
01 Avr Ruth Lasters, future Poétesse de Belgique – la voix d’un pays pluriel
C’est dans l’effervescence intellectuelle du Passa Porta Festival, ce dimanche 30 mars 2025, que s’est levé le voile sur l’identité de la future Poétesse de Belgique : Ruth Lasters. L’annonce, faite en clôture de ce rendez-vous littéraire bruxellois incontournable, a été saluée comme un symbole fort du dialogue entre les cultures du royaume. Celle qui succédera à Lisette Lombé en mars 2026 incarne une nouvelle voix poétique, ancrée dans les réalités sociales, éducatives et linguistiques du pays.
Une tradition littéraire fédératrice
Depuis 2014, la Belgique s’est dotée d’un « Poète national », une fonction créée pour tisser des liens entre les trois grandes communautés linguistiques du pays. Le rôle, symbolique mais influent, consiste à écrire au moins douze poèmes en deux ans, en prise directe avec l’actualité, l’histoire ou la société belge. Ce mandat, tournant, passe d’une langue à l’autre : français, néerlandais, puis, espérons-le un jour, allemand. Il ne s’agit pas tant d’un poste officiel que d’une mission artistique et citoyenne, soutenue par un consortium d’institutions littéraires.
Lisette Lombé, actuelle détentrice du titre, continuera d’incarner cette fonction jusqu’en mars 2026. Elle travaillera en étroite collaboration la nouvelle élue durant l’année de transition. Dimanche soir, dans un moment empreint d’émotion, les deux poétesses ont offert une lecture bilingue à deux voix, premier geste public de cette passation. À travers leurs mots entrelacés, le public a pu saisir ce que la poésie peut encore, aujourd’hui, en matière de dialogue et de réconciliation.
Ruth Lasters : une voix libre et engagée
Née à Anvers en 1979, Ruth Lasters n’est pas une inconnue dans le paysage littéraire flamand. Son premier roman Poolijs (2006) a été couronné du Prix du meilleur premier roman en Flandre. Elle a depuis publié trois autres romans, mais c’est en poésie que son talent s’est le plus affirmé. Ses recueils Vouwplannen (2007), Lichtmeters (2015) – traduit en allemand et en espagnol – et Tijgerbrood (2023) ont été salués pour leur exigence formelle et leur portée humaine.
Lasters est aussi une intellectuelle engagée. En 2022, elle a été l’une des cinq poètes de la ville d’Anvers, mais a quitté ses fonctions lorsqu’un de ses poèmes, critiquant la politique éducative, a été censuré par la municipalité. Ce refus de compromis lui a valu, en 2023, le prestigieux Prix Ark de la liberté d’expression. « Nous ne devons pas nier la frontière linguistique, mais la poésie joue un rôle de liant. Je veux mettre en lumière les similitudes entre les communautés », a-t-elle déclaré, réaffirmant son attachement à une Belgique unie par les mots plutôt que divisée par les langues.
Une continuité dans l’engagement
Ce passage de témoin entre Lombé et Lasters ne se limite pas à un changement de langue ou de style : il s’inscrit dans une continuité d’engagement. Lisette Lombé, poétesse féministe et afrodescendante, avait placé son mandat sous le signe de la lutte contre les discriminations. Ruth Lasters, quant à elle, entend prolonger cette dynamique en insistant sur le rôle émancipateur de l’éducation et sur la nécessité d’un discours poétique qui transcende les clivages identitaires.
La nomination de Ruth Lasters vient donc confirmer la vocation du rôle de Poète de Belgique : un espace de parole libre, critique et rassembleuse. Un territoire poétique, où les voix de toutes les communautés peuvent se croiser, s’écouter et peut-être même se comprendre.
Déjeuner
«Quiconque estime que les figures du Déjeuner sur l’herbe ont terminé leur repas –après tout, elles ne sont pas en train de manger–
va-t-il bonté divine parler, pour que tout soit bien clair,
de l’Après déjeuner sur l’herbe?
Et ceux qui croient qu’il s’agit d’un pré-pique-nique–
les deux messieurs vêtus et la dame nue au premier plan patientant un peu avant de s’emplir l’estomac
tandis qu’une autre se baigne–, tiennent-ils encore à ne parler que de l’Avant déjeuner sur l’herbe?
En fin de compte, on ne voit pas une seule miette sur cette toile intitulée à l’origine, de façon explicite et idéale, Le Bain. N’allez surtout pas dire : «La bouteille d’eau est manifestement vide». Ils peuvent très bien
l’avoir bue par avance dans la forêt.
Une pleine corbeille à pain tiendrait aisément sous le chapeau. Quant au plaid bleu froissé, il n’est pas lui non plus une preuve concluante de l’Après. Tout au plus suggère-t-il cette hypothèse. Un flou verbal tel celui du titre actuel
est en quelque sorte une menace vitale. Il se décuple et finit par briser l’arbre moteur du langage. Impossible dès lors de penser quoi que ce soit d’autrui, alors qu’autrui peut développer des idées sur nous, nous épinglant pour la moindre chose et pour une durée indéterminée
d’un «bizarre», d’un «aberrant» ou d’un «Asperger» paralysant. Juste au moment où la personne qu’on aime nous emmène en dernier ressort au musée d’Orsay, une loupe à la main.»
ARuth Lasters – Déjeuner
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