22 Juil Écrire, c’est choisir : Thibault Marthouret, la poésie en mouvement
Poète, professeur agrégé affecté à l’Université, lecteur engagé, Thibault Marthouret n’appartient à aucune chapelle – sinon celle d’une poésie exigeante, vivante, traversée de paysages et de voix. Dans un entretien dense, il revient sur son itinéraire d’auteur et, surtout, sur ce qui le pousse à choisir une maison d’édition. Dernier exemple en date : son coup de cœur raisonné pour les jeunes éditions Backland, qui n’a rien du hasard.
Le premier mot qu’il prononce, c’est « pont ». Et tout s’éclaire. Thibault Marthouret, poète et professeur d’anglais à l’université de Bordeaux, pense sa vie comme un enchevêtrement de traversées : entre enseignement et création, entre paysage et langage. Cet été, il part quatre semaines en Inde puis une au Bhoutan, dans le cadre d’une résidence « Villa Swagatam » portée par l’Institut Français. Mais c’est d’un autre voyage dont il est ici question : celui, plus intime, qui le lie à ses éditeurs.
Chez Marthouret, publier n’est jamais une formalité. C’est un acte poétique et politique. Une rencontre. Une résonance. « Je ne cherche pas un éditeur pour faire un livre. J’écris un livre, et puis je cherche la où les maisons qui pourraient le porter. » Une logique inversée, qui fait de chaque publication un geste de cohérence entre contenu et contenant. Et c’est précisément ce qui l’a conduit à Backland, maison d’édition encore jeune, mais déjà singulière.
Backland : l’audace éditoriale au service d’une langue vivante
Son dernier recueil, Seuls les œufs durs résisteront, est né dans la brume d’une résidence sur l’Île du Roi de la Factorie. Il est traversé par le brouillard, par les identités mouvantes, les pluralités, les mémoires corporelles mais aussi par la nature en tension. Une écriture traversée de silence, de métamorphoses, de paysages intérieurs et extérieurs. « Il était évident que ce texte devait aller chez eux », confie-t-il. Car Backland n’est pas une maison comme les autres. C’est une structure à l’interface de plusieurs disciplines – paysage, photographie, poésie – avec une ligne éditoriale où l’environnement, le vivant et la langue dialoguent librement.
La collection Montrer C’est Dire, à laquelle appartient son livre, est une zone franche. « Ce que j’ai ressenti immédiatement chez eux, c’est une attention rare à la forme, à la voix, à l’objet-livre lui-même. Un espace de création sans compromis. » Il cite Albane Gellé, Marie Huot, Camille Loivier, Dominique Quélen, Yannick Torlini : des auteurs charnières, dont les textes témoignent d’une même exigence. Celle d’aller au bout de la langue.
Et c’est aussi cela, le miracle Backland : malgré son jeune âge, la maison impose déjà une identité forte, qui attire des auteurs confirmés – non pas par réseau, mais par affinité profonde. Marthouret raconte comment il a envoyé son manuscrit sans contact préalable, simplement mû par une intuition. « En moins de 24 heures, j’avais une réponse. Une vraie lecture. Une volonté de faire ensemble. C’est rarissime. »
Une maison, un projet : plus qu’un éditeur, un partenaire de pensée
Ce qui distingue Backland, c’est peut-être cette capacité à conjuguer audace éditoriale et fidélité aux textes, sans jamais céder aux sirènes de la rentabilité ou de la mode. Une maison qui publie peu, mais bien. Et qui fonctionne à la confiance : « Tous les auteurs du catalogue avaient été invités personnellement, raconte Thibault. Moi, j’y suis entré autrement, par l’envoi d’un manuscrit. C’est la preuve que l’ouverture est réelle, si la proposition est solide. »
Mais au-delà de l’objet-livre, c’est toute une vision de l’édition qui l’a séduit. Il parle d’un « projet habité », d’un éditeur qui pense ses publications comme des prolongements d’un engagement artistique global. L’équipe de Backland ne vient pas uniquement de la littérature. Leurs fondations sont aussi paysagères, visuelles, sensibles.
