
13 Juin Mag Lévêque : l’écriture comme terrain de lutte
Des voix inattendues émergent dans la poésie contemporaine. Mag Lévêque en fait partie. Lauréate du prix CoPo du jury 2025, elle trace une trajectoire singulière, à la croisée de la scène, de l’engagement et d’une parole littéraire sans compromis. Lors d’un long échange mené à l’occasion du festival Poésia à la Factorie, elle raconte comment elle est arrivée là, sans l’avoir vraiment décidé. « Je dis souvent que je n’ai pas choisi la poésie. Elle m’a accueillie. C’est simplement là où je pouvais être telle que je suis. »
Une créatrice avant tout
Mag Lévêque ne revendique pas d’étiquette : « Je fais des spectacles, j’écris des livres, mais tout ça fait partie d’un même geste. Mon métier, c’est de créer. » Issue du théâtre, cofondatrice du collectif offense, elle fabrique des objets hybrides mêlant écriture, arts plastiques, scénographie, musique et performance. Un travail qui dérange les programmateurs mais qui répond à une nécessité :
« Ne pas entrer dans des cases. »
Quand elle écrit son premier recueil, Tant qu’il reste quelque chose à détruire, elle ne pense pas à un livre. Elle cherche à comprendre, à répondre à la violence du réel, notamment celle du viol. Puis elle imagine un lecteur. Le texte s’adresse. Il devient recueil. C’est une logique de scène : « Comme quand je fais un spectacle, je me demande toujours quel rapport je veux avec le public. »
L’intime comme espace politique
On la classe souvent dans une poésie dite « intime », étiquette qu’elle conteste : « C’est comme si l’intime n’était pas technique. Comme si c’était juste une confession. » Elle revendique une écriture très construite, rythmée, imagée, percutante. Sa référence ? Le rap, le slam, les écritures brèves et adressées. « Je suis une punch… Je pense qu’on pourrait dire que je suis une punchlineuse. Je cherche l’image qui frappe, le mot qui reste. »
Ce n’est pas l’introspection pour l’introspection. C’est une écriture tendue, politique, collective.
« Je veux partager une histoire. Même si elle part de moi, c’est une histoire à transmettre. »
Ses recueils, Tant qu’il reste quelque chose à détruire et Les coupables innocentes, parlent de violences, d’héritages, de transmission, de réparation. Toujours dans une langue dense, directe, charnelle.
Écrire, c’est habiter la contradiction
Mag Lévêque écrit pour combler un vide. Un vide dans le langage, dans les représentations, dans les possibles. « La littérature, c’est l’endroit où je peux inventer quelque chose qui n’existe pas dans la vie. Un entre-deux. Un espace entre le pardon et la haine. » Elle refuse les récits de résilience faciles : « Je n’écris pas pour guérir. J’écris pour inventer un endroit où vivre. »
Cette tension traverse tout son travail. Sa foi chrétienne, assumée, nourrit une vision du monde fondée sur la justice. « Je crois que tout acte public est politique. Parler, c’est se positionner. Même quand on pense ne pas le faire. »
Une pratique collective
Malgré la singularité de sa voix, Mag Lévêque ne se vit pas comme une autrice solitaire. Elle écrit en lien. Avec sa mère, qui a relu son deuxième livre. Avec son épouse Jenny Victoire Charreton, musicienne et performeuse, avec qui elle prépare une adaptation scénique des Coupables innocentes. Avec ses ami·es du collectif offense.
« J’aime que tout circule. Que ma famille connaisse mes amis, que ma vie et mon travail soient liés. C’est comme ça que je sais que je suis au bon endroit. »
Elle revendique une forme de fluidité politique et artistique. Une poésie qui ne sépare pas les mondes, mais qui les relie. Une parole qui ne cloisonne pas, mais qui relance, questionne, agrège.
L’écriture comme champ de lutte
Chez elle, l’écriture est une arme. « Je viens me venger. J’écris parce que j’ai été abîmée. Et que je veux reprendre du terrain. » La colère est un moteur. Mais une colère tournée vers le réel, travaillée, mise en forme. Une énergie de résistance.
Elle le dit sans détour : « La poésie n’a pas le même prix pour tout le monde. Tout le monde ne risque pas la même chose en écrivant. » Elle écrit pour celles et ceux qu’on n’écoute pas. Pour celles et ceux qu’on tente de faire taire. Pour celles et ceux qui n’ont pas encore les mots.
La poésie, un geste de transmission
Ce qui compte, ce n’est pas seulement d’écrire. C’est de transmettre. De laisser une trace. D’ouvrir une voie. Elle parle des 458 lycéens qui ont lu les textes du prix CoPo : « Pour moi, c’est ça qui compte. Leur dire : vous n’êtes pas seuls. »
Mag Lévêque ne croit pas à la littérature déconnectée. Pour elle, chaque mot engage. Chaque livre est une photographie de son époque. Une manière de dire : « Voilà ce que je vois. Voilà ce que je vis. Voilà ce que j’espère. »
Elle écrit pour l’après. Pour celles et ceux qui viendront.
« Je sais que si le pire advenait, mes textes seraient parmi ceux qu’on brûle. Et c’est pour ça que je les écris. »
Résister par l’imaginaire
Dans un monde saturé d’images et de discours réactionnaires, elle croit plus que jamais au pouvoir de l’imaginaire. « L’art est un champ de lutte. Et l’imaginaire est politique. »
Elle lit de la science-fiction, s’intéresse aux autrices engagées, croit en un contre-pouvoir artistique. Pas pour convaincre, mais pour exister. Pour occuper l’espace. « Chaque endroit qu’on n’occupe pas, ils le prennent. »
Mag Lévêque écrit avec la rage, mais aussi avec la foi. Une foi poétique, politique, mystique parfois. Une foi dans la puissance de la parole. Une foi dans les liens qu’elle tisse. Une foi dans le fait qu’un jour, peut-être, quelqu’un lira et comprendra. Et se dira : je ne suis pas seul·e.
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