La poésie féminine libanaise : voix d’une révolte et d’une identité

Vénus Khoury-Ghata, poétesse et romancière - © Photo : Catherine Hélie

À l’heure où le Liban est une fois de plus déchiré par un conflit armé, il nous semble important de mettre en lumière les voix qui, à travers la poésie, témoignent de la douleur, de la résilience et de l’espoir d’un peuple. La poésie féminine libanaise incarne à elle seule, par son genre, cette résistance. Ces poétesses, expriment à la fois la tragédie nationale et leur quête personnelle de liberté et d’identité. Ce petit dossier, réalisé dans l’urgence est une manière de rappeler que, même au cœur du chaos, l’art et la poésie demeurent des formes essentielles de révolte et… de guérison.

La poésie féminine libanaise est un espace où la voix des femmes transcende les frontières du genre, de l’époque et des expériences. À travers des vers chargés d’émotion, d’engagement politique et de quête identitaire, les poétesses libanaises offrent un témoignage à la fois intime et universel. En écho aux tourments du Liban, pays marqué par les guerres, l’exil et les transformations sociales, elles donnent à entendre une parole libérée qui interroge sur la place des femmes, la violence du monde et la beauté de l’existence.

Puissent ces voix résonner face à la colère des hommes.

 

Nadia Tuéni : une poésie au service de la mémoire collective

L’une des figures les plus emblématiques de cette poésie féminine libanaise est Nadia Tuéni (1935-1983). Dans ses œuvres, Tuéni a réussi à sublimer les blessures de son pays. Son recueil Liban : vingt poèmes pour un amour reste une œuvre de référence, où elle décrit avec une intensité lyrique l’amour et la souffrance de la terre natale.

« Je te dis que je t'aime,
Que mon pays est un éclat de pierre,
Mon pays est un parfum de cèdre
Que je porte sur mes cheveux comme un voile. »

Ses vers traduisent une profonde nostalgie pour un Liban détruit par la guerre, un pays qu’elle chérit tout en dénonçant sa fragmentation. Sa poésie, marquée par la douleur et la beauté, est à la fois intime et universelle, reflétant la condition humaine au-delà des frontières libanaises.

Joumana Haddad : la voix de la révolte et de l’émancipation

Joumana Haddad est une autre figure incontournable de la poésie contemporaine libanaise. Militante féministe, journaliste et écrivaine, elle incarne une poésie de la rébellion et de l’émancipation. Son recueil Invitation à un dîner secret rompt avec les conventions littéraires et morales, explorant des thèmes tabous dans le monde arabe, notamment la sexualité féminine et la place de la femme dans une société patriarcale. Haddad n’hésite pas à aborder de front la question de la liberté individuelle.

« Mon corps est ma patrie,
Mon corps est un champ de bataille
Où je livre mes guerres silencieuses. »

Ces mots traduisent le combat de Haddad pour l’autonomie des femmes, un combat à la fois personnel et collectif, qui fait écho à sa volonté de rompre avec les carcans sociaux. Sa poésie est un appel à la libération, un cri pour l’égalité et la dignité dans une société conservatrice.

Zeina Hashem Beck : entre modernité et tradition

Zeina Hashem Beck, poétesse bilingue arabe et anglaise, est une voix moderne de la poésie libanaise. Dans son recueil Louder than Hearts, elle explore la multiplicité de l’identité libanaise et l’impact de la guerre sur la psyché individuelle. Hashem Beck combine des formes poétiques traditionnelles avec des thèmes contemporains comme l’exil, la mémoire et l’amour.

« The sky has been closed for days,
And the flowers refuse to open their eyes.
This is how we live here,
In the land of too many wars. »

Par cette poésie mélancolique, Hashem Beck exprime la tension entre la vie et la mort, le passé et le présent, en utilisant des images poétiques fortes pour rendre compte du malaise existentiel d’une nation et de son peuple.

Sabine Farra et Vénus Khoury-Ghata : les voix de la diaspora

Dans la poésie libanaise, la diaspora occupe une place importante. Sabine Farra, poétesse d’origine libanaise vivant en France, exprime à travers ses poèmes la douleur de l’exil et l’amour pour une patrie perdue. Vénus Khoury-Ghata, également poétesse exilée, célèbre quant à elle la terre libanaise avec un style à la fois sombre et lumineux. Ses poèmes sont empreints de sensualité, de mythologie et de révolte contre l’injustice.

« Mon pays a le parfum des orangers,
Et le goût amer de l’attente. »

Vénus Khoury-Ghata parvient à mélanger les symboles de la nature à ceux de l’exil, faisant du Liban un territoire à la fois concret et rêvé, toujours imprégné de nostalgie.

Les nouvelles voix : Hala Katrib, Chloé Kattar et Nohad Salameh

La nouvelle génération de poétesses libanaises continue de faire résonner la voix des femmes avec des œuvres profondément ancrées dans leur époque. Hala Katrib et Chloé Kattar, deux jeunes poétesses, s’attaquent aux tensions entre modernité et tradition, explorant des thèmes tels que l’identité féminine, l’exil et la liberté personnelle. Dans leurs poèmes, elles expriment une sensibilité contemporaine, où la technologie, les réseaux sociaux et les conflits récents occupent une place prépondérante.

Nohad Salameh, quant à elle, s’inscrit dans cette même dynamique avec une poésie introspective qui interroge la place de l’individu dans un monde en mutation. Ses vers sont marqués par une quête d’identité et une réflexion profonde sur la condition humaine :

« Où vais-je, sinon au plus profond de moi-même ?
Où l’écho de mes pas résonne plus fort
Que toutes les tempêtes du dehors. »

Frida Bagdadi Debbané, Mary Douaïn Barakat et May Murr : les gardiennes de la mémoire culturelle

D’autres poétesses, comme Frida Bagdadi Debbané, Mary Douaïn Barakat et May Murr, sont reconnues pour leur capacité à immortaliser l’héritage culturel libanais. À travers leurs poèmes, elles explorent les racines profondes de leur terre, les mythes ancestraux et les coutumes locales. May Murr, en particulier, a consacré une grande partie de sa carrière littéraire à la préservation du patrimoine libanais, tout en revendiquant une place égale pour les femmes dans la société. Son œuvre poétique mélange histoire et féminisme, nature et politique.

« La montagne se dresse,
Comme une mère protectrice,
Gardeuse des secrets de nos ancêtres. »

Christiane Saleh, Hyam Schoucair Yared, Rouba Saba Habib : Les héritières de la modernité

Christiane Saleh, Hyam Schoucair Yared et Rouba Saba Habib incarnent les nouvelles voix poétiques de la modernité au Liban. Leur poésie, bien qu’ancrée dans la tradition, s’ouvre à de nouvelles formes d’expression et à des sujets plus contemporains tels que la globalisation, les droits des femmes et l’influence de la culture occidentale. Leurs œuvres témoignent d’une évolution littéraire où la poésie devient un espace de réflexion sur le rôle des femmes dans un monde globalisé.

La poésie féminine libanaise est une constellation de voix uniques qui, malgré la diversité de leurs styles et de leurs thèmes, partagent un profond engagement pour la liberté, la mémoire et l’identité. De Nadia Tuéni à Joumana Haddad, en passant par Zeina Hashem Beck et les nouvelles générations comme Hala Katrib et Chloé Kattar, ces femmes poètes expriment un Liban multiple, en perpétuelle quête de sens. À travers leurs vers, elles affirment leur rôle non seulement en tant que gardiennes de la culture, mais aussi en tant qu’actrices d’un changement social et littéraire. Puissent leurs voix résonner aux oreilles des hommes.

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