Tireur et tombeur

Photo : © DR- Cheyne
Tireur et tombeur
Louis Adran – Éditions Cheyne

Par le coffre sans fenêtre à bord duquel il était parti, au dernier matin son parfum bref de métal, de chandail antique et de foin coupé, son carré d’ombre le cachant, d’un geste le peignant retiré du jour dehors, jeté déjà du sentiment d’avoir été.

(extrait)

Paru aux Éditions Cheyne, « Tireur et tombeur » est un poème-constellation. Louis Adran y compose un monde en clair-obscur, tactile et fugitif, hanté par les spectres du désir, du deuil et de la mémoire. Une œuvre de vertige, entre effraction et élégie.

Il y a chez Louis Adran une manière rare de faire danser les mots dans les clairières du non-dit. Dans Tireur et tombeur, le poète nous jette dans une forêt langagière où les ombres, les corps et les images se fondent, s’effacent, ressurgissent. Plus qu’une suite de textes, c’est une traversée sensorielle au cœur d’une parole souterraine.

Le « tireur » et le « tombeur » – figures doubles, incertaines, parfois humaines, parfois animales ou végétales – glissent dans ces pages comme des voleurs de feu. Ils hantent les nuits d’été, les villages endormis, les maisons aux draps fous. Ils sont corps en cavale, en larcin, en abandon, et leurs gestes composent une chorégraphie suspendue entre le rêve et la disparition. Une chose est sûre : Adran écrit avec l’énigme pour boussole.

Un langage déverrouillé

Louis Adran ne cherche pas la clarté narrative. Il lui préfère le trouble. Dans une langue qui se joue des syntaxes classiques, qui déconstruit pour mieux incanter, il explore l’ellipse, la rupture, la condensation des images. Les registres se heurtent : végétal, charnel, animal, nocturne. Le résultat ? Une poésie où le sens surgit dans le frisson de l’instant, dans la vibration des mots plus que dans leur alignement rationnel.

Chaque poème est un précipité de sensations. Les synesthésies abondent, les odeurs (de thym noir, de chandail ancien, de métal) se mêlent aux textures (l’étoffe, les toiles, les draps), et les corps – désirés, absents, maquillés – traversent les paysages comme des visions furtives. On pense à Genet, bien sûr, pour cette tension entre érotisme, transgression et poésie. On songe à Rimbaud, aussi, pour la fureur sensuelle de l’écriture.

Derrière la luxuriance du verbe, Tireur et tombeur est un livre de deuil. Il y a la mort du frère – double effacé, figure cruciale – dont le souvenir innerve tout le recueil. Adran en fait le motif souterrain de sa composition : la tragédie n’est jamais directement dite, mais elle affleure, dans les mutations saisonnières, dans la disparition progressive de la parole, dans les retraits et les silences.

L’hiver clôt le cycle. L’épiphanie se fige. Le tireur se tait. Le tombeur, « lèvres peintes », ne parle plus que dans le langage du manque. L’ultime douleur : celle d’un verbe qui ne peut plus caresser les lèvres.

Ce faisant, Louis Adran construit un autoportrait fragmentaire : guetteur du guetteur, mage du silence, tireur de phrases et tombeur d’images. Il écrit depuis les confins : entre les corps et les saisons, entre le mot et le mutisme, entre l’ici et l’ailleurs.

Un livre de lisière, de beauté sombre, d’érotisme furtif et de douleur voilée. Une œuvre qui redonne au langage sa capacité d’envoûtement.

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