Le haïku : le plus petit poème du monde

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Trois phrases et 17 syllabes. Ça a l’air simple comme ça, facile, presque anodin. Détrompez-vous, il n’en est rien. Le haïku, c’est tout un art, hérité d’une tradition séculaire au Japon. On vous dit tout.

Des règles strictes et très codifiées

Court, mais immensément profond, le haïku japonais fascine depuis des siècles par sa capacité à capturer l’instant avec une rare intensité. Expression de la quintessence poétique du Japon, entre tradition et modernité, ce poème en trois vers cristallise une esthétique de l’épure, du silence et de l’impermanence.

D’une extrême concision, sans artifice littéraire, il évite les marques habituelles du poétique, telles que la rime et la métaphore, et obéit à des règles très précises, codifiées en trois segments de 5, 7 et 5 syllabes, soit 17 en tout. Ce véritable carcan formel vise paradoxalement à libérer l’émotion poétique ; on parle de poésie de l’instant, de l’ici-maintenant, de l’émotion du moment présent, de la vacuité, subtile et éphémère.

Trois éléments essentiels caractérisent un haïku traditionnel : le kigo (mot de saison), qui ancre le poème dans un cycle naturel précis ; le kireji (mot-coupure), qui introduit un silence, une pause articulant la pensée ; et un regard contemplatif sur la nature ou la vie quotidienne, marqué par la sobriété, l’allusion et l’implicite. Rien n’est dit directement dans le haïku. C’est une sorte de poème inachevé, chacun l’interprète à sa façon.

À l’opposé du lyrisme explicite, le haïku est une méditation de l’instant, du vide, souvent influencée par la pensée bouddhiste zen, et imprégnée d’idéaux esthétiques comme le wabi-sabi (beauté de l’imperfection) et le mono no aware (émotion devant l’éphémère).

Un art pratiqué dès le XIIIᵉ siècle au Japon

Quelques précisions en termes de linguistique japonaise s’imposent pour bien comprendre l’origine du haïku et son évolution : héritier du renga, poème traditionnel japonais écrit de manière collaborative par plusieurs auteurs dès le XIIIᵉ siècle au Japon, il évolue au XVIᵉ siècle en haikai no renga, forme plus libre et souvent humoristique. Le hokku, premier vers de ces enchaînements poétiques, gagne en importance et, au XVIIᵉ siècle, devient un art à part entière grâce au génie de Matsuo Bashō (1644–1694), qui est considéré comme le plus grand maître du haïku classique, son père fondateur.

Bashō a mené une vie d’ascète-voyageur et a défini de nombreux concepts de base de l’esthétique épurée du haïku : sabi (tristesse et beauté), wabi (patine du temps sur les objets simples), hosomi (attention aux détails), shibumi (goût pour « l’astringence » des choses), etc.

Plus tard, Yosa Buson (1716–1783), influencé par la poésie classique chinoise et grand peintre également, a essayé de lutter contre une tendance à la « vulgarisation » excessive du haïku.

Au contraire, Kobayashi Issa (1763–1828), maître de haikai issu de la classe paysanne, a tenté de concilier un style populaire campagnard avec l’héritage de Bashō. Reconnu comme l’un des quatre grands maîtres du haïku, il a écrit plus de 20 000 haïkus au cours de sa vie. Ses poèmes sont appris par tous les écoliers au Japon.

Il faut toutefois attendre le XIXᵉ siècle pour que le terme « haïku » soit formellement utilisé. C’est Masaoka Shiki (1867–1902), poète et critique littéraire, qui consacre le haïku comme forme indépendante et codifiée. Il rejette l’aspect trop spirituel de ses prédécesseurs et insuffle au genre un réalisme nouveau. Considéré par beaucoup comme « le père du haïku moderne », Masaoka Shiki fut le grand défenseur de cette forme majeure de la poésie japonaise. C’est à lui que l’on doit le terme haïku donné à ce très bref poème.

Le haïku aujourd’hui : une forme vivante entre Japon et Occident

Plus de trois siècles après Bashō, le haïku demeure une forme d’expression poétique vivante et évolutive, tant au Japon que dans de nombreux pays.

Au Japon, on estime qu’aujourd’hui plus de 10 millions de Japonais pratiquent régulièrement le haïku selon les règles traditionnelles, ce qui fait presque un dixième de la population totale du pays ! Il existe des milliers de cercles de réunions poétiques de haïku, environ 500 revues mensuelles, 5 magazines nationaux réservés à ce genre, et tous les quotidiens japonais proposent au moins deux pages hebdomadaires consacrées aux œuvres des lecteurs, choisies par des poètes de haïku professionnels.

