Stéphane Bataillon, itinéraire d’un poète embarqué

Photos : © Bruno Arbesu

Chaque semaine, il clôt La Croix L’Hebdo par un poème. Il écrit pour les enfants, fait composer des chefs d’entreprise, sème des vers dans les écoles ou sur Instagram. Journaliste, poète, passeur, Stéphane Bataillon est un homme de terrain, de transmission, de circulation. Fondateur du magazine numérique Gustave, il s’attache à faire rayonner la poésie sous toutes ses formes, en la rendant accessible et vivante. Rencontre avec un artisan des mots qui croit au pouvoir d’un vers qui trinque au bon moment.

Un souffle à contre-courant

Tout commence par une intuition : et si la poésie n’était pas cantonnée à la marge ? Lorsque La Croix lance son hebdomadaire, Stéphane Bataillon embarque dans l’aventure. Il propose une idée simple, presque discrète : une page de poésie en fin de journal. « Un poème pour la route. » Une respiration. Une manière d’offrir des mots qui élèvent, qui déplacent.

Ce qui aurait pu rester un détail est devenu une signature. Chaque semaine, un poème contemporain, récemment publié, est choisi, contextualisé, commenté. « L’idée, c’est que n’importe qui puisse entrer dans le poème. Pas besoin d’un doctorat pour ressentir quelque chose. »

Un deuil transformé en élan

Stéphane Bataillon ne vient pas du sérail littéraire. La disparition de sa première épouse, Sarah, a profondément bouleversé sa trajectoire. Il en parle peu, mais ne cache pas que cette perte a renforcé son lien à la poésie. Non pas comme refuge, mais comme chemin de traversée. Un engagement. Une manière de dire, d’écouter, de continuer à relier.

Le verbe comme vocation

C’est par cette épreuve qu’il entre en poésie, grâce notamment à  la rencontre avec Bruno Doucey, alors directeur des éditions Seghers qui lui propose de travailler sur un premier recueil et une première collaboration, l’anthologie « Poésie de langue française » parue en 2008. Il suit ensuite l’éditeur, devenu ami, dans l’aventure de création de sa maison d’édition, les éditions Bruno Doucey, à la croisée du verbe et du monde. Il y publie quatre recueils, d’nos ombres s’épousent, en 2010 à Permettre aux étoiles, en 2024.

Refusant les chapelles, il revendique une poésie directe, vibrante, qui se déploie dans les classes, les entreprises, les festivals. Dans La Croix L’Hebdo, il fait dialoguer voix établies et plumes émergentes : Clara Ysé, Arthur Teboul, Cécile Coulon… De la poésie sonore au vers libre bilingue. « Il faut de tout. Mais toujours quelque chose qui parle. »

Semer dès l’enfance

La poésie, pour lui, ne se limite pas à l’édition. Elle doit circuler, toucher, s’ancrer. C’est l’esprit de Gustave Junior, revue créée pour les enfants, diffusée gratuitement dans des centaines de classes. Un projet né d’un constat simple : les recueils contemporains manquent à l’école. Il fallait un format léger, adapté, accessible, librement imprimable. L’accueil est enthousiaste. « Si l’on veut que la poésie vive, elle doit être lue tôt. Et pour cela, nous avions envie de proposer avec l’équipe un support et une poésie directe et accessible, ce qui ne veut pas dire simpliste. »

Un lieu pour écrire, un monde à habiter

Il y a toujours un point de départ. Pour lui, c’est souvent dans un lieu de passage, au coeur de la journée, comme un couloir de la station de métro Nation, à Paris. Lieu d’écriture, de transit, de méditation urbaine. Il y écrit, souvent sans même s’en rendre compte. « J’ai réalisé que j’avais l’idée d’un poème très souvent à cet endroit. Sans l’avoir cherché. »

Ce lieu dit quelque chose de sa démarche : une poésie de l’instant, populaire, connectée au réel. Une inspiration tissée dans les failles du quotidien. 

« La poésie n’est pas une question de style mais une question d’écoute. »

Des mots qui relient

Stéphane Bataillon parle aussi de la poésie comme d’un acte de soin. Il anime des ateliers d’écriture jusque dans les entreprises. Il fait écrire des haïkus à des dirigeants du CAC 40, parfois bouleversés. « Le poème permet de laisser remonter et de formuler nos vérités intimes. Pas besoin d’en faire trop. Ce qui compte, c’est le poème qui emerge, comme une pierre précieuse car sincère, pour soi. Et peu-être our les autres. »

Il se voit comme un médiateur. Un passeur. Avec cette conviction : un bon poème, c’est celui qui ouvre une porte.

