Breyten Breytenbach : le poète de l’exil nous a quitté

Photo : © Yolande Breytenbach

Le 24 novembre 2024, à Paris, le poète, écrivain et peintre sud-africain Breyten Breytenbach s’est éteint à l’âge de 85 ans. Figure majeure de la littérature afrikaans et militant acharné contre l’apartheid, il aura marqué son siècle par une œuvre poétique à la croisée de l’engagement et de l’introspection. Breytenbach était bien plus qu’un écrivain : il était une voix, une flamme, un éclat dans l’obscurité.

Un itinéraire d’exil et de résistance

Né le 16 septembre 1939 à Bonnievale, dans la province du Cap, Breyten Breytenbach a grandi au sein de la communauté afrikaner. Très tôt, il rejette les valeurs conservatrices de son milieu, notamment la ségrégation raciale instaurée par l’apartheid. En 1961, à l’âge de 22 ans, il quitte l’Afrique du Sud pour s’installer à Paris, terre d’accueil et de liberté, où il épouse Yolande Ngo Thi Hoang Lien, d’origine vietnamienne — un mariage interdit par la loi sud-africaine à l’époque.

Son engagement contre l’apartheid devient le fil rouge de sa vie. Lors d’un retour clandestin en Afrique du Sud en 1975, il est arrêté et condamné à sept ans de prison, dont deux passés à l’isolement. De cette période sombre naît Confession véridique d’un terroriste albinos, récit poignant et empreint d’une rare lucidité, où il dépeint l’absurdité de l’oppression et le prix à payer pour l’idéal de liberté.

Une poésie entre rage et lumière

Breyten Breytenbach, dont les poèmes sont majoritairement écrits en afrikaans, a publié une cinquantaine d’ouvrages, mêlant poésie, essais et récits. Dès son premier recueil, Die ysterkoei moet sweet (La vache de fer doit transpirer, 1964), il impose un style singulier, à la fois lyrique et empreint d’un profond questionnement social. Sa plume, à la fois acérée et délicate, explore les thèmes de l’exil, de la liberté et de la nature humaine.

Parmi ses œuvres majeures figurent Om te vlieg (Pour voler) et Lotus, ce dernier écrit durant son emprisonnement. Dans ces poèmes, il mêle réflexions métaphysiques et images viscérales de captivité, dans un langage qui transcende les frontières. « Les mots étaient ma liberté », écrira-t-il, confirmant que son écriture était son arme la plus puissante contre l’injustice.

Un peintre des mots et des images

Breyten Breytenbach n’était pas seulement un poète. Peintre prolifique, ses toiles témoignent de la même intensité que ses textes, oscillant entre abstraction et expressionnisme. Son art visuel, tout comme sa poésie, capte la fracture de l’âme humaine et la complexité de l’existence. Il expose régulièrement en Afrique du Sud, en Europe et au-delà, faisant dialoguer les mots et les images pour construire un univers profondément personnel.

Un engagement indéfectible

Malgré l’abolition de l’apartheid en 1994, Breyten Breytenbach est resté un critique acerbe de la nouvelle élite sud-africaine, qu’il qualifiait de « parade sans fin de clowns corrompus et indifférents ». Ce regard lucide sur les écueils de la démocratie post-apartheid reflète son attachement viscéral à une justice véritable et à une société équitable.

En parallèle, il a œuvré pour la paix et la réconciliation en Afrique en dirigeant l’Institut Gorée au Sénégal, un centre dédié à la promotion de la paix sur le continent. Mais Paris, la ville qui l’avait adopté, est restée son port d’attache. Naturalisé français en 1982, Breyten Breytenbach a reçu de nombreuses distinctions, dont le titre de commandeur des Arts et des Lettres.

Un poète salué par le monde entier

À l’annonce de son décès, les hommages affluent. L’ancien ministre français de la Culture, Jack Lang, a salué en lui « un rebelle au cœur tendre, éclaireur des consciences et défenseur acharné des droits humains ». Sa fille, Daphnée Breytenbach, a exprimé sa douleur dans un vibrant message : « Il laisse un vide immense. Ses mots, ses toiles, son imagination et sa résilience continueront à nous guider. »

Dans son pays natal, où il partageait encore des séjours réguliers, les commémorations s’organisent pour honorer sa mémoire. Les lecteurs, eux, se tournent vers son œuvre, trouvant dans ses mots une force intemporelle.

Un héritage éternel

Breyten Breytenbach laisse derrière lui une œuvre qui transcende les genres et les frontières. En donnant à l’afrikaans — langue souvent associée à l’oppression — une dimension universelle, il a redéfini son rôle et sa portée dans la littérature mondiale. Ses poèmes, vibrants d’humanité, d’indignation et de lumière, resteront une source d’inspiration pour les générations à venir.

Dans l’écho de ses vers, le monde littéraire et artistique entend encore sa voix : celle d’un poète indomptable, dont les mots continueront de résonner bien au-delà de son temps.

Apéro-poésie avec Bruno Doucey #47 / Breyten Breytenbach

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