Les Cinquantièmes hurlants

Photo : F. Mantovani © Gallimard
Les Cinquantièmes hurlants
Tom Buron – Éditions Gallimard

« Au-dessous de 40° sud il n’y a plus loi. Au-dessous de 50° sud il n’y a plus Dieu. »

(Les Cinquantièmes hurlants, extrait)

Avec Les Cinquantièmes hurlants, publié chez Gallimard, Tom Buron signe une œuvre fulgurante, qui bouscule les codes de la poésie contemporaine tout en renouant avec les grandes fresques épiques. L’auteur, déjà remarqué pour La chambre et le barillet, Marquis Minuit, Le nom du son et Nadirs, déploie ici un monologue marin halluciné, traversé par la fureur des vents australs et la quête d’un absolu insaisissable.

Au cœur de ce poème, un capitaine aux allures d’Achab moderne prend la barre de l’Augusto et nous entraîne dans l’enfer liquide des cinquantièmes hurlants, cette zone maritime de l’hémisphère sud où ni loi ni Dieu ne tiennent. Ce n’est pas seulement un homme contre la mer, c’est un homme contre le monde, contre lui-même, dans un combat où la tempête devient le miroir d’un vertige intérieur. La mer, métaphore ancienne, retrouve ici une puissance archaïque et sidérante.

Buron orchestre cette traversée comme un opéra dantesque, alternant souffle lyrique et tension dramatique, nourri d’une langue dense, sans concessions, portée par le vers libre qu’il manie avec une rigueur formelle étonnante. Car s’il rejette les carcans classiques, l’auteur refuse aussi l’anarchie molle du vers contemporain : chez lui, chaque mot est une manœuvre, chaque ligne une bordée. Il s’agit de bâtir une architecture du chaos, une musique du tumulte.

Cette quête, floue mais ardente, échappe aux narrations balisées. L’île recherchée n’est jamais atteinte, jamais vraiment définie. C’est l’image d’un ailleurs, d’une révélation peut-être, que poursuit ce capitaine mystique. La mer, quant à elle, est décrite avec une précision qui trahit l’expérience de l’auteur, embarqué jadis dans une traversée de la Méditerranée pour livrer de l’aide humanitaire à Odessa. Cette réalité, loin du mythe, irrigue le texte d’un réalisme charnel : on sent les vagues, on entend les haubans gémir.

Un manifeste poétique

Mais Les Cinquantièmes hurlants n’est pas seulement un poème de mer, c’est un manifeste poétique. Buron y défend une conception incarnée, physique, exigeante de la littérature. Il y mêle aventure et poésie, jazz et chants de marins, boxe et écriture — dans une fusion où chaque discipline éclaire l’autre. Le verbe est ici un corps à corps avec le réel, un exercice de shadow boxing où l’on frappe l’air pour mieux se façonner soi-même.

Ce livre est à lire à voix haute, à hurler face aux embruns, à écouter, même, tant il se prête à la performance scénique. La version musicale, conçue avec le trompettiste Frédéric Aubin, ajoute une dimension rituelle à cette odyssée littéraire. Une heure de transe salée et de poésie pulsée par le blues, le jazz et les chants d’équipage.

Les Cinquantièmes hurlants est un livre rare, à la croisée des genres et des vents, qui affirme avec force que la poésie peut encore être un acte de bravoure, un appel à l’abîme, une traversée du feu. Tom Buron ne se contente pas d’écrire la mer : il l’habite, il l’affronte, il la rêve.

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