
13 Oct Grégory Rateau : dans l’atelier d’un poète en fusion
En exclusivité, nous avons pu lire certaines pages du prochain recueil de Grégory Rateau : un long poème inédit, encore en chantier, dont plusieurs revues publieront bientôt quelques fragments. Une plongée rare dans le laboratoire d’un auteur qui façonne sa langue comme une matière vivante, inspirée par le rythme du free jazz.
Un poète en mouvement
Né en 1984 dans la banlieue parisienne et installé aujourd’hui en Roumanie, Grégory Rateau poursuit une trajectoire singulière. Écrivain, scénariste et poète, il s’est imposé avec Imprécations nocturnes (Prix Amélie Murat et Renée Vivien 2023) et Le Pays incertain (Prix Rimbaud 2024 de la Maison de poésie), après un premier roman remarqué, Noir de soleil (Maurice Nadeau, 2020). Sa poésie, traduite et publiée dans de nombreuses revues et anthologies (Seghers, Le Castor Astral…), s’écrit à la croisée du réel et de l’abîme
Les premières pulsations d’un poème total
Le texte auquel nous avons eu accès n’est pas encore achevé : une centaine de pages d’un poème en expansion, tendu entre naissance et effondrement, dérision et rage. Dans ces premières séquences, Rateau explore la fragilité de l’être et l’impossibilité du mot juste.
« C’est incohérent. Des bribes, des humeurs noires, avec une pointe d’humour noir, sans rire ni sourire. »
Chaque vers semble surgir d’un corps à vif, dans une langue heurtée, traversée par la mémoire et la honte, comme si écrire revenait à tenter de renaître.
Avant même sa publication ces extraits révèlent un travail d’une ampleur rare. On y sent un poète en pleine mutation, cherchant non plus à « dire le monde » mais à l’éprouver à travers la dissonance même du langage.
Une œuvre en gestation
Ce poème, par sa longueur et son intensité, s’annonce comme un tournant dans l’œuvre de Grégory Rateau. On y perçoit le moment fragile où la poésie se construit encore, où chaque mot hésite, cherche sa place. Entrer dans ce chantier poétique, c’est assister à la genèse d’une œuvre — brute, organique, profondément humaine.
Dès ton premier souffle
ça sonne faux
à la limite du précipice.
Petite musique discordante.
Tu brailles à en perdre l’ouïe
mais sans pouvoir dire
ou alors trop peu.
C’est incohérent. Des bribes,
des humeurs noires,
avec une pointe d’humour noir,
sans rire ni sourire.
Incapable d’habiter l’instant.
Ta naissance
eh bien c’est vite dit.
C’est déjà un combat :
te redresser
tomber dix, vingt, cinquante fois
sous les acclamations
les hourras et
et les rires gras.
T’enfuir en rampant
mais pour aller où et comment ?
Dans cette odeur âcre,
tu supplies d’abord.
Toxicité des draps,
des murs verts,
des serviettes hygiéniques.
La violence des regards,
avant de palper ta chaire.
tous ces juges sportifs
évaluant biceps et kiki.
Tu découvres seulement la colère.
Inédite toute cette agitation en toi.
Ton ventre gonfle,
tu te remplis
d’un grondement sourd,
d’une lourdeur des profondeurs
qui déborde enfin.
Les gens s’agitent,
veulent y couper
mais c’est un peu tard.
Une belle explosion verdâtre
sur des murs déjà verts.
Les questions fusent :
Mais pourquoi se crispe-t-il ?
Pourquoi chie-t-il en arc de cercle ?
Tu aimerais leur répondre
leur faire ravaler leur questionnaire
mais rien ne sort à présent.
Tout reste là, bloqué au-dedans.
Tu es stoppé à la douane.
Ton héritage est des plus incertains :
Il a ce caractère de chien de l’ongle Jean !
La bistouquette de ton pauvre frère !
Tu commences toi-même à douter :
Mais qui sont donc tous ces encravatés ?
ces chevelus (suant la brillantine) ?
Ils te bouffent ton ciel,
te privent du grand air.
Des masques japonisants.
Une contre-plongée en montagne russe.
Et tes propres interrogations sans réponse :
Pourquoi tout ce sang ?
Suis-je déjà mort ?
Clara
Publié à 15:21h, 13 octobreCe poète a été une véritable découverte pour moi il y a déjà quelque temps. Depuis son recueil si justement primé, Le Pays incertain, il fait partie des rares à explorer la langue avec exigence tout en restant libre, sans jamais tomber dans les poncifs habituels ni dans l’éternel recyclage. Il se renouvelle sans cesse tout en demeurant cohérent : il construit une œuvre. J’espère qu’il sera de plus en plus reconnu. Ces extraits sont déjà d’une grande force, d’une belle authenticité. Le rythme free jazz s’y fait clairement sentir.
Grégory
Publié à 15:39h, 13 octobreMerci. Très touché par votre retour.
Lagrange Laurence
Publié à 21:18h, 13 octobreTu grandis si vite aujourd’hui. Une autre exploration de la vie, plus humaine, moins de recherche de vengeance. Des mots qui coulent mais on ressent un grand travail sur le papier. Le talent c’est peut-être ça, voir du beau sans voir l’effort, le travail que cela demande. Merci pour l’émotion transmise.