Caroline Moffet, voix révélée du Prix de poésie Radio-Canada 2025

Photo : © DR

Caroline Moffet remporte le Prix de poésie Radio-Canada 2025 avec Une craque dans le plywood ou l’anatomie d’une fissure. Un texte incisif, précis, qui explore la fragilité des matières comme celle des êtres.

Le Prix de poésie Radio-Canada 2025 revient à Caroline Moffet pour un texte qui frappe autant par son intensité que par sa maîtrise. Une craque dans le plywood ou l’anatomie d’une fissure a séduit un jury composé de la poète, nouvelliste et romancière Marie-Célie Agnant, du poète et romancier Sébastien Dulude et du poète Guy Marchamps. Ils ont retenu son poème parmi les cinq finalistes en raison d’un élan, disent-ils, « indéniable » qui traverse le texte.

Une voix qui se libère

Pour l’autrice, ce poème marque une délivrance. Elle confie y avoir trouvé un refuge pour éviter l’effondrement : une voix longtemps contrainte, qui se fissure, se fragilise, mais se redresse dans le langage. Cette libération n’est pas née d’un seul geste : avant sa victoire, le texte avait été sélectionné parmi les 24 de la liste préliminaire par le comité de lecture, impressionné par son caractère « brut » et son rythme « vif et maîtrisé ».

Ce comité avait souligné la capacité du poème à faire coexister chaos et lucidité, à transformer la fissure en espace d’expression et d’humanité. Une parole « cabossée, mais debout » qui cherche l’air, trouve un angle, et génère une vibration continue.

Le jury a été touché par la charge émotionnelle contenue dans ce texte qui explore, à travers une métaphore filée de l’incarcération, la rage, la résistance et la résilience. Les images, denses et marquées, s’imbriquent dans une économie de mots qui évoque le rythme d’un corps en mouvement dans un espace restreint : presque une boxe, souple et contenue.

Les juges parlent de poèmes « rudes », comme autant de murs à gratter, à percer, à abattre, pour laisser filtrer l’espoir d’une évasion intérieure. Ils évoquent aussi des « brèches océanes » où la poésie habite la lucidité des crevasses, louant une proposition à la fois audacieuse et d’une grande maîtrise.

Une autrice engagée

Née et installée à Québec, Caroline Moffet écrit depuis l’adolescence, poussée par le deuil de sa mère. Elle évoque la poète Marie Uguay comme un refuge déterminant dans cette période. Ses études littéraires à l’Université de Sherbrooke l’ont menée vers l’enseignement du français, puis vers le milieu carcéral, un environnement qui a profondément nourri son regard.

Elle travaille aujourd’hui au Centre de services scolaire de la Capitale. En parallèle, elle rédige un mémoire de maîtrise portant sur le bonheur en éducation, convaincue que l’école doit former des individus libres, créatifs et engagés — et que la poésie contribue au bonheur.

Une trajectoire façonnée par la langue

Avant de se consacrer à la poésie, Caroline Moffet a écrit de manière professionnelle dans des contextes éducatifs, notamment pour l’Université de Saint-Boniface au Manitoba, pour TFO et pour la plateforme Télé-Québec en classe. Elle s’est néanmoins rendu compte qu’elle n’habitait pas encore le territoire qu’elle s’était promis d’arpenter : la poésie.

Le texte primé constitue le cœur d’un premier recueil en préparation. Elle en situe la genèse dans son expérience en milieu carcéral, où l’idée d’une voix enfermée s’est imposée. « Certains ont juste des murs plus épais que d’autres », résume-t-elle.

Comme lauréate, Caroline Moffet obtient une bourse de 6000 dollars du Conseil des arts du Canada ainsi qu’une résidence d’écriture de deux semaines au Centre des arts de Banff, en Alberta. Les quatre autres finalistes se partageront 4000 dollars.

Caroline Moffet reçoit cette distinction au moment où son écriture semble atteindre un seuil décisif : une matière quand fissurée, une voix quand libérée, une poésie quand prête à se déployer. Le recueil à venir dira jusqu’où s’étendra la vibration née de cette première craque.

Une craque dans le plywood ou l’anatomie d’une fissure

nul rideau ne se lève
sur mon ring de béton et de bottes

du bullpen de cris aux doigts d’horreur
mes armes dépeuplées débordent

silence exacto

dead lock good luck

à genoux
je suis au trou

un lit un muret un bol un miroir
shine ma vie sur l’écorce d’acier

pas de lumière dans la wing
juste ce corps coup de pied
K.-O. dedans

je me fissure

ici les murs ne soignent les cicatrices de personne
ils les vargent

par la fenêtre
le cri des fleurs
piégées

shut down sans ciel au barreau
mon avocat est en suspens

ça l’air que le crime est la mise en demeure des mots

la prison illettrée
pire que la détention sans justice

scandale

à la manière des Moody Blues
je fais mon cinéma

pas de kodak pas de char personne regarde le film

mes chums sont tous morts
au backstage des cathédrales indomptées

l’irrévérence des anges
danse sur nos crânes

sans paroles

mon œuvre ma cloison ma corde
une sacrée débarque

de fils de fer en fils de fractures
l’aiguille du temps plante ses perles
dans mes tatous d’enfance

les promesses s’entaillent

m’aime m’aime pas
le pouvoir des marguerites

pétales en pleine face

une à une
je déplie mes fragilités

dehors dedans
des battements calcaires
les voiles aux amarres
tracent le visage de mon père

entre nous
l’inattendue trahison

dans mes brèches océanes
les mots m’ancrent au monde

les fuir c’est se fuir

ne me cherchez pas

au tribunal de la honte

l’hiver tombe long sur le point d’armure

mes barricades à bras-le-corps
m’écorchent

disparaître un moment
au sommet des déchirures
avec les lignes que je n’ai pas lues

effritement d’exil
contre la beauté

je ne négocie plus
la dérive des failles

au tiers de ma peine
en plein capharnaüm
j’ouvre tes pages d’uppercut

un mégot de sublime entre les bardeaux d’asphalte

ta voix mirador apaise l’hostile
rapièce le vivant

à la canopée du ciment
je ne suis plus invisible

tu éclaires ma fêlure

déchirure au fond de l’immobile
d’où je lis

je me réfugie
en toi
ça fesse

le monde devient presque beau

comme une craque dans le plywood

entre ses fragments

la poésie

habite la lucidité des crevasses

je ne m’effondre plus

la porte de fer fend le silence

je sors

j’écris

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