
16 Mai Entr’acte
Entr’acte
Deepankar Khiwani – Traduit de l’anglais (Inde) par Nina Cabanau – Éditions Banyan

« Maintenant que ce silence détruit ne se brise plus, Je cherche la célébration dans ces cieux éclatés ! Mais comme cette lumière saigne à travers l’obscurité qu’elle a déchirée, Je regarde, et souhaiterais être capable de fermer les yeux. »
(Entr’acte, extrait)
Publié en 2006 par Harbour Line à Mumbai et récemment réédité en édition bilingue par les Éditions Banyan, Entr’acte est le premier recueil de poèmes de Deepankar Khiwani (1971–2020). Cette œuvre singulière explore les thèmes de l’identité, de l’exil et de la quête de soi, reflétant la complexité d’un homme partagé entre une brillante carrière dans le secteur technologique et une passion discrète pour la poésie.
Une poésie née du silence
Deepankar Khiwani n’était pas un poète professionnel. Il menait une carrière brillante dans le secteur technologique entre l’Inde et la France, mais écrivait dans l’ombre. Comme le souligne Bernard Turle dans Recours au Poème, c’était un poète « sinon honteux, du moins caché », dont l’écriture relevait d’un besoin intérieur profond. Cette tension entre la vie sociale efficace et l’obsession du langage confère à Entr’acte une gravité et une retenue rares.
La note dominante de ce recueil est indéniablement la nostalgie, mais une nostalgie qui ne verse jamais dans la complaisance. Khiwani revisite ses souvenirs – adolescence, objets familiers, scènes d’enfance – avec lucidité et parfois autocritique. Il sait accueillir le sentimentalisme comme une réponse fragile à la pression du monde, mais il le contrebalance d’ironie et de rigueur formelle. Son écriture est spirituelle, équilibrée, et son ironie douce agit comme un filtre protecteur face à la douleur.
Entre observation et dédoublement
Khiwani se montre particulièrement attentif aux détails du quotidien. À travers une « phénoménologie de moments scrutés », il ralentit volontairement le rythme pour mieux cerner l’émotion. Le familier est interrogé dans ses angles morts : un poète ivre tombe d’une chaise, un miroir se fissure, un visage se démultiplie. Cette poésie du détail devient presque une liturgie des choses transitoires. Elle élève l’instant au rang d’image : la fenêtre, le vase, le corps vu dans sa fragilité – tout devient porteur de signification.
Ranjit Hoskote parle d’une poésie « rythmée, spirituelle », dont l’architecture méticuleuse ne masque jamais l’émotion, mais l’exprime autrement. De son côté, Anand Thakore évoque un univers où « les miroirs, les aéroports, les vases, les amis, les amants et les collègues poètes » deviennent les pièces fragmentées d’un paysage hanté par l’exil intérieur.
Le refus de l’esbroufe
Il faut insister sur la dimension formelle de Entr’acte. Chez Khiwani, il n’y a pas de démonstration virtuose ou de lyrisme flamboyant. Tout est maîtrisé, tendu, souvent classique dans la structure – mais toujours surprenant dans la pensée. La poésie devient alors l’exploration d’une zone frontière : entre soi et l’autre, entre réalité et artifice, entre perte et désir. Arundhathi Subramaniam le dit parfaitement : Khiwani sonde « la vie à moitié écrite et mal orthographiée », pour en extraire des instantanés d’une lucidité tranchante.
C’est cette « nostalgie océanique du présent », selon Jeet Thayil, qui donne à ses poèmes une couleur si particulière : un chant discret mais profond, traversé de récits intimes et de deuils invisibles. Et surtout, ces poèmes « passent le premier test d’une bonne poésie », nous rappelle un critique indien : ils donnent envie d’être relus, encore et encore.
Les éditions Banyan : un pont entre l'Inde et la France
Créées en 2015 par David Aimé, les éditions Banyan constituent la seule maison en France exclusivement dédiée aux littératures de l’Inde. Elles s’efforcent de publier en français des œuvres inédites ou peu connues du sous-continent indien, couvrant un vaste panorama : romans, essais, poésie, théâtre, science-fiction et littérature jeunesse. Leur mission est de faire découvrir la richesse et la diversité des littératures indiennes, en traduisant des textes issus de différentes langues et régions de l’Inde, souvent méconnus du public francophone. En proposant des éditions bilingues, notamment pour la poésie, les éditions Banyan permettent aux lecteurs de goûter à la musicalité et à la profondeur des textes originaux, tout en offrant une traduction fidèle et accessible. Cette démarche contribue à créer un pont culturel entre l’Inde et la France, en mettant en lumière des voix littéraires singulières et puissantes.
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