devient lieu d’oubli et de survivance, un territoire mouvant où les langues ne s’opposent pas mais se prolongent.
Enfin, Isabelle Macor, lauréate du Prix du Traducteur-poète, se tient sur la ligne de crête entre deux univers : celui de Zuzanna Ginczanka (Les Centaures & autres poèmes) et celui de Ryszard Krynicki (La pierre, le givre), deux voix polonaises publiées par La Barque et Grèges. Chez Macor, traduire n’est pas transposer mais traduire en tremblement. Elle fait du français une langue traversée, secouée par l’étrangeté du polonais — un art du seuil plus qu’un art du transfert.
Autour d’Alain Borer, les poètes et artistes Jacques Bonnaffé, Claudine Delaunay, Yvon Le Men, Dominique Sampiero, Nathalie Swann et Axel Wiegandt composent un jury attentif aux tensions de la langue plutôt qu’à ses effets. Dans la lignée du poète franco-vénézuélien Robert Ganzo, le prix célèbre l’audace, la traversée, le chant qui se risque hors des frontières.
Le printemps 2025 avait déjà salué Seyhmus Daktekin (Prix spécial L’Orénoque) et Joël Vernet (Grand Prix Ganzo). Cet automne, la relève confirme l’équilibre voulu : à côté des grands poètes confirmés, des voix jeunes qui déplacent les lignes sans renier l’exigence.
Ce millésime 2025 pourrait se lire comme une réponse à un monde saturé de discours : la poésie, ici, refuse la surenchère. Elle écoute, recueille, reformule.
Les textes d’Anna Milani et de Benjamin Guérin creusent le rapport au vivant ; ceux de Jean Portante et d’Isabelle Macor, la circulation des langues et des mémoires. Ensemble, ils dessinent une poétique du passage — géographique, intime, linguistique.
Les Prix Robert Ganzo rappellent que la poésie n’est pas un luxe mais un instrument de mesure. Elle jauge les écarts : entre soi et le monde, entre les mots et les choses. Et c’est peut-être là, dans cet entre-deux vibrant, que se joue encore la modernité du poème.
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