Le haïku est aussi enseigné à l’école et figure dans le cursus académique. Des émissions sur le haïku sont diffusées régulièrement à la télévision publique japonaise, la NHK, contribuant à sa popularisation, même auprès des jeunes générations.

En France, le haïku s’est développé à partir du XXᵉ siècle grâce à des traductions et des essais. Il y eut une mode très importante du haïku (on disait encore « haïkaï ») dans les années 1910-1920, sous l’impulsion de Paul-Louis Couchoud (1879–1959), un philosophe-médecin qui avait passé une année au Japon. Anatole France, Julien Vocance, entre autres, et plus tard Paul Claudel, ont été profondément influencés par le haïkaï, même s’ils ne conservaient pas forcément la métrique 5/7/5.

Si les Français ont été les premiers à apprécier (et continuent d’apprécier) le haïku, il s’est également développé aux États-Unis dans les années 1950, avec la Beat Generation (Kerouac, Ginsberg, etc.), qui s’est passionnée pour le haïku, mais en le limitant plutôt à une vision « zen », « spiritualiste ». En Angleterre aussi, à la suite notamment du japonologue R. H. Blyth, les Anglo-Saxons ont été plutôt sensibles à l’esthétique bouddhiste.

Aujourd’hui, on pratique le haïku dans plus de 50 langues partout dans le monde, et cela correspond peut-être à une sensibilité plus « animiste », voire « écologiste », étant donné le côté très concret et « naturel » des images dans de nombreux haïkus.

Loin d’être figé dans le passé, le haïku continue d’inspirer une diversité de voix poétiques dans le monde entier. De Tokyo à Paris, il révèle, en dix-sept syllabes, une tension unique entre l’instant et l’éternité, entre l’épure et la profondeur, le vide et la plénitude. À travers des figures comme Seegan Mabesoone (voir encadré), il devient aussi un vecteur de dialogue culturel et poétique entre Extrême-Orient et Occident.

Laurent (Seegan) Mabesoone : Maître de haïku au Japon

Par amour du Japon, où il vit maintenant depuis 30 ans, marié à une Japonaise et père d’une petite Line-Sato, ce Normand d’origine s’est entièrement consacré à l’apprentissage, l’écriture et l’enseignement du haïku. Jusqu’à changer son prénom français et devenir membre de la très honorable Société des Haïkistes Modernes du Japon.Découvrez son parcours exceptionnel.

« Écrire un haïku, c’est observer le monde avec les yeux d’un enfant et la patience d’un moine »

Au cours d’un voyage au Japon, la révélation
À 10 ans, il lisait Baudelaire, Verlaine et Rimbaud, et écrivait des vers qu’il qualifie lui-même de pitoyables ! Mais il avait déjà la ferme intention de devenir poète un jour. À l’âge de 17 ans, il est accueilli dans une famille japonaise et passe une année au lycée préfectoral d’Utsunomiya, dans le cadre d’un programme d’échanges. C’est là, dans la bibliothèque de ce lycée, qu’il découvre un recueil de Bashō, considéré comme le maître fondateur du haïku. Une révélation ! Il décide alors de devenir « poète de haïku », et non plus « poète tout court ».

Au début, il écrivait en français, mais il a très vite compris que sa langue maternelle était « grammaticalement trop précise », et que la brièveté du haïku était possible en grande partie grâce au flou de la grammaire japonaise. En japonais, le pouvoir suggestif de la langue est infini : 17 syllabes peuvent y prendre une ampleur extraordinaire, « comme si le sentiment de vacuité exprimait la plénitude du monde… »

À son retour en France, il approfondit ses études de la langue japonaise en passant une licence, une maîtrise, puis un DEA de littérature japonaise à Paris VII. Et en 1995, il « reçoit » du ciel méditerranéen son premier haïku directement composé en japonais :

橙の花にひかれて母の海
Daidai no hana ni hikarete haha no umi

qui pourrait se traduire par :
L’odeur
D’une fleur d’oranger –
Ô la mer de ma mère ! (sa mère est Sicilienne…)

Seegan, le poète aux yeux bleus

À partir de ce jour, il n’a plus écrit qu’en japonais. Mais pour apprendre à composer de « vrais haïkus », et pour espérer être édité, il savait qu’il lui fallait retourner au Japon. De 1996 à 2000, il occupe, au sein de la préfecture de Nagano, le poste de coordinateur international pour le programme culturel « Un haïku pour les Jeux Olympiques » dans le cadre des JO d’hiver de Nagano 1998.

