
28 Mai Bleue

« tu veux du sale
on va faire du sale
ça va être sale
Bleue est hors d’elle
tu veux du sale
qui aime cette expression
ceux qui la vivent la détestent
alors viens fais demi-tour
retourne-toi
je me souviens
quand le sale était roi
on avait la classe... »
(tu veux du sale, extrait p.2)
Il y a des textes qu’on lit, et puis ceux qu’on encaisse. Bleue appartient clairement à la seconde catégorie. Le genre de livre qu’on referme comme on sortirait d’un tunnel en apnée, la bouche pleine de terre, le cœur cabossé mais plus vivant que jamais. Publié dans la percutante collection Bookleg de maelstrÖm reEvolution, ce court recueil de 56 pages signé Émilie Sciot est un cri. Un cri long, ininterrompu, qui mêle punk, poésie, addiction et renaissance.
Poème sous tension
Bleue raconte la trajectoire d’une femme — enfant abîmée, ado en dérive, amoureuse camée, survivante en colère. Un parcours de fête et de ruine, de techno et de toxico, de fugues et de cures. Mais ce n’est pas un roman. Ni même un récit linéaire. C’est une déferlante poétique, construite comme un spoken word en surchauffe, une performance littéraire sous adrénaline.
Le style d’Émilie Sciot est brut, viscéral, haché. Ça file comme un slam. Ça claque comme un beat. Anaphores, ruptures de rythme, images crues, lexique de la rue, références pop et drogue en cascade : son écriture ne cherche pas à plaire — elle cherche à dire, à vider, à expulser. Et c’est là que le texte divisera.
Car Bleue, on l’aime ou on s’en éloigne. Certains seront happés par cette oralité électrique, cette urgence qui déborde de chaque page, cette rage qui devient musique. D’autres — plus sensibles à la prose sage, à la ponctuation bien rangée, au récit encadré — risquent de se sentir perdus, voire submergés. Ce livre ne prend pas la main du lecteur. Il le bouscule, le pousse dans les escaliers, puis lui tend un miroir. À lui de voir ce qu’il en fait.
Mais au-delà de la forme, Bleue est d’abord une question de fond : comment vit-on après les overdoses, les amours toxiques, les silences familiaux, les enterrements en série ? Comment fait-on, une fois que la fête est finie ? Le texte ne répond pas. Il montre. Il balance des fragments de vie comme des poèmes-munitions. Il trace une ligne entre l’enfance et le chaos, entre la dope et la dignité retrouvée. Et parfois, il touche droit au cœur.
Émilie Sciot signe ici un objet hybride, quelque part entre le journal d’une descente, le manifeste d’une survivante, et la playlist d’une génération shootée au manque. Une œuvre indocile, parfois éprouvante, souvent bouleversante. À lire à voix haute. À relire à demi-mot.
Alors oui, Bleue peut déranger. Mais c’est précisément ce qui le rend nécessaire. C’est un texte qui refuse la pose, qui évite le pathos, qui prend à témoin sans jamais demander pardon. Un livre pour celles et ceux qui veulent de la poésie qui mord.
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