27 Nov Claude Louis-Combet : le dernier souffle d’une langue des grands fonds
Décédé le 24 novembre 2025 à 93 ans, Claude Louis-Combet laisse une œuvre-cathédrale où la poésie se fait exploration des abîmes. Entre mystique et érotisme, entre lumière et pénombre, cet écrivain discret aura passé sa vie à ciseler une langue unique, celle qui règne « entre le nid des entrailles et l’écume de la Voie lactée ».
Minuit n’est jamais vraiment passé pour Claude Louis-Combet. L’écrivain lyonnais, disparu le 24 novembre, aura passé son existence à piétiner entre le premier et le douzième coup de minuit, comme il le confiait lui-même. « Je n’échapperais à l’emprise de cette fascination que si je renonçais à l’écriture. » Il n’y a pas renoncé. Jusqu’au bout, il a creusé cette « langue des grands fonds » qui fait de lui l’un des prosateurs les plus singuliers de la littérature française contemporaine – et l’un de ses poètes les plus secrets.
Voir en fermant les yeux
Si Claude Louis-Combet est surtout connu pour ses mythobiographies et ses récits hantés, son œuvre poétique occupe une place centrale. Le Petit Œuvre poétique (Corti, 1998) offre la clé de toute son écriture : une prose devenue poésie pure. « Je ne suis pas fait pour la visualisation. Dans mon écriture, j’essaie de voir ce que je peux voir en fermant les yeux. »
Fermer les yeux, ce n’est pas être aveugle. C’est voir au-dedans. Louis-Combet se disait attaché aux Yeux clos d’Odilon Redon. Toute sa poésie procède de cette vision intérieure, d’un monde confus de sensations olfactives, tactiles, gustatives. Cette démarche impressionniste traverse Terpsichore et Autres Riveraines (2004), Cantilène et Fables pour les yeux ronds (2006), Magdeleine à corps et à Christ (2009).
Voir en fermant les yeux
Né à Lyon en 1932, orphelin de père à cinq ans, le jeune Claude passe par les petits séminaires. En 1950, il entre chez les Pères du Saint-Esprit à l’Abbaye Blanche de Mortain. Rupture en 1953. « J’ai écrit des poèmes – qui sont inédits – qui me tenaient lieu de journal intime ; ils s’adressaient à Dieu. »
À Lyon, il étudie la philosophie sous la direction d’Henri Maldiney. Mais la philosophie universitaire ne suffit pas. Il se tourne vers les mystiques orientales, découvre le bouddhisme, l’hésychasme orthodoxe, puis revient au mysticisme occidental et aux spirituels français du XVIIe siècle. Lecteur assidu d’Henri Brémond, il devient en 1990 directeur de la collection Atopia chez Jérôme Millon, rééditions de textes spirituels anciens.
De 1958 à 1992, il enseigne à Besançon. Parallèlement, une œuvre considérable s’accumule : plus d’une centaine d’ouvrages.
« L’écriture vient naturellement, spontanément. Je laisse le temps à la phrase de s’élaborer. Le temps de l’écriture est celui de la rêverie. » Louis-Combet écrivait sans ratures, dans une esthétique du jaillissement. Quand un libraire lui demande d’exposer des manuscrits, il trouve « indécente » leur propreté et s’empresse d’ajouter de fausses biffures.
Cette spontanéité cohabite avec le ressassement. « Je travaille comme un amnésique. Je peux réinventer les mêmes fantasmes, les mêmes figures dynamiques, d’un livre à l’autre. La matière est métamorphosable à l’infini. » Le motif de la fleur rouge et noire revient inlassablement : « C’est un symbole sexuel et en même temps cosmique, qui revêt une dimension dionysiaque, panthéiste. »
Entre chair et esprit
Louis-Combet reconnaissait une « opposition insurmontable entre Héraclite et Parménide », incapable de choisir entre mobilité et permanence. « La Vierge en est une figure : elle est incorruptible, hiératique, et elle est aussi la femme, débordement de la matière ; la forme et l’informe. »
Cette dialectique traverse toute sa poésie. « Mon entreprise littéraire est un effort hallucinatoire pour dépasser les bornes de la condition humaine, d’où ce besoin de réintroduire l’éros pour en faire une puissance d’inspiration spirituelle. » Dans Via Crucis (2003) ou Ô dieu, entaure-moi ! (2010), il explore cette tension permanente entre le spirituel et le charnel, le sacré et le profane.
« L’autobiographie doit se développer sur le territoire des mythes, des rêves, des fantasmes. » Cette phrase définit ses mythobiographies – Blesse, ronce noire sur Georg Trakl (1995), L’Âge de Rose sur sainte Rose de Lima (1997), Bethsabée sur Rembrandt et Hendrickje Stoffels (2012) – mais aussi sa poésie.
« La pulsion autobiographique ne m’a jamais quitté. Tout ce que j’ai écrit, imaginé, renvoie à l’élément autobiographique. » Son œuvre procède de deux sources : le rapport à la mère, « attirante et repoussante en même temps », et le déficit du côté de Dieu, figure du père. L’écriture comble ce double manque.
« Pour rien, sinon pour personne »
En marge de ses fictions, Louis-Combet a laissé ces « textes brefs, à l’abri de tout projet narratif ». « Comme des lucarnes pour jours de souffrance dans l’épaisseur de la bâtisse – apportant l’afflux d’une lumière inespérée –, ces moments poétiques inscrivent leur ouverture d’émotion et de contemplation dans une langue que l’expérience intérieure a modelé à son usage : pour rien, sinon pour personne. »
C’est là l’essence de son œuvre poétique : une écriture pour personne, une langue des profondeurs qui ne cherche ni reconnaissance ni public, mais seulement à sonder les mystères de l’existence.
Claude Louis-Combet s’est éteint le 24 novembre 2025. Il avait 93 ans. Minuit n’est toujours pas passé, mais l’horloge s’est arrêtée. Reste cette œuvre immense, cette langue unique qui continuera longtemps encore à résonner dans la pénombre, entre le nid des entrailles et l’écume de la Voie lactée.
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