« Un poète » : Prix du Jury – Un Certain Regard, Cannes 2025

Photo : UN POETA © Juan Sarmiento G.

Parmi les œuvres les plus singulières repérées à Cannes cette année, Un poète, de Simón Mesa Soto, s’impose comme une comédie noire, tendre et désabusée, sur la dignité improbable de l’échec. Un film aussi drôle qu’amer, porté par un anti-héros inoubliable : Óscar, poète raté et professeur sans vocation, qui incarne tout ce que la littérature n’a pas sauvé

Portrait d’un naufragé

Óscar Restrepo, interprété avec une grâce maladroite par Ubeimar Ríos, n’a pas écrit depuis longtemps. Il se dit encore poète, mais c’est surtout une manière de garder la tête hors de l’eau, ou de s’inventer une légitimité dans une vie qui semble n’en offrir aucune. Il habite chez sa mère, boit trop, peine à parler à sa fille, et ressasse avec aigreur une époque où il croyait encore à la littérature. Sa haine un peu comique pour García Márquez en dit long : Óscar est un homme qui n’a pas digéré de ne pas avoir brillé.

Le film aurait pu se contenter de moquer cette figure en déroute. Mais Simón Mesa Soto, avec une finesse mordante, préfère la suivre dans ses faux départs, ses petits revirements et ses grands ratages. Óscar accepte un poste d’enseignant, croit entrevoir une rédemption lorsqu’il découvre les talents d’écriture d’une de ses élèves, Yurlady (saisissante Rebeca Andrade), mais l’espoir est une matière trop instable pour que cela tienne.

La poésie comme terrain miné

Ce qui s’ouvre entre Óscar et Yurlady n’est ni une romance ni une parabole sur la transmission. C’est un malentendu persistant entre deux visions du monde. Elle écrit, oui, mais sans chercher à être sauvée. Lui voit dans ses mots une renaissance pour lui-même. Elle accepte les codes du jeu poétique – jusqu’à participer à un festival – mais garde la distance tranquille de ceux qui n’attendent pas grand-chose. Lui, au contraire, croit encore que l’art pourrait le laver de ses médiocrités. C’est précisément là que le film trouve sa justesse : dans cette dissonance entre ce qu’on projette sur l’autre et ce que l’autre est réellement prêt à porter.

Le festival de poésie, avec ses artifices, ses postures, ses luttes de classes déguisées en débats littéraires, devient le théâtre grotesque d’un monde qui ne sait plus très bien ce qu’il célèbre. Les adultes, dans cette arène, sont de pathétiques pantins – vieux poètes ratés, organisateurs cyniques, enseignants absents – tandis que la jeunesse, plus lucide, n’en espère même plus d’issue. La poésie, dans cet espace, devient un décor : chacun y joue son rôle, mais personne n’y croit vraiment.

Éloge du ratage

Mais loin de tout désespoir, Un poète tire de cette misère morale une drôlerie salvatrice. Mesa Soto ne filme pas l’échec comme un drame, mais comme une esthétique. Il en fait une forme de résistance – une manière d’habiter le monde sans se compromettre, de refuser les règles, même si cela signifie tout perdre. Le film devient alors un manifeste discret mais puissant : mieux vaut rater avec panache que réussir à se trahir.

Loin d’un récit édifiant de rédemption ou de méritocratie, Un poète refuse le confort des arcs narratifs bien tracés. Il choisit l’errance, les écarts, les retours en arrière. Il montre des personnages qui ne sont pas là pour illustrer un propos, mais pour exister. Óscar ne triomphe pas, mais il apprend à regarder ceux qu’il avait négligés. Il ne s’élève pas, mais il consent, enfin, à poser les pieds sur terre.

Une comédie qui gratte

C’est aussi là la réussite du film : faire rire sans jamais ridiculiser. Óscar est grotesque, parfois insupportable, mais jamais méprisé. Il est l’ombre d’un idéal, et cette ombre, Mesa Soto la traite avec tendresse. Le comique naît du décalage, des illusions tenaces, des discours pompeux qui se cognent à la réalité. Mais jamais de supériorité.

Un poète, c’est l’histoire d’un homme qui voulait croire qu’écrire suffisait à vivre. Et qui découvre, un peu tard, que vivre, c’est plus compliqué. C’est aussi le regard d’un cinéaste qui ose se moquer de ses propres vertiges, et qui tire de cette auto-ironie une proposition artistique rare : un cinéma de l’échec, de la chute, de la vanité – mais dans lequel subsiste une dignité essentielle, celle de continuer malgré tout.

Simón Mesa Soto, avec ce deuxième long-métrage, confirme qu’il est l’un des regards les plus acérés du cinéma colombien. Et sans doute l’un des plus drôles.

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