Une maison sans maison

par Patrice Luchet, directeur de la Maison de la poésie de Bordeaux

Depuis avril 2022, Bordeaux s’est dotée d’une maison de la poésie, jusque-là rien n’est d’étonnant en effet les grandes villes, pour la plupart, couvrent ce champ de la littérature.

Alors qu’est-ce qu’une maison de la poésie à la mode bordelaise, d’abord c’est une maison sans maison. Étonnant. Et pourtant possible. Ici, on construit, partenariat après partenariat, avec nombre d’opérateurs culturels comme les Escales du livre, le festival Chahut, la Villa Valmont, les Douves, les Avant-Postes, le chalet Mauriac mais aussi un ensemble de villes du département girondin et de départements limitrophes. Avec cette exigence propre aux partenariats de se fondre dans la programmation de nos partenaires, et apporter notre expertise, si on le peut. Proposer un modèle qui lie avec énergie et avec enthousiasme l’aspect culturel, éducatif, pédagogique et social nous importe car la poésie peut investir tous ces espaces. Ainsi nous diffusons des lectures effectuées par les auteurs et les autrices eux-mêmes de leurs propres textes de poésie. Nous proposons aux poétesses et aux poètes de lire elles-mêmes, de lire eux-mêmes leurs poésies. Juste le texte brut issu du corps, de la voix des poétesses et des poètes, une voix de l’écrit parfois puissante, parfois fragile mais toujours sincère, directe et sans jeu, on peut citer les dernières lectures d’Héloïse Brézillon, de Frédéric Dumont, d’Aurélie Foglia, de Maxime Hortense Pascal, de Dorothée Volut de Stéphanie Vovor, entre autres.

Nous proposons aussi de diffuser des duos entre la poésie et d’autres pratiques, comme la bande dessinée, la musique, la danse ou la photographie. Parfois cette diffusion s’appuie sur un temps de création, nous allons ainsi solliciter un poète ou une poétesse à travailler avec un artiste ou une artiste pour créer ensemble une forme qui sera diffusée lors d’une de nos soirées. Pour citer quelques exemples la lecture poétique dessinée de Frédéric Soumagne et Laureline Matuissi, la lecture photographique d’Ysiaka Anam et de Ken Wong-Youk-Kong, quelques exemples qui auront marqué ces derniers mois de travail. Nous pensons d’ailleurs que ces formes hybrides aussi appelées arts littéraires, permettent à un public éloigné de la poésie de venir découvrir par le biais de la musique ou d’autres supports ce que peut être la poésie ou plus exactement les poésies actuelles. En effet, un des autres enjeux de notre travail est de montrer une diversité des formes poétiques, allant de la poésie documentaire, objectiviste à des textes plus expérimentaux, parfois très sonores, performatifs, tout autant que des poésies, qui peuvent sembler plus accessibles, de l’intime mais aussi les poésies qui disent notre société et tous les combats à mener pour la faire avancer. Il y a sûrement un point commun à tout ce que nous essayons de montrer, c’est le travail des poétesses et des poètes sur la forme de leur texte.

Jusque-là, rien de nouveau sous le soleil de la poésie, mais peut-être que là où notre maison de la poésie est à peine différente c’est que nous associons, nous lions, nous imbriquons les soirées de lecture avec un travail d’atelier d’écriture proposé par les auteurs ou autrices invités dans les établissements scolaires. Loin de tout saupoudrage, nous préférons proposer une rencontre dense, longue avec à minima trois ateliers, dans une même semaine pour une même classe ainsi l’auteur ou l’autrice peut à la fois montrer son travail mais aussi un nombre d’autres textes de ses contemporains ou de poésies plus anciennes. Le poète ou la poétesse invité en classe fait aussi travailler la lecture à haute voix par les élèves qui effectueront la première partie de la soirée de lecture, ainsi ils seront confrontés à lire devant du public dans des conditions professionnelles. Ceci est l’aboutissement du projet scolaire d’écriture et donc de mise en voix. Enfin le programme que nous distribuons au public ce jour-là, qui ressemble à un programme ordinaire avec la biographie et bibliographie des invités et quelques informations, s’additionne d’un texte sous forme de poster qui est l’assemblage d’extraits de textes écrits par les élèves en classe. Ceci n’est pas sans rappeler la merveilleuse collection portée par Nicolas Tardy et Caroline Scherb, il y a quelques années, qui s’appelait Contre mur et à laquelle nous rendons hommage par ces programmes.

Enfin cette maison de la poésie ouvre d’autres pistes comme l’accompagnement des poètes et des poétesses émergents, en leur proposant des scènes ouvertes, quelque peu transformées. Il s’agit de faire des appels à texte pour lesquels nous retenons environ douze personnes, six femmes et six hommes qui ont des textes en devenir, il nous semble. N’ayant à ce jour pas publié ou peu publiés, nous organisons un temps de travail ensemble où chacun, chacune parle de ses textes, de son rythme, du style d’écriture, des enjeux formels, écoutant ainsi les autres participants de la scène ouverte et sortant un peu de la solitude liée à l’écriture. Après ce premier temps de travail, nous amenons pas mal de livres récemment publiés pour les montrer mais aussi pour guider et débloquer l’écriture des participants émergents. Après cela, ensemble, nous construisons un ordre de passage, et vient le moment de la scène ouverte, ou loin de tout ego surdimensionné, chacun lit mais surtout écoute les autres, les encourage, les soutient dans ce moment. Après la participation à plusieurs scènes ouvertes, celles et ceux dont le travail nous paraît le plus abouti, se voient être invités à l’une de nos soirées professionnelles avec des auteurs et des autrices reconnus et donc en étant rémunérés comme tout le monde. Cet accompagnement passe aussi par avoir un regard sur le texte des participants aux scènes ouvertes et là aussi, pour ceux dont le travail est solide de les guider vers une maison d’édition qui va apparaître la plus adéquate. Ceci est un travail invisible mais essentiel de soutien à la création et d’accompagnement, certes chronophage mais qui nous semble au cœur de nos activités.

