05 Août Paloma Hermina Hidalgo : beauté baroque et obscénité sublime
Écrivaine, poète, dramaturge, comédienne, Paloma Hermina Hidalgo déploie une œuvre radicale, traversée de douleur, de beauté, de violence et d’une langue organique unique. Rencontre avec une créatrice inclassable, qui façonne ses textes comme un sculpteur déforme la matière, et pour qui écrire relève d’une nécessité vitale plus que d’un choix littéraire.
Elle commence l’entretien avec modestie, hésitations, reprises, mots superposés, comme si la pensée débordait sans cesse le cadre. Mais très vite, une force souterraine s’impose, tranquille mais inébranlable : celle d’une artiste pour qui l’écriture est une urgence, un territoire d’expérimentation radicale, et la poésie, un moyen d’incarner l’indicible. Une parole qui ne se donne pas en spectacle, mais qui arrache sa vérité du corps.
« Je n’écrivais pas de la poésie, j’écrivais pour m’échapper ».
Elle écrit de la critique culturelle depuis l’adolescence. L’écriture poétique, elle, surgit à 26 ans, non pas dans le confort d’un bureau, mais dans la contrainte d’une chambre d’hôpital psychiatrique à Sainte-Anne. Hospitalisation forcée. Cloisonnement. Impossible de fuir autrement que par les mots. Elle écrit, donc. Pas pour guérir. « L’écriture, pour moi, n’est pas thérapeutique. Elle peut exacerber la souffrance. » Écrire, pour elle, c’est creuser. Creuser dans les chairs, dans les abysses, dans les nerfs.
Son premier livre, Cristina, paraît sous le nom d’une botaniste colombienne imaginaire. Elle va jusqu’à inventer une biographie, un visage. « La presse y a cru. » Derrière cette fiction : le besoin de brouiller les pistes, de désincarner l’auteur pour mieux laisser parler le texte. Et puis la scène entre en jeu. Là où la lecture devient incarnation. Là où les mots reprennent corps. Un corps qui performe, qui transpire, qui encaisse.
Une langue d’os et de fluides
Ses textes ? Des blocs nerveux. Des morceaux de chair posés sur la table. Rien de précieux, jamais. Elle forge une langue impure, boueuse, baroque, contaminée : néologismes, archaïsmes, mots étrangers. Elle invente des mots qui n’existent pas mais que l’on comprend pourtant d’instinct, comme si la langue venait du ventre et non du dictionnaire.
Dans Matériau Maman, roman déguisé en conte, elle met en scène la naissance d’une psychose chez une enfant, la mort d’une mère, le délire. Le texte suinte. Il blesse. Il dérange. Ce n’est pas une littérature de consolation. C’est une mise à nu. Un champ de bataille.
Hidalgo ne répète jamais la même langue. Le second recueil, Rien, le ciel peut-être, lauréat de la Société des Gens de Lettres et du Prix Méditerranée poésie (refusé par l’auteure pour des raisons politiques), offre une écriture plus tendue. Puis vient Féerie, ma perte, pièce de théâtre, réécrite en recueil. Encore une autre forme. Encore un autre corps.
« Ce n’est pas une posture. C’est une nécessité. »
Les genres explosent. Les catégories sont des accidents. Elle les contourne, les malaxe, les fend. Et à chaque fois, c’est une autre langue. Pas un effet. Une mutation.
Entre Joyce et métal, influences et radicalité
Ses influences sont nombreuses, « innombrables et digérées ». Elle cite Joyce pour le surgissement poétique, l’épiphanie linguistique. Mais sa langue à elle est plus baroque, plus corporelle, plus frontale. Lors d’une lecture publique, un jeune homme de 20 ans lui dit : « On dirait du Korn. » Elle sourit : « J’adore. »
Elle travaille désormais à mêler poésie et musique, collaborant avec une violoniste baroque ou un musicien métal. Son écriture, saturée de violence et de sensualité, trouve ainsi une résonance sonore naturelle.
« L’écriture m’apparaît comme monstrueuse. »
Elle parle de son travail comme d’une monstruosité : « C’est une langue impure, un métissage qui touche à la monstruosité. L’acte de création est contre-nature. » Sa poésie est traversée de sang, de sperme, de lymphe, « quelque chose de très physiologique. »
Et pourtant, malgré la violence, surgissent des éclats de beauté, presque mystiques. « Il y a avant tout cette permanence du mythe, de l’inconscient, cette nécessité de forger des mots pour exprimer ce qui ne peut se dire. »
Lire, c’est recevoir un coup – ou plusieurs
Ses textes ne caressent pas. Ils frappent. Ils cognent. Pas un grand uppercut, mais une série de petits coups. Dix lignes, dix impacts. On en sort essoufflé. Son style est identifiable entre mille. Même anonymisé, un recueil de Hidalgo se reconnaît : rythme syncopé, corps blessés, phrases cinglantes, mots inventés. Un lexique de l’urgence.
« Quand je lis mes textes en public, je suis à la fois l’actrice et la victime. »
Elle ne lit jamais deux fois de la même manière. Elle improvise. Elle s’adapte au bruit, à la lumière, à la salle. Elle ajoute un mot. Elle en retire un autre. Le texte est vivant. Il palpite. Il respire. Elle l’incarne jusqu’à l’épuisement.
Trois recueils comme trois marches
Lire Hidalgo, c’est gravir un escalier poétique. Chaque livre est une marche, un palier vers un ailleurs plus radical, plus libre, plus organique. Sa prochaine pièce, à paraître en 2026, comme son prochain roman, déjà en cours, promettent encore un saut de langue, une autre expérience de lecture.
Pour Paloma Hermina Hidalgo, l’enjeu est clair : rendre la poésie audible, la libérer de l’universitaire, l’amener vers ceux qui en sont éloignés. « La poésie me semble être un espace transitionnel, comme un doudou qui relie l’enfant à sa mère et au monde. Elle permet de naviguer entre le dedans et le dehors. »
Et c’est sans doute cela, sa force : une poésie qui n’a rien de la littérature sur les petits oiseaux, mais tout de la matière vive, brûlante, obscure et lumineuse à la fois. Une poésie loin du salon littéraire. Proche du ring.
Paloma Hermina en bref…
Poète, écrivaine et comédienne radicale, diplômée de l’École normale supérieure d’Ulm-Paris et de HEC, Paloma Hermina Hidalgo est notamment l’autrice des transgressifs Cristina et Rien, le ciel peut-être (Prix Méditerranée 2024), deux premiers livres salués par la critique comme des œuvres d’« un génie intempestif » (Marianne). Elle signe récemment le premier roman Matériau Maman, qualifié de « chef-d’œuvre romanesque » (Europe), et Féerie, ma perte : « une poésie démiurgique autant que de la chute, métaphysique autant que pornographique, un recueil littéralement inouï » (Diacritik). Approfondissant des motifs autobiographiques tels que l’inceste, la pédophilie ou la psychose, son écriture, entre épiphanie et cruauté, s’impose dès ses débuts comme une voix fulgurante de la littérature contemporaine.
11 septembre
Performance musicale à La Maison de la poésie de Paris
20 septembre
Lecture au Festival International de Poésie de Bucarest (FIPB), Musée national de la littérature roumaine.
11 octobre
Performance « lecture dessinée » à La Maison de la poésie de Nantes / Le Lieu Unique
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