Poésie pop et spirituelle

Chez lui, spiritualité et culture pop cohabitent sans contradiction. Il cite la Bible, Leonard Cohen, les mangas ou les Maîtres de l’univers. Il parle de vibration, de frisson, d’énergie. « J’aimerai que la poésie que je fais entendre pulse suffisamment pour recharger les gens. Comme une chanson. »

Il défend une poésie vivante, incarnée, à rebours du texte figé. Il affectionne les formes brèves, les fulgurances. Le haïku, qu’il pratique et enseigne, est pour lui un art de vivre : concentrer le monde en trois vers.

Un carnet numérique

Depuis 2005, il tient son site personnel à la fois atelier d’artiste et galerie. Il le code lui-même, le veut sobre, fonctionnel, à rebours des injonctions de performance. Il y archive ses poèmes, ses lectures, ses initiatives. Les réseaux sociaux ? Il s’en méfie, mais y revient parfois. Parce qu’un poème reçu le matin peut changer une journée.

Habiter le monde en poète

Stéphane Bataillon n’a pas choisi d’être poète. Il l’est devenu parce que la poésie s’est imposée à lui comme une manière de vivre. Elle structure son quotidien, ses gestes, sa façon d’être au monde. Il n’écrit pas pour briller, mais pour transmettre, relier, offrir.

Chaque semaine, il poursuit. Un poème pour la route. Une main tendue. Une tentative de lien. Et si, finalement, être journaliste, c’était aussi cela ?

GUSTAVE

Un magazine de poésie numérique et gratuit

Depuis le confinement de 2020, Stéphane Bataillon a transformé son fanzine personnel, Gustave, édité depuis ses années de lycée, en journal de poésie numérique et gratuit destiné à faire découvrir la richesse de la poésie contemporaine. Un format léger de 4 à 8 pages présente des poèmes inédits de voix connues ou émergentes mêlant les écoles et les générations. Le numéro 127, tout juste paru, conçu avec les poètes Alexis Bernaut et Samantha Barendson, est présente le résultat d’un jeu littéraire au fil des frontières.  » Il commence par un poème « Traducteurs », d’Alexis Bernaut, en français, explique Stéphane Bataillon. Ce poème, nous l’avons envoyé à un autre poète, dans un autre pays, qui ne connait pas le français, avec la consigne d’en proposer sa propre version, mais sans avoir recours à des outils de traduction, qu’ils soient numériques ou papier. À l’intuition. Selon la musique qu’il perçoit. Les idées qui lui viennent. Un poème dans sa langue à lui est là. Il l’envoie à un.e autre poète, d’un autre pays selon le même principe, etc. Ainsi, de poète en poète et de langue en langue, une chaîne d’union permet à l’harmonie de résonner. Revenant, une fois sur deux, à la francophonie. » Au final, 6 langues et 12 auteurs rythment les pages de ce numéro à découvrir sur le site du journal : www.gustavemagazine.com. Depuis 2022, Gustave a aussi un petit frère, Gustave Junior (www.gustavejunior.com) destiné aux enfants de 7 à 12 ans, aux enseignants et aux bibliotécaires. Proposé sur le même principe d’un magazine numérique coloré de 8 pages à imprimé chaque trimestre. Il est réalisé par une équipe dédiée rassemblée autour de Stéphane, de la rédactrice en chef et poétesse Fabienne Swiatly et du Centre de créations pour l’enfance de Tinqueux.

Repartir en campagne
sous la bannière
des dieux anciens

Faire revenir les fleurs
sur cette terre stérile
la couvrant de rosée

Et rallier ce chant
murmuré à l’oreille

Que résonnent nos royaumes.

Entonne – 22-04-2025

Stéphane Bataillon… en bref 

Parcours littéraire

Son premier recueil, Où nos ombres s’épousent (Éditions Bruno Doucey, 2010), est salué comme l’une des révélations poétiques de l’année. Ce livre, né d’une expérience de deuil, marque le début d’une œuvre poétique mêlant contemplation du quotidien, réflexion sur les nouvelles technologies et motifs empruntés aux littératures de l’imaginaire, notamment la fantasy.

En 2013, il publie Les Terres rares, un recueil évoquant la paternité et la redécouverte du monde à travers l’attente d’un enfant. Son troisième recueil, Contre la nuit (2019), se présente comme un manuel poétique d’écologie numérique, résistant à l’emprise des GAFAM en temps incertains. En 2024, il publie Permettre aux étoiles, poursuivant son exploration des liens entre poésie et spiritualité.

Engagements et initiatives

Stéphane Bataillon est grand reporter et critique littéraire à La Croix L’Hebdo, où il anime la rubrique « Un poème pour la route » et le blog associé . Il est également membre du conseil d’administration de l’association Écriture & Spiritualités et anime, avec le collectif Causeries mortelles, des soirées d’échanges autour de la mort.

En 2020, il fonde Gustave, un mensuel numérique de poésie, et en 2022, Gustave Junior, le premier journal gratuit de poésie pour enfants, réalisé avec le Centre de créations pour l’enfance de Tinqueux .​

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