Banafsheh Farisabadi : écrire pour respirer et pour résister

Photos : © DR

Poétesse et traductrice iranienne, Banafsheh Farisabadi trace sa route entre deux mondes, avec pour seule boussole la poésie. Un art vital, politique, intransigeant. Portrait d’une artiste pour qui l’écriture est indissociable de la mémoire et de la liberté.

Venue d’Iran avec une langue étrangère et une volonté intacte, Banafsheh Farisabadi incarne une voix féminine forte de la littérature contemporaine iranienne. En français comme en persan, elle tisse une œuvre profondément politique, nourrie de luttes, d’introspection et d’un constant dialogue avec le réel.

Une trajectoire entravée, jamais éteinte

Formée dans les cercles littéraires iraniens, elle s’y forge une place à la force des mots. Mais son premier recueil, Quelques minutes après le suicide, est frappé d’interdiction. Face au musellement institutionnel, elle refuse de se soumettre à la censure de la République islamique. Elle choisit les circuits libres, ceux qui échappent à l’emprise du pouvoir, et poursuit son chemin dans l’ombre mais avec détermination. Sa plume, traduite en anglais et en turc, circule dans les revues et anthologies de la diaspora. Depuis, elle traduit aussi la littérature française en persan – de Victor Hugo à Camus, en passant par Atiq Rahimi – construisant ainsi un pont entre deux langues, deux mondes, deux visions du combat.

Écrire, une nécessité intérieure

Sa poésie n’est pas une routine, mais une urgence. Elle écrit « quand elle ne peut pas ne pas écrire », portée par une nécessité intérieure presque insoutenable. Cette exigence donne à son œuvre une densité rare. Loin des automatismes, chaque texte est le fruit d’une immersion profonde dans l’intime, traversée par les blessures collectives de son peuple. Sa voix s’élève, tendue entre mémoire personnelle et résonance universelle, dans une langue choisie – le français – qui accompagne, sans effacer, son refuge poétique originel : le persan.

Un cheminement fécond, une double source d’inspiration

Résidente en France depuis 2023, elle découvre un espace de création inédit. Le silence retrouvé dans les résidences, les paysages paisibles, les rencontres avec d’autres artistes : autant d’éléments qui contrastent avec la tension permanente de Téhéran. Mais son ancrage demeure double. Même en France, son inspiration reste nourrie par l’Iran, par ses luttes, ses femmes, son peuple meurtri. Cet arrachement devient source de création. La douleur se transforme. L’exil n’est plus une fuite, mais une revendication d’existence

La poésie comme acte politique, acte de résistance

Fidèle à une vision exigeante de la poésie, elle rejette les effets de mode et les slogans faciles. Pour elle, l’engagement ne se résume pas à une posture. Il doit être vécu, traversé, puis transfiguré. Elle écrit ce que la société lui impose de ressentir, sans précipitation, mais avec fidélité à ce qui la travaille. « La poésie engagée », dit-elle, « c’est quand les douleurs d’un peuple se confondent avec celles d’un poète ». Chaque traduction, chaque vers devient ainsi un acte de résistance face à l’effacement.

De l’ombre à la reconnaissance

Si ses débuts en France furent marqués par l’effacement, les festivals et les lectures publiques ont peu à peu révélé sa voix. Du festival Paroles Indigos à Arles aux Escales du Livre de Bordeaux, en passant par la Maison de la Poésie de Poitiers ou la Médiathèque Senghor à Saint-Médard-en-Jalles, elle partage aujourd’hui ses textes lors d’événements où se mêlent musique, traduction, et récitation bilingue. L’accueil du public, les échanges avec d’autres artistes, les retours enthousiastes nourrissent désormais son ancrage en terre francophone. Son recueil en français, attendu aux éditions Aux Cailloux des Chemins en septembre prochain, marque une nouvelle étape

Les Résidences Poétiques

Des refuges pour écrire

Depuis son arrivée en France, la poétesse a été accueillie dans plusieurs résidences littéraires qui ont profondément marqué son parcours. De la Fondation Camargo à Cassis au Chalet Mauriac en Gironde, en passant par la Maison Julien Gracq et le Collège International des Traducteurs Littéraires à Arles, ces lieux lui ont offert silence, concentration et respect. Elle y a mené ses projets d’écriture et de traduction dans un climat propice à la réflexion. Mention particulière pour la résidence du Four à Pain, en Lozère, qui lui a permis d’obtenir un Passeport Talent et qui constitue son premier et plus important soutien. Plus qu’un soutien logistique, ces espaces sont devenus pour elle des abris poétiques, où la nature apaise, où la langue s’affine, où la création trouve un souffle nouveau.

Hymne de la jeunesse fauchée*

« Que la voix de sa mère se joigne à l’infini,
avec les veines gonflées de son cou,
ses membres épars dans la ruelle,
sa tête, perdue, vacillante entre deux mains,
peut-être hantée par cettee pensée :
Dans ce dernier instant-là,
la chair de sa chair, a-t-il pissé ou non ?

Mélodie composée d’une femme de l’Est de Téhéran,
chant agrafé aux livres interdits ou approuvés,
au fil des siècles qui passent.
Herbes parfumées mêlées au riz du Nouvel An,
Norouz des millénaires à venir.
Salive du...
Noyé, marcheur des rêves,
somnambule des eaux vertes du Rhône,
mort qui franchit les confinents.

Que sa barbe de soie et ses yeux d’amande,
se joignent à l’avenir,
le chant sans égal de la mort en pleine jeunesse,
avec le récit précis des états étranges de sa mère,
peut-être hantée par cette pensée :
Dans ce dernier instant-là,
la chair de sa chair,
a-t-il pissé ou non ?

Ô mère ! La peur a une langue balbutiante,
honteuse face à un corps qui se dresse,
cet homme-cèdre aux yeux bandés,
qui ne perçoit pas la dernière marche.
Une langue soudée au palais,
soumise,
espérante,
dont les papilles sanglantes
seront triées entre les dents serrées,
pour se joindre aux marges des livres persans,
du primaire, à jamais,
et votre cri,
votre cri est vital :
des sanglots errants,
éparpillés jusqu’au bout de la ruelle,
peut-être hantés par cettee pensée : Dans ce dernier instant-là,
la chair de sa chair,
a-t-il pissé ou non ?

La peur : une espérance contractée dans les muscles des cuisses,
repoussant le dernier pas,
ajournant la dernière bouffée de cigarette.
Elle est cet espoir comprimé dans une vessie saturée,
prête à se briser.
Que son espoir se joigne aux siècles à venir,
en plus de vos yeux,
vos yeux qui cherchent, à jamais, un pantalon
dans les effets personnels de tous les morts jeunes.

Hymne de la jeunesse fauchée.
Son corps : une ode inachevée,
un fragment joint aux années à venir,
avec un pantalon propre et un espoir brisé dans la gorge,
composée par une femme
dont le cri déborda les murs de la maison.
Une femme
dont on n’a jamais su
si elle sombra dans la folie, ou non. »

 

*Le 8 décembre 2022, Mohsen, 22 ans, a été exécuté en Iran. Le 26 décembre 2022, Mohammad, iranien, 38 ans, s’est suicidé en se noyant dans le Rhône.

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