Le Prix Rimbaud, ou la révolte nécessaire de la jeune poésie

Photos : © Creative Commons - "Coin de table" 1872 - Oeuvre d'Henri Fantin-Latour Huile sur toile Musée d'Orsay Donation de M. et Mme Émile Blémont, 1911 Toile la plus célèbre de l'artiste présentée dans l'exposition rétrospective du musée du Luxembourg de gauche à droite assis : - Paul Verlaine, - Arthur Rimbaud, - Léon Valade, - Ernest d'Hervilly - Camille Pelletan de gauche à droite, debout : - Elzéar Bonnier-Ortolan - Émile Blémont (le donateur) - Jean Aicard

Il ne faut pas chercher le prix Rimbaud là où l’institutionnel assoit ses fauteuils. Ce prix-là ne sacre ni les notables, ni les poètes de cour. Il flaire l’inattendu, débusque les voix neuves, et préfère les bruissements souterrains aux tonnerres consensuels. C’est un tremplin, un geste de reconnaissance et un appel d’air. Mais surtout, c’est une déclaration de guerre à la tiédeur poétique. Une guerre livrée depuis un lieu discret et mythique : la Maison de Poésie – Fondation Émile Blémont.

Une maison, une mémoire, une mission

Tout commence à la fin du XIXe siècle. Émile Blémont – poète, critique, éditeur et figure tutélaire de la bohème parisienne – lègue son hôtel particulier du 11 bis, rue Ballu, au cœur de ce que l’on appelait alors la « Nouvelle Athènes ». Une maison, donc. Mais aussi une vision : celle d’un lieu de création, de transmission et d’accueil pour la poésie francophone. Depuis sa reconnaissance d’utilité publique en 1928, la Maison de Poésie n’a jamais cessé d’être un carrefour.

Depuis 2016, Sylvestre Clancier en assure la présidence. Poète, essayiste, homme de lettres viscéralement attaché à la langue française, il a entrepris de réveiller les prix endormis de l’institution. Relancer, rehausser, réengager : une manière pour lui de « mieux faire connaître la poésie de langue française sur tous les continents », comme il le formule sobrement.

Sous son impulsion, les Grands Prix de la maison sont réactivés : le Grand Prix, le Prix spécial du jury, le Prix Verlaine, et surtout, le Prix Rimbaud.

En 2021, Linda Maria Baros est lauréate du Prix Rimbaud renouvelé pour son livre La Nageuse désossée Légendes métropolitaines paru aux éditions Le Castor Astral. Le premier poème du recueil « Je sors dans la rue avec l’ange » annonce le thème du livre (on est le 21 décembre 1989, la révolution vient d’éclater à Bucarest, « je rejoins les manifestants, je sors donc dans la rue avec la mort, écrit Linda à Sylvestre Clancier :

« Je sors dans la rue avec l’ange.
Comme une chaîne enroulée autour de la main. »

Et plus loin dans ce livre qui dénonce la cruauté des hommes, on peut lire :

« Ma main attachée comme une menotte
à la vision qu’elle a de la poésie. »

Ces deux vers sont tirés du poème « Le pistolet d’insémination », l’un des crédos poétiques de Linda Maria Baros.

Rimbaud, vraiment ?

Rimbaud, l’insoumis, le météore, le jeune homme parti trop tôt mais dont l’ombre électrique plane toujours. Un nom à manier avec précaution. Et pourtant, la Maison de Poésie en fait un outil. Non pas une idole, mais une exigence. « Le Prix Rimbaud n’est pas un hommage. C’est un repérage. Il distingue les voix émergentes de la poésie de langue française qui ont quelque chose à dire. Quelque chose d’essentiel. Et qui ne demandent qu’à être entendues. »

Ce prix, relancé récemment, n’est pas une compétition. Il ne se réclame pas d’un « meilleur poète » mais d’un geste, d’un choc, d’un surgissement. En 2022, il est allé au poète turc Aytekin Karaçoban pour son fort livre écrit en français : Le Silence sous la langue publié chez Mars-A. En 2023, il est allé à Arthur Billerey, jeune auteur d’« une poésie actuelle, très envolée, très guérie d’un formalisme artificiel», selon les mots du président. Son recueil La Ruée vers l’ombre (éditions Empreintes) explore la crise climatique, la désolation urbaine, la rime réinventée. « Comme une nouvelle couture », glisse-t-il. Au détour d’une belle envolée le poète constate :

« il a fait extrêmement chaud
dans les arbres cuits des banlieues »

En 2024, c’est Grégory Rateau qui l’emporte, pour Le Pays incertain. Poète sans attaches fixes, voyageur de Bucarest aux banlieues françaises, Rateau incarne cette poésie « sans préjugés », dont la langue écorche les illusions. « Il n’a pas froid aux yeux », confie Sylvestre Clancier. À l’image de ceux qui, comme lui, osent encore écrire avec le feu au ventre. 

