La poésie du chocolat

Photo : © bublikhaus / freepik.com

S‘il est un cliché tenace, bien arrimé dans l’imaginaire collectif, c’est bien celui du poète maudit.
Pour nombre de gens, un poète doit être un personnage souffreteux, maigre, à l’écart du monde, s’imbibant d’alcools et de produits prohibés et bien éloigné des plaisirs communs aux simples mortels !
Pourtant, rien n’est plus éloigné de la réalité. En toutes époques les poètes ont apprécié les plaisirs de la vie jusqu’à, parfois, en abuser.

Pourtant, rien n’est plus éloigné de la réalité. En toutes époques les poètes ont apprécié les plaisirs de la vie jusqu’à, parfois, en abuser.
Loin de moi l’intention de détailler tous les penchants plus ou moins coupables auxquels se sont adonnés nos plus grands auteurs, (la délation n’est pas dans mes habitudes!) mais force est de constater que les plaisirs de la table et singulièrement le goût des desserts semblent favoriser l’inspiration poétique !

La preuve nous en est fournie par Théophile Gautier.
Ce génial romancier, poète, dramaturge, critique d’art, librettiste, aimait aussi asséner quelques vérités sur ses confrères avec un esprit vachard ; disons-le tout court, c’était une langue de vipère !

Gautier affirme qu’il imaginait étant jeune, que les génies étaient maigres car tout entiers dévoués à leur art, mais à présent que, devenu célèbre, il fréquentait les cénacles littéraires, il se rendait bien compte qu’il n’en était rien et que les poètes de son temps, le dix-neuvième siècle, étaient presque tous obèses.
Je vous livre ses observations :

« Victor Hugo a l’air de se porter beaucoup trop bien, comme Napoléon devenu empereur. La redingote de Victor Hugo ne peut contenir sa gloire et son ventre, tous les jours un bouton saute, une boutonnière se déchire.
Honoré de Balzac est un muid  plutôt qu’un homme : trois personnes en se donnant la main ne peuvent parvenir à l’embrasser, il faut une heure pour en faire le tour.
Rossini n’a pas vu ses pieds depuis six ans, on le prendrait pour un hippopotame en culottes.
Byron se donnait beaucoup de mal pour éviter l’obésité car il ne concevait que les poètes maigres et les muses impalpables suçant un massepain tous les quinze jours.
Sainte-Beuve voit pousser sous son gilet l’abdomen le plus rondelet ; c’est un grassouillet quiétiste et clérical. »

En fait, Théophile Gautier ne semble oublier dans son aréopage qu’une seule personne, lui-même. Il possédait en effet un appétit gargantuesque et était affublé d’un tour de taille admirable.

Il avait un jour reproché au cuisinier du Tsar qui l’avait reçu à sa table, d’avoir utilisé dans un dessert du macaron pilé au lieu de véritables amandes.

En une autre occasion, Gautier avait fort apprécié un voyage en Espagne car cela avait été pour lui l’occasion de découvrir de nouveaux desserts :

Ses préférés ? les pumas au chocolat ou au café, crèmes fouettées saupoudrées de cannelle accompagnées de barquilos, sortes d’oublies roulées en cornet.

Les atouts du chocolat

Le CHOCOLAT !

Voilà bien l’objet de toutes les convoitises, affublé par certains de toutes les qualités, au point même de provoquer « des effets rajeunissants et toniques sur les vieux messieurs », comme l’écrit la brochure parue en 1802 « Déjeuners des garçons de bonne humeur » parue chez Capelle sous la signature d’une palette de jeunes bons vivants dont un certain Morelle :

Dans les bosquets d’Idalie
Vulcain auprès de Vénus
Ne put, malgré son envie
D’amour, payer les tributs.
Pour réparer sa disgrâce
Par un heureux résultat
Vulcain composa la tasse
La tasse de chocolat.

