Alcheme, la poésie à vif

Photo : © Michael Chia

Lauréate du Coup de Cœur Charles Cros et distinguée par les Jeux Floraux de Toulouse pour sa poésie, Alcheme écrit et chante pour se sauver – et sauver un peu du monde avec elle. Sa parole, brûlante et multilingue, explore la métamorphose, l’épreuve, la résilience. Chez elle, la lumière n’est jamais donnée : elle se conquiert.

Un nom gravé dans la pierre

Alcheme. Le mot sonne comme un secret.
Sophie Carakehian de son vrai nom, l’a découvert un jour sur une pierre tombale isolée dans les jardins du château de Sans-Souci, à Potsdam.
« Il n’y avait qu’un mot : Alchem. Pas de date de  naissance, juste une date de mort. J’ai su que ce nom m’attendait. »

En le féminisant, elle l’a fait sien. Alcheme, c’est l’alchimie devenue être, symbole d’une transmutation intime — celle qui consiste à transformer la blessure en or, l’ombre en énergie.

L’enfant et la grand-mère

Tout commence à six ans.
Sophie écrit ses premiers poèmes, encouragée par sa grand-mère maternelle, qui lit et relit ses textes avec bienveillance.

« Elle me disait que j’avais du talent, un terme abstrait pour moi à l’époque. J’écrivais, naturellement, sans me poser la question de savoir si c’était bien ou beau. »

Cependant ce geste simple fait naître une vocation.
Dans la parole poétique, la fillette trouve un espace de réconfort et de liberté.

Une graine de lumière plantée très tôt, qui ne cessera plus de croître, même dans l’obscurité.

La musique arrive plus tard, dans un moment de rupture.
À vingt ans, après la mort de sa mère, Sophie quitte tout pour Barcelone.
Dans les rues, la guitare devient refuge.
« Je n’avais jamais appris, mais j’ai commencé à jouer. Ça m’a sauvé. »

Autodidacte, elle compose d’instinct, sans méthode ni théorie.
Ce rapport direct au son façonnera sa signature : une musique viscérale, sincère, qui prolonge la poésie sans la travestir.
« Si la chanson ne me brûle pas, elle ne sert à rien. »

Le corbeau solaire

C’est au sortir d’une cure, alors qu’elle renaît d’une longue épreuve, qu’elle vit une scène fondatrice.
« Un cri de corbeau a déchiré le silence derrière moi, puis j’ai senti sa présence sur mon épaule. » Sur le moment, elle y voit une hallucination. Plus tard, la symbolique s’impose : le corbeau n’est pas l’oiseau de malheur qu’invente le christianisme médiéval, mais un messager solaire. « En Chine ancienne, le corbeau (à 3 pattes) est un symbole solaire important. En Égypte, il traverse les mondes. Dans toutes les traditions, il relie la nuit et le jour. »

Le corbeau devient alors son double spirituel — un psychopompe qui guide entre les plans, de la chute à la clarté. « C’est lui qui m’a rappelée à la vie, qui m’a montré que la lumière peut aussi venir du noir. »

Depuis, l’oiseau accompagne sa création, présent dans ses clips, ses rêves, ses textes.
Un emblème d’équilibre et de passage : ombre et lumière réconciliées.

Une langue de feu

Chez Alcheme, la poésie ne se contemple pas, elle s’éprouve.
Écrite d’un souffle puis retravaillée comme un métal précieux, elle dit la matière du monde — la peau, le souffle, le feu, les cendres.

« Plus j’écris mieux je respire. La poésie fait loi » , un vers qui clôt l’un des poèmes de son recueil à paraître en 2026.

Cette écriture, à la fois instinctive et ciselée, refuse le décoratif.
Elle touche au sacré sans jamais quitter la terre, parlant de blessures, de renaissances, de métamorphoses. Une poésie du corps et de l’esprit, tendue vers la lumière, mais nourrie des épreuves traversées.

Sous ma peau

Paru en 2023, Sous ma peau prolonge cette quête.
Sept titres mixés par Eric Lang au Easygo Prod Studio de Bruxelles. Alcheme y est accompagnée de musiciens à la renommée internationale: Joël Rabesolo et Eric Moens (guitares électriques), Thierry Rombaux et René Calvin Moneze (basses), Odimba Ghenda (percussions) et Nicolas Kummert, Elias Schiva et Hervé Letor (saxophones ténor et soprano), David De Vrieze (trombone).

Un disque vibrant, récompensé par un Coup de Cœur de l’Académie Charles Cros, où chaque morceau semble gravé à vif.

Les titres — Les ailes du désir, Le loup dans la rivière, Edelweiss — explorent l’intime, la mort, la survivance. Dans Les ailes du désir, tourné à Bruxelles, elle rend hommage à Wim Wenders : même tension entre chute et ascension, entre l’humain et l’invisible.

Une éthique du verbe

« L’art, s’il ne dérange pas, ne sert à rien », dit-elle, citant Nina Simone.
Chez Alcheme, la poésie n’est pas un refuge mais une prise de position.
Dire, c’est résister. Nommer, c’est vivre.