« Je vous conjure de résister encore
de sentir la brûlure
d’épouser la flamme. »

Grégory Rateau – La complainte des poètes (extrait)

Une institution souple, engagée, vivante

Ce que révèle le Prix Rimbaud, c’est aussi la plasticité de la Maison de Poésie. Car elle ne s’enferme pas dans un académisme. En parallèle de ses prix – citons aussi le tout nouveau Grand Prix de traduction décerné à Abdelattif Laâbi pour sa version française des poèmes du jeune palestinien Najwan Darwish « Je ne suis pas un poète à Grenade » – elle publie des anthologies, comme 50 poètes contemporains 100 ans après Apollinaire ou encore, avec le Castor Astral, Haute Tension  40 poètes de 3 générations différentes et de 5 continents. Elle monte aussi des partenariats internationaux et anime des rencontres transgénérationnelles.

« La poésie française souffre d’images toutes faites », déplore Sylvestre Clancier. « Sans les petites maisons, sans les relais critiques indépendants, on passerait à côté d’auteurs majeurs. » D’où l’importance de réseaux souples, informels, amicaux. D’où l’appel constant à lire, relire, écouter, faire circuler les textes. « Nous sommes des passeurs », résume-t-il. Ni juges, ni mandarins.

Une sélection libre, collective et rigoureuse

Les lauréats ne postulent pas. Ce sont les membres du jury – un collège éclectique de poètes, traducteurs, chercheurs – qui lisent, débattent, découvrent. Parfois grâce à un éditeur engagé, souvent à la faveur d’une rencontre, d’un signal discret. Loin des grandes messes, la Maison de Poésie fonctionne comme un laboratoire artisanal. Elle écoute ce que les autres oublient, lit ce que le marché néglige.

Et quand rien ne surgit avec assez de force ? Le prix n’est pas décerné. Pas de compromis. Pas de « remplaçant honorable ». L’exigence, là encore, fait office de boussole.

Le sens du risque, toujours

Car donner le Prix Rimbaud, ou le Prix spécial du Jury, c’est aussi s’exposer. « Il y a un risque à primer des œuvres en dehors des circuits dominants. Mais il est salutaire. » Ce risque, la Maison de Poésie le revendique. Elle l’assume comme elle assume ses choix d’éditeurs indépendants – L’Herbe qui tremble, La Rumeur libre, Mars- A, Les Éditions du Castor Astral – ou son attention aux voix singulières. Des poètes comme Linda Maria Baros, Aytekin Karaçoban, Brigitte Gyr, Baptiste Pizzinat ou encore Pauline Kamakine et Gaëlle Aubin l’ont démontré.

C’est là que ces Prix se distinguent : ils ne cherchent pas la reconnaissance, ils l’anticipent. Ils créent les conditions d’un futur. Ils engagent une parole neuve à entrer dans l’espace commun.

Un poing dans l’eau tiède

Alors non, le prix Rimbaud n’est pas une énième médaille accrochée à une veste littéraire. C’est un coup de projecteur sans esbroufe, une main tendue aux écritures de rupture. Un poing dans l’eau tiède. Son existence, c’est celle d’un souffle, d’une insistance : rappeler, inlassablement, que la poésie n’est pas un genre, mais un acte. Un acte de présence au monde.

Et cette présence, à la Maison de Poésie, est toujours en éveil

Maison de Poésie 

Fondation Émile Blémont

La Maison de Poésie – Fondation Émile Blémont, située au 11 bis rue Ballu dans le 9ᵉ arrondissement de Paris, est un lieu emblématique dédié à la célébration et à la promotion de la poésie. Fondée en 1928, cette institution reconnue d’utilité publique perpétue l’héritage du poète Émile Blémont en soutenant la création poétique contemporaine. Chaque année, la Maison de Poésie décerne plusieurs prix littéraires prestigieux, témoignant de son engagement envers la diversité et l’innovation poétiques.

Palmarès du Prix Arthur Rimbaud depuis 2021

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