Pour réveiller le courage
L’Amour y trempe ses traits
Vulcain prend de ce breuvage
Et le savoure à longs traits
Bientôt sa honte s’efface
Il sort vainqueur du combat
Cette puissance efficace
Il la dût au chocolat
(…)

Le chocolat arrive en France en 1615 à l’occasion du mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche. Il est ensuite popularisé sous Louis XIV mais c’est Louis XV qui en sera le plus grand amateur à la Cour. Le Roi aura même sa recette propre et n’hésitera pas à le préparer lui-même :

« Vous mettez autant de tablettes de chocolat que de tasses d’eau dans une cafetière et les faites bouillir à petit feu quelques bouillons ; lorsque vous êtes prêt à servir vous y mettez un jaune d’œuf pour quatre tasses et le remuez avec le bâton sur un petit feu sans bouillir. Si on le fait la veille pour le lendemain il est meilleur. On peut à la place du jaune d’œuf y mettre le blanc fouetté (…) »

À partir de cette époque, le chocolat ne connaîtra que des heures de gloire, suscitant même de certains auteurs la création de cantate à sa louange, comme dans le cas du poète italien Métastase an dix-huitième siècle.

Alexandre Dumas préfère le chocolat en Espagne (Impressions de voyage – 1847) ainsi que Prosper Mérimée qui loue le chocolat catalan de Barcelone en 1847.
Il en sera de même plus tard pour André Gide qui fait note d’une différence subtile entre le chocolat à l’espagnole servi dans de petites tasses et le chocolat à la française servi, le même, dans de grands tasses ; Honoré de Balzac met le chocolat au rang des excitants modernes (1838).
Zola le fait fumer dans les bols dans « Germinal ».

Progressivement, le chocolat qui au départ ne se consommait qu’en boisson, devient solide et croqué. C’est le chocolat de l’enfance de Jules Massenet qui se souvient avoir fauché une tablette et s’être retrouvé tout penaud de devoir avouer son larcin à sa mère (« Souvenirs » 1912). C’est Marcel Proust qui se rappelle le gâteau au chocolat de Madame Swann :
« …les gâteaux que je prenais sans m’en apercevoir, il viendrait un moment où il faudrait les digérer. Mais il était encore loin. »

C’est aussi la jolie histoire du morceau de chocolat écrite par Claude Tellier en 1882 dans ses « Souvenirs d’un maître d’études » : un pauvre surveillant quitte la pension où il travaillait avec, pour seule fortune, une misérable valise. À la porte, un enfant l’attend qui lui offre un morceau de chocolat enveloppé de papier blanc. L’homme, très ému, prend le cadeau et part, seul, sous le regard bienveillant de l’enfant. « Depuis, j’ai oublié cet enfant (…) Je l’ai oublié comme le voyageur oublie l’arbre sous lequel il s’est reposé un instant en traversant le désert ; je l’ai oublié comme la jeune fille oublie le rosier qui lui a fourni sa première guirlande (…) »

Plus près de nous, on retrouve le surréaliste « Cocodylate » de Francis Picabia :
« Sa parade dont l’ébullition a des bornes impitoyables
faisait cortège d’un œil cocodylate rose vif
dans ma vie de suralimentation suisse »

ou la chanson dadaïste de Tristan Tzara :
« …mangez du chocolat
lavez votre cerveau
dada
dada
buvez de l’eau… »

Robert Desnos en 1924. - Photo : © Creative Commons

et surtout la tristesse de Robert Desnos (1900-1945) devant le temps qui passe et les amis qui disparaissent :
Elles sont mortes les abeilles
au cimetière des Lilas
Si vous voulez du chocolat
Mettez deux sous dans l’appareil

Il est mort notre Apollinaire
et mort aussi Laurent Taillade
Cinq abeilles volent dans l’air
et les sirènes de naguère
pour moi s’abattent dans la rade

 Meurent les porte-lyre
le rimeur Jean Aicard
ouvre la bouche en tirelire.

