
07 Avr Les Treize et leurs amis – Quatrains de vacances et autres poèmes-cartes postales
Les Treize et leurs amis – Quatrains de vacances et autres poèmes-cartes postales
Grégory Haleux – Éditions de L’Éthernité

Rééditer, documenter, mais aussi recréer. Tel est l’objectif réussi de Les Treize et leurs amis – Quatrains de vacances et autres poèmes-cartes postales, publié par les Éditions de L’Éthernité sous la direction de Grégory Haleux
En 1913, alors qu’il séjourne à Villequier pour tenter une réconciliation avec Marie Laurencin, Apollinaire répond à une enquête littéraire de la rubrique La Boîte aux Lettres de L’Intransigeant par un quatrain envoyé sur une carte postale. Ce geste inaugural déclenche un concours : les lecteurs et auteurs sont invités à envoyer leurs propres quatrains de vacances. Trente-cinq contributions paraîtront dans le journal entre août et octobre.
« Ô Bateaux Souvenirs et vous Nuages Flottes
Qui fuyez la Sirène et les feux d’un cargo
Je suis à Villequier au milieu des pilotes
C’est ici que mourut la fille de Hugo »
(Guillaume Apollinaire, L’Intransigeant, 19 août 1913)
Près de 110 ans plus tard, en 2022, les Éditions de L’Éthernité relancent ce concours poétique, fidèle à l’esprit originel. Des écrivains contemporains sont invités à y participer, en composant eux aussi des quatrains illustrés par des cartes postales. Le recueil édité par Grégory Haleux fait ainsi cohabiter les textes d’auteurs de 1913 et ceux de leurs héritiers modernes.
Parmi les contributeurs de cette nouvelle édition figurent notamment Francis Mizio, auteur et chroniqueur, qui saluera l’initiative en évoquant « une belle manière de renouer avec la poésie de circonstance, ludique et visuelle, le tout dans un format resté intact depuis un siècle : la carte postale ».
Ce retour du quatrain-carte postale dans la création actuelle souligne l’intuition d’Apollinaire, qui percevait déjà en 1913 le potentiel poétique de ce support bref, banal, mais puissamment évocateur. Le geste s’inscrivait dans sa volonté de rapprocher l’art de la vie, de capter le réel dans sa mobilité – démarche que l’on retrouvera quelques années plus tard dans Calligrammes (1918), et dans ses poèmes visuels.
Grégory Haleux, historien de la littérature, restitue cette dynamique dans un appareil critique remarquablement documenté, s’appuyant sur des sources premières (L’Intransigeant, Souvenirs sur Apollinaire de Louise Faure-Favier, écrits de Max Jacob, Billy, Salmon…). Chaque poème est accompagné d’une reproduction de carte postale et d’une notice explicative – parfois même d’anecdotes biographiques inédites.
Avec ce volume, les Éditions de L’Éthernité ne se contentent pas de restaurer une tradition oubliée. Elles la projettent dans le présent, en montrant combien ce format – le quatrain-carte postale – reste pertinent dans notre monde saturé de messages rapides mais souvent dénués de sens.
Ce projet éditorial incarne ainsi une forme de résistance douce, qui remet la poésie dans le paysage, littéralement : à travers les lieux évoqués, les sites de France (comme en 1913), les visuels des cartes, mais aussi dans l’attention portée au rythme, à la brièveté, à la musicalité du vers.
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