Sa distinction aux Jeux Floraux de Toulouse  vient également saluer cette exigence : un travail d’écriture où la force ne contredit jamais la justesse, où le verbe s’élève sans posture.
Une poésie de la vérité nue — sans décor, sans fard.

Qu’elle écrive ou qu’elle chante, Alcheme cherche la résonance.

« Quand j’écris, je tends la main. Quand je chante, je la reçois. »

Cette simplicité dit tout : la poésie comme relation, comme énergie partagée.
Son œuvre relie les voix, les langues, les mondes — un art du lien dans une époque de séparation.

De la fillette encouragée par sa grand-mère à la femme qui a traversé la nuit, un fil ne s’est jamais rompu : celui d’une parole qui cherche la justesse plutôt que la consolation.
Distinguée par les Jeux Floraux et célébrée par le Coup de Cœur Charles Cros, Alcheme incarne une poésie d’incandescence et d’équilibre, à la frontière du mystique et du charnel.

Et lorsque l’on découvre son œuvre, une silhouette revient toujours : celle du corbeau, compagnon d’ombre et de clarté. Oiseau-sentinelle, oiseau-guide, il traverse ses textes comme il a traversé sa vie — pour rappeler que la lumière ne se trouve jamais contre l’obscurité, mais qu’elle naît d’elle.

« Le corbeau nous rappelle que la métamorphose naît de la traversée de nos peurs, de la rencontre avec l’autre et de la remise en question de nos croyances. C’est dans l’affrontement de nos ombres que surgit la clarté. »

Chez Alcheme, le corbeau n’est pas un signe de malheur, mais un passage : un éclat noir qui veille, un messager qui pousse vers l’aube.
À sa manière, il résume toute son œuvre lieu où l’ombre et la lumière se reconnaissent enfin.

Réincarnation

Sans que rien ne s’embrase
Sans que rien même frémisse
La mort et la vie vont main dans la main

Elles oeuvrent l’une pour l’autre
En échangeant les rôles
Sur le chemin des hommes
Au destin fugace

Dans un souffle divin
Tour à tour la Vie les portent
Au sommet de boucles folles
Au fond d’abîmes tourmentés

Pendant ce temps, la mort
A toujours été là
Dans sa posture imperturbable
Sur le pas de la porte

Elle tient dans ses mains
Les clés de la vie
Avec qui seule pourtant
Elle est à armes égales

Elles sont en équilibre
Sur le fil l’une de l’autre
Sans que rien ne s’embrase
Sans que rien même frémisse

Puis soudain surgit
La joie de l’automne
Une aura lumineuse
Habillée du temps qui passe

Si l’homme la reconnaît
Elle versera sur lui
Tout l’or qu’elle abandonne
À l’heure où elle meurt.

Symphonie de l’aurore

L’aube frémit du chant de tous les oiseaux
Des couleurs pastel habillent l’horizon
Un chant de rébellion
Fera toujours naître l’aurore

Je bois le rose matinal
Du fond du ciel immense
À cette heure sentinelle
La voûte céleste offre
Le concerto de tous les espoirs

La robe de la nuit s’est ouverte
Evanescente
Sous mes yeux ébahis

Les arbres tendent leurs bras puissants
Vers un possible rouge vermeil
Le jour naissant se délecte
D’une fraîcheur inimitable
Des pins, des cèdres
Et des ormes au réveil

Deux traits de nuages
Accrochés au bleu du ciel
La danse d’une hirondelle
Un bruit qui surprend
Les collines s’animent doucement
À la faveur d’un printemps
À nul autre autre pareil

Qu’existe-t-il
Sous la voûte du monde
De plus merveilleux, de plus enivrant
Que l’éveil de la Nature
Qui s’étire en bâillant?

L’actualité d’Alcheme

Mardi 25 novembre

Sortie d’un nouveau clip vidéo pour célébrer la sortie du premier morceau du 2e album: « Qui allume le soleil ».
L’histoire d’une sorcière alchimiste qui concocte la recette de la lumière, puis va à la rencontre de l’Autre pour la transmettre, la partager.

Vendredi 28 novembre

Atelier Marcel Hastir
Rue du Commerce 51, 1000 Bruxelles, Belgique

Réservation sur :  alchememanagement@gmail.com

Soirée en poésie et en musique Zan Zendegi Azadi / Femmes Vie Liberté ! en hommage à la mort de Mahsa Amini, jeune Iranienne assassinée par le régime.
Et en l’honneur de toutes les femmes iraniennes de la révolution. Lecture d’un extrait de la pièce Vénus impudiques de Caroline Bouchoms/Poésie de poétesses iraniennes telles que notamment Forough Farrokhzad, Simin Behbahani, Mahtab Ghorbani, et un concert d’Alcheme.
Avec l’auteure et comédienne Caroline Bouchoms, et la voix de Mahtab Ghorbani.
Avec les musiciens Eric Lang (guitare) et Odimba Ghenda (percussions).
Une rencontre avec les artistes est prévue après le spectacle.

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