 Si vous voulez du chocolat
Mettez deux sous dans l’appareil.
(1919)

Quand à Jacques Prévert, le chocolat devient pour lui un remède universel, une poésie du quotidien où la simplicité ouvre un espace d’espace et de douceur :
« Un petit morceau de chocolat / Et tout le malheur s’en va… »

Le chocolat du goûter

Maurice Carême, l'été 1970, Margny (Ardennes-France), près d'Orval - Photo : © Creative Commons

Quel plus merveilleux moment pour profiter du chocolat que l’heure du goûter des petits et grands enfants ?

Pour Maurice Carême, cette heure du goûter est tellement essentielle qu’elle en fait oublier le temps qui passe :
On a dressé la table ronde
Sous la fraîcheur du cerisier
Le miel fait les tartines blondes,
Un peu de ciel pleut dans le thé.

On oublie de chasser les guêpes
Tant on a le cœur généreux.
Les petits pains ont l’air de cèpes
Égarés sur la nappe bleue.

 Dans l’or fondant des primevères
Le vent joue avec un chevreau
Et le jour passe sous les saules

 Grave et lent comme une fermière
Qui porterait sur son épaule
Sa cruche remplit de lumière. 

De nombreux autres poètes ont écrit des textes célébrant la gourmandise destinés aux enfants. On peut citer Corinne Albaut, Luc Bérimont, ou bien encore Roland Topor, le père de « Télé-chat », poète mais aussi dessinateur, dramaturge, cinéaste, à l’origine de la série culte « Palace » avec Jean-Michel Ribes :
« Les bonbons »
J’aime mieux les bonbons
Que le gigot de mouton
J’aime mieux la cannelle
Que les vermicelles
J’aime mieux les gâteaux
Que la soupe aux poireaux.
J’ai des confitures
Sur toute la figure
Et du chocolat
Du haut jusqu’en bas
Moustache de chat
Filet de foie gras.

De même en est-il pour, encore une fois, Robert Desnos, le poète surréaliste et résistant mort le 8 juin 1945, un mois après la victoire, du typhus contracté en camp de concentration.
L’oiseau du Colorado
Mange du miel et des gâteaux,
Du chocolat, des mandarines
Des dragées, des nougatines
Des framboises, des roudoudous,
De la glace et du caramel mou.
(…)
L’oiseau du Colorado
Dans un grand lit fait dodo
Puis il s’envole dans les nuages
Pour regarder les images
Et jouer un bon moment
Avec la pluie et le beau temps.

Enfin, Colette, dans « Prisons et Paradis »  fait du chocolat un confident, une présence réconfortante, un lien sensuel entre le corps, le souvenir et l’enfance retrouvée :
« Le chocolat, c’est l’ami fidèle : il console, il calme. »

Cette sensualité du chocolat, on la retrouve encore chez Paul Verlaine, qui en fait une métaphore du plaisir retenu et de l’émotion contrariée, où douceur et amertume se mêlent comme l’amour et la faute quand il écrit dans « Jadis et Naguère » :
« Et j’aime le chocolat sans honte,
Ce noir doux, cet amer qui fond… »

Les rabat-joie

Il fallait bien que face à cette accumulation de plaisantes gourmandises variées, certains se fassent les rabat-joie, les critiques, les cassandres, les sempiternelles humeurs contrariantes !

Le théologien Jean-Baptiste de la Salle sonne rapidement la fin de la récréation, dès 1713, dans ses « Règles de la modération et de la civilité chrétienne ».

« À l’égard des fruits, des confitures ou autres choses qui se donnent au dessert, l’honnêteté veut qu’on soit fort retenu à y toucher et qu’on n’en mange qu’avec modération. En user autrement ce serait faire connaître qu’on a de l’attache à ces sortes de friandises. Il faut particulièrement que les enfants se donnent bien de garde de faire quelques signes qu’ils en désirent, ils doivent attendre qu’on leur en donne. »

 Victor Hugo est dans le même état d’esprit quand il affirme :
« Vous aimez les chaussons aux pommes, Mesdames, n’en abusez pas. Il faut même en chausson du bon sens et de l’art. Chacune de nos passions, même l’amour, a un estomac qu’il ne faut pas trop remplir. »

Amusant quand on sait combien le poète suivait lui-même bien peu ses propres recommandations !