Parallèlement, il prépare un doctorat à l’université Waseda de Tokyo, sur son « poète fétiche », Issa. Une fois son doctorat en poche, il collabore régulièrement avec plusieurs magazines de haïku, ou pour les pages haïku de quotidiens japonais, devient membre de jury de prix de haïku, et crée des cercles de composition à Nagano et à Tokyo, où il « enseigne » le haïku à de nombreux amateurs japonais qu’il appelle ses « disciples ».

En 2019, il décide de se consacrer entièrement à l’écriture de haïku. Comme l’usage le veut au Japon, il prend comme « nom de poète » (haigō) Seegan 青眼, qui signifie en japonais « yeux bleus », ou « regard de l’hospitalité ». Ses premières chroniques mensuelles parues dans le magazine Haïku donnent lieu à deux volumes publiés par la maison d’édition Kadokawa, puis à un roman-haïku Issa to wain (Un verre de vin avec Issa) et un essai Edo ekorojisuto Issa (Issa, écologiste à Edo), qui se sont bien vendus.

Il est l’un des rares étrangers à avoir été accepté comme membre de la Société des Haïkistes Modernes du Japon, et sans doute le premier à vivre de sa plume en tant que poète de haïku au Japon. Même s’il existe encore aujourd’hui quelques « vieux Japonais traditionnalistes » qui pensent (selon ses dires !) qu’il ne peut pas être un « vrai maître de haïku » parce qu’étranger….

Remise du 79e Prix de l’Association du Haïku Moderne (gendai haiku kyōkai) le 16 novembre 2024 à Nara (ancienne capitale impériale)

La consécration et la reconnaissance

Son œuvre s’est enrichie par la suite de cinq romans et neuf recueils en japonais, dont le huitième, intitulé Queen Mab’s Cave, a obtenu tout récemment le 79ᵉ Prix de l’Association du Haïku Moderne, le plus ancien et le plus prestigieux prix littéraire de haïku au Japon — un peu l’équivalent du Prix Apollinaire ou du Goncourt Poésie en France.

« Un grand honneur, a déclaré Seegan Mabesoone, car je suis le premier étranger à recevoir ce prix. C’est une grande joie que j’aurais voulu partager avec mon maître de haïku, Tōta Kaneko, décédé en 2018, qui avait lui-même reçu ce prix en 1956. Mais surtout une preuve de reconnaissance de la part du jury pour une nouvelle métrique de composition du haïku que j’ai inaugurée dans ce recueil, et que je continue à pratiquer depuis — ce qui constitue une “petite révolution” dans le monde du haïku. »

Cette nouvelle métrique du haïku de 15 syllabes (5/7/3), au lieu des 17 syllabes traditionnelles, ce nouveau rythme encore plus court, Seegan Mabesoone l’appelle mukukus, qu’on pourrait traduire par « haïkus bruts » ou « haïkus animistes ».

« Un jour, explique-t-il, j’ai eu la vision de cette nouvelle métrique : épurer encore, ôter deux syllabes, ouvrir une porte vers “plus de vide encore”. C’était le 17 février 2023. Trois jours avant le cinquième anniversaire de la disparition de mon maître, Tōta Kaneko. J’étais couché sur le dos sur une île au milieu du plus grand fleuve japonais, le Chikuma. Et soudain, une aigrette est descendue vers moi, sans avoir peur de moi. J’ai senti comme une voix (voie ?). C’est venu comme ça, comme une évidence. Mon premier haïku en 15 syllabes, le voici : une ligne pour le texte japonais, une pour la transcription phonétique, une pour l’autotraduction… »

白雲より大鷺降りて無音
Hakuun yori / Daisagi orite / Muon

qui pourrait se traduire par :
D’un nuage blanc / descend une aigrette immense / en silence

Grâce à une vision inattendue du réel, ces deux images (« blancheur de l’aigrette » et « silence ») expriment bien ce sentiment de vide (yojō, sorte de « décalage », de lien non logique), élément fondamental et constitutif d’un haïku, amplifié par le rythme des 15 syllabes créé par Seegan Mabesoone.

C’est cette technique du haïku en 5/7/3 qu’il utilise exclusivement dans son prochain recueil en français Le Temps du Rêve, autotraduit du japonais, à paraître en mai 2025 chez Pippa Éditions.