« C’est une maison qui n’a pas peur de la lenteur, de l’inexploré. Qui donne à lire et à voir. »
Éditer selon les textes, écrire selon les formes
Refusant les formes figées, Marthouret adapte chaque livre à une maison d’édition spécifique. Il a publié chez l’Atelier de l’Agneau, chez Abordo, aux éditions de l’Attente… Et pour chacun de ses textes, un nouvel éditeur, comme un nouvel espace. « J’ai besoin que chaque livre m’apprenne quelque chose. Qu’il m’oblige à trouver une autre voix, une autre forme. »
Ce choix de multiplicité ne traduit pas un nomadisme désinvolte, mais une recherche de justesse. Il y a chez lui une forme de fidélité mobile : à chaque éditeur, il donne ce qu’il a de mieux. « Je suis un auteur qui fait le travail. Je lis, je relis, je porte les textes par le biais de lectures publiques ou de performances. Je participe à la vie des maisons. Et si je reviens, c’est toujours avec un texte qui s’inscrit dans leur démarche. »
Une maison d’aujourd’hui pour la poésie de demain
Dans un paysage éditorial encore largement dominé par les grandes maisons ou les logiques de réseau, Backland fait figure d’exception. Une maison indépendante, résolument littéraire, qui mise sur la qualité, la présence, la relation. Et si sa visibilité reste encore en construction, elle est compensée, selon Marthouret, par une énergie rare. « La présence sur les salons, en librairie, les lectures, les prix font exister les livres autrement. Par la voix. Par les lecteurs. Par les rencontres. »
Il cite le travail et la confiance de Manuel Daull, ancien directeur de la collection de poésie, Marine Raté et Franck Poirier qui composent la direction éditoriale actuelle. Il parle d’initiatives communes, d’événements à venir, de l’envie de rassembler les auteurs du catalogue autour de lectures croisées. « Une maison, ce n’est pas qu’un logo. C’est un espace de création, un lieu de pensée. Et je crois que Backland a ce qu’il faut pour devenir l’une des grandes maisons de demain. »
Thibault en bref…
Thibault Marthouret vit à Bordeaux. Son premier livre, En perte impure, est finaliste de l’édition 2011 du Prix de la Vocation. Il paraît aux éditions Le Citron Gare en 2013. Le second, Qu’en moi Tokyo s’anonyme, une exploration du silence dans tous ses états, préfacée par Patrick Autréaux, est édité par Abordo en novembre 2018. Smog rosé, quête écopoétique dans un monde qui fond, est publié chez l’Atelier de l’agneau éditeur en mai 2021. Après Les enfants masqués (Abordo, 2023), 365+1 sort fin 2024 aux éditions de l’Attente. Les lecteur.ice.s sont invité.e.s à déambuler dans une galerie composée de 365 courts portraits de demain, à s’interroger sur leur rapport au temps, à la mortalité, sur les défis à relever et les ressources à puiser pour écrire ce +1, ce demain qui reste en suspens. Son dernier livre en date, Seuls les œufs durs résisteront, vient de paraître chez Backland Éditions.
Habitué des lectures publiques, Thibault Marthouret prend également part à des résidences de création. En 2025, il entame un dispositif de « Compagnonnage action culturelle et auteur associé » de l’ALCA Nouvelle-Aquitaine intitulé « Ces présences invisibles : hantise et soin », mené au CHU de Bordeaux. Cette expérience donnera lieu, en 2026, à la publication d’un ouvrage mêlant productions textuelles de soignant.e.s, de personnels hospitaliers, de bénévoles du soin, et approche poétique du « devenir fantôme ».
Lauréat d’une résidence du programme Villa Swagatam de l’Institut français, il s’apprête à partir dans l’état indien du Sikkim pour y explorer les rapports entre inspiration, traduction et intraduisible.
Seuls les œufs durs résisteront (Backland, 2025) fut inspiré par le paysage singulier de l’Île du Roi à Val-de-Reuil, bande de terre située au milieu de l’Eure, en face du centre de détention d’une ville créée ex nihilo dans les années 1970 par l’Atelier de Montrouge. Dans ce livre, la ville et ses codes y trouvent leur envers, l’île, une île où on ne tranche pas. Sur l’île, il y a elle et il et le sauvage, l’autre en soi, de chair, de souvenirs, l’autre qu’on repousse, qu’on ne sait pas accepter ou qui prend le contrôle, l’autre qu’on espère quand on perd le contrôle. Il y a du monde dans chaque sujet. La parole poétique laisse divaguer les multitudes
Backland, maison du sensible et du paysage
Fondée en 2023, Backland est une maison d’édition interdisciplinaire basée en France, née de l’envie de lier poésie, paysage, photographie et création littéraire. La collection Montrer C’est Dire rassemble des voix puissantes, singulières, formellement exigeantes. Ses fondateurs revendiquent un engagement : publier peu, mais fort. Chaque livre est un acte, chaque auteur, un compagnon de route.
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