Après les moralistes, il faut aussi compter avec les jaloux, comme Pierre-Jean Béranger en 1810 :
« Gourmands cessez de nous donner
La carte de votre dîner
Tant de gens qui sont au régime
Ont droit de vous en faire un crime
Et d’ailleurs, à chaque repas,
D’étouffer ne tremblez-vous pas »

Quand Joris-Karl Huysmans, funèbre, nous met dans l’ambiance d’un repas de deuil où on ne sert que des mets noirs dans des assiettes bordées de noir et qui se termine par des crèmes au chocolat (noir bien sûr!) accompagnées de mûres et de guignes (noires) puis de café et de brou de noix.

Enfin, plus spécifiquement concernant le chocolat, certains en ont fait l’instrument de toutes les vilenies !

Madame de Lafayette relate l’empoisonnement au chocolat de la Reine d’Espagne à la Cour, par l’entourage du Roi.

Victor du Bled raconte une tentative de suicide au chocolat durant la Monarchie de Juillet, tentative avortée car c’était le pistolet qui était en chocolat !

Quant au Baron de Lamothe-Langon, sous l’Empire, il retrace des tentatives d’assassinat à la Cour de Napoléon par des tasses de chocolat empoisonné durant les dîners chez Cambacérès.

Alors prudence lors de vos prochaines dégustations !

Conclusion

Guy de Maupassant par Félix Nadar, 188 - Photo : © BNF - Domaine public

Au moment de conclure, il faut, j’en suis persuadé, laisser la parole à Guy de Maupassant, car, assurément, l’auteur a tout compris !

« Il n’y a que les imbéciles qui ne soient pas gourmands. On est gourmand comme on est artiste, comme on est instruit, comme on est poète (…) Manquer de goût, c’est avoir la bouche bête comme on a l’esprit bête (…) Un homme qui ne distingue pas(…) une poire crassane d’une duchesse est comparable à celui qui confondrait Balzac avec Eugène Sue, une symphonie de Beethoven avec une marche militaire. »   (Le rosier de Mme Husson)

Que rajouter après cela ?

Peut-être serait-il agréable de se désaltérer après tout ce chocolat en l’accompagnant d’une bonne tasse de thé ? Alors une grande maison de thés a concocté un mélange dit « Thé des poètes solitaires », mélange de thé bleu et noir pour le soir, créé en souvenir des poètes qui louèrent le thé, un mélange évoquant la rêverie nostalgique : Hautes montagnes de Chine associé au Darjeeling Oolong des plateaux de l’Himalaya :
Miss Ellen versez moi le thé
Dans la belle tasse chinoise
Où des poissons d’or cherchent noise
Au monstre rose épouvanté.

J’aime la folle cruauté
Des chimères qu’on apprivoise
Miss Ellen, versez moi le thé
Dans la belle tasse chinoise.

 Là, sous un ciel rouge irrité
Une dame fière et sournoise
Montre en ses longs yeux de turquoise
L’extase et la naïveté.
Miss Ellen, versez-moi le thé.
(Théodore de Banville) « Le thé »

Patrice Alzina est auteur, conférencier et essayiste. Il est également le lauréat 2025 du prix Yves Barthez de l’essai littéraire décerné par l’Académie des Jeux Floraux.

“Lire un poème,
c’est déjà déguster.

Croquer un carré
de chocolat,
c’est déjà lire.”

Petit clin d'œil pour les gourmands…

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On lit, on goûte, on rêve : la poésie devient tangible, le chocolat lisible. Conçu à l’occasion du Printemps des Poètes, ce coffret symbolise la fusion parfaite du verbe et de la matière, du goût et du sens.

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