Un pont entre deux mondes

Seegan Mabesoone occupe une place singulière parmi les figures françaises les plus influentes dans le domaine du haïku contemporain. Son œuvre s’inscrit dans une démarche interculturelle et esthétique, mêlant tradition japonaise et sensibilité européenne ; elle participe activement à la diffusion des haïkus dans le monde francophone, cette poésie singulière qu’il définit lui-même comme « une poésie du vide, pour éprouver pleinement la beauté du monde… »

S’initier à la poésie avec le haïku

Le haïku est aujourd’hui considéré comme une forme poétique idéale pour l’initiation, tant chez les enfants que chez les adultes. Plusieurs raisons expliquent cet engouement pédagogique :

1

une forme brève, rassurante et exigeante. Avec ses trois vers et 17 syllabes, le haïku offre un cadre précis, qui permet de se lancer sans être submergé par la page blanche. Cette brièveté est rassurante pour les débutants, tout en développant la capacité de synthèse, d’observation et de suggestion.

2

un lien fort avec les émotions et la nature. Le haïku incite à observer son environnement, à ralentir, à prêter attention à un détail. Il développe ainsi la sensibilité poétique, mais aussi une écoute de soi et du monde, sans discours abstrait.

3

un exercice interculturel et universel. Loin d’un simple exotisme, le haïku permet aussi de tisser un lien entre cultures. Il pousse à la réflexion linguistique, à la reformulation poétique et à l’attention au non-dit — autant de compétences précieuses en poésie et en écriture créative.

Sélection d'ateliers d'écriture

Ateliers et séminaires organisés par Pascale Senk

Auteure, conférencière et journaliste spécialisée en psychologie, Pascale Senk se dédie depuis une quinzaine d’années à faire connaître et goûter cette poésie si différente de la nôtre (livres, podcasts, ateliers d’initiation pour petits et grands…)

Atelier Haïku à l'Université Côte d'Azur

Proposé par la Direction des Bibliothèques et de la Science Ouverte. : 28 avril 2025

Campus Carlone, Université Côte d’Azur,Nice.

Atelier d'écriture de haïkus « Fée à la Plume» à Pey

Animé par Morgane Tellechea, destiné aux adolescents et adultes. Samedi 14 juin 2025, de 10h à 12h

Stage "Le haïku en gravure : écriture et création d'un livre imprimé" (Alaïs Raslain)

Proposé par Paris Ateliers, combinant l’écriture de haïkus et la linogravure pour créer un livre imprimé.

Viaduc des Arts, Paris 12ème

Concours de haïkus

"Dis-moi dix mots pour la planète"

Ce concours organisé par le Ministère de la Culture dans le cadre de la Semaine de la langue française invitait en mars dernier les participants à créer des poèmes, haïkus ou micro-fictions en utilisant un ou plusieurs des dix mots proposés autour du thème de la planète. Les textes sélectionnés seront lus lors d’une lecture publique à Paris en juin 2025

Concours de haïkus de l'Association Francophone de Haïku (AFH).

Concours annuel visant à promouvoir le haïku en langue française. Les haïkus sélectionnés seront publiés dans la revue Haïku Canada Review, section francophone.

Pour aller plus loin…

Se renseigner, trouver un atelier près de chez soi, se tenir au courant des prochains événements et concours à venir, consulter les sites des médiathèques locales, des maisons de la poésie et des associations dédiées à la poésie japonaise.

Le Printemps des Poétes

propose des ateliers de haïkus pour les enfants dans les écoles, bibliothèques et centres culturels.

La Maison de la Poésie de Paris

organise régulièrement des ateliers d’initiation au haïku, accessibles aux débutants et propose une exploration des règles traditionnelles, suivie d’exercices pratiques basés sur l’observation directe, parfois en lien avec des expositions ou des promenades poétiques.

La Bibliothèque Nationale de France

met en ligne des activités pédagogiques autour du haïku, avec fiches pratiques pour enseignants et médiateurs culturels.  Essentiel Gallica /Le Haïku aujourd’hui.

L'Association Francophone de Haïku

a pour objectif de favoriser le développement et la promotion du haïku en langue française. Elle réunit aussi régulièrement des Groupes de Haïku dans les pays francophones. Ouverts à toutes et à tous, ils proposent d’écrire des haïkus, d’échanger autour de ce petit poème et de partager ses écrits.

La Maison de la Culture du Japon à Paris

L’occasion de découvrir environ 1 700 haïkus composés en français et en japonais reçus par la MCJP en 2020 un an après le Covid. Ces poèmes provenaient de 31 pays : de France et du Japon, bien évidemment, mais aussi de pays francophones tels que la Belgique, la Suisse ou la Côte d’Ivoire, ou encore de Roumanie, de Malaisie, des Etats-Unis, etc.

Àlire…

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