Notre volonté de diffusion et de sensibilisation de la poésie ne s’arrête pas là et nous initions un nouveau projet avec l’université des sciences sociales de Bordeaux pour créer de la recherche en poésie. Il ne s’agit pas de chercheurs qui seraient dans la recherche poétique mais bien de chercheurs en sciences sociales qui vont écrire une partie de leur recherche  ou de leur présentation de recherche sous forme poétique.

De même, nous continuons notre projet de formation, en partenariat avec le rectorat de Bordeaux, pour sensibiliser les enseignants et les enseignantes aux écritures contemporaines poétiques et ainsi amener un plus grand nombre d’élèves de collèges, de lycées professionnels, technologiques ou généraux vers les textes poétiques. Il s’agit là aussi de montrer dans sa diversité la poésie avec les formes les plus exigeantes comme les formes les plus accessibles sans n’en négliger aucune. Un grand écart impossible diront certains. L’une des missions que nous nous sommes fixées, en tout cas. La régularité de nos manifestations en particulier de lectures, au moins une soirée par mois, crée un espace poétique régulier sur Bordeaux qui est un héritage d’autres opérateurs culturels qui ont mené ces actions pendant de longues années avant nous.

Cette maison sans maison, puisqu’à ce jour nous n’avons pas de lieu physique, nous l’avons voulu aussi comme un lieu d’accueil sérieux, professionnel, à l’écoute des auteurs et des autrices, et généreux nous l’espérons. Et cuisiner des petits plats nous-mêmes, pour les poètes et poétesses, est un exemple de ce que nous espérons comme forme d’accueil. Un lieu de gratitude aussi pour ce que la poésie nous a déjà offert et que nous essayons de lui rendre à notre manière. Le poète, Julien d’Abrigeon dit souvent « la question n’est pas de savoir ce que la poésie peut faire pour toi, mais qu’est-ce que tu peux faire pour la poésie». Ce que nous pouvons essayer de faire, c’est donc tenter de contribuer à sa diffusion, en lisant, lisant, lisant les livres que nous recevons ou que nous achetons pour ensuite construire une programmation que nous espérons variée, enrichissante et réjouissante pour les publics.

Mais, organiser des manifestations poétiques, n’a de sens que si nous réussissons à fédérer des publics pour venir assister à nos propositions, cela signifie à la fois un niveau de qualité littéraire tel que les personnes expertes en poésie auront peut-être envie de venir assister aux lectures mais aussi inviter une diversité de personnes aux écritures variées qui donnent envie à des familles, à des personnes intéressées par la culture, et pas simplement par la poésie, mais aussi à celles et ceux éloignés de la lecture de venir assister à une soirée de lectures comme on va au cinéma ou au théâtre. La poésie a aussi ce rôle essentiel de ramener ou d‘amener vers la lecture, vers le livre, grâce à la force des lectures publiques de poésie, et aussi par la teneur des textes poétiques, celles et ceux qui en sont éloignées. Lire est essentiel alors pourquoi ne pas commencer par lire de la poésie. Tout cela ne serait pas possible, sans un gros travail de communication, en particulier sur les réseaux sociaux comme instagram, qui rend visible actuellement ce que nous essayons de construire. Une poésie vivante, dynamique, en ébullition sans concession, exigeante et accessible, car ces mots-là ne s’opposent pas forcément.

Alors maintenant, il va nous falloir continuer à franchir des étapes dont celle de ne plus être une maison sans maison mais, tel le modèle que nous suivons de la Maison de la poésie de Nantes, trouver un espace central à Bordeaux qui pourrait nous accueillir pour mettre en avant nos actions et renforcer notre visibilité. Pour l’heure, nous multiplions les manifestations poétiques par cette programmation annuelle que nous construisons et non pas juste un mois de l’année. Nous espérons être là sur le territoire de la poésie et sur le territoire aquitain au jour le jour toute l’année pour multiplier les actions possibles. Pour faire cela évidemment, on ne va pas se mentir, il faut des financements et nous espérons que, des fondations, ainsi que des mécènes liront peut-être ces mots et s’adresseront à nous pour en savoir plus sur nos actions et nous soutenir comme le font déjà les collectivités publiques. En espérant que ce nous réalisons depuis trois ans, serve la poésie, les poétesses, les poètes, les lecteurs, les lectrices, les maisons d’édition, les librairies mais aussi les élèves, les enseignants, les enseignants, les bibliothécaires et à sa manière un peu la société.

Photo : © Laurent Wangermez

Patrice Luchet

Patrice Luchet, directeur de la Maison de la poésie de Bordeaux, poète et enseignant, né à Agen, vit à Bordeaux. Il écrit des textes s’interrogeant sur la figure de l’adolescent dans une forme poétique. Il a publié récemment une série intitulée Tout un peuple aux éditions L’ire des Marges. Il  a pris l’habitude de lire ses textes à haute voix au public. Il prend part aux collectifs BoXoN et Poésie mobile. Il est actuellement membre de la commission poésie du CNL.

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