
02 Juil Camille Saint-Saëns, poète méconnu
Camille Saint-Saëns (1835 – 1921) est un artiste incontournable dans la vie culturelle française de la deuxième moitié du 19° et du début du 20°siècle. Le compositeur emblématique de « La Danse Macabre », du « Carnaval des Animaux » ou de « Samson et Dalila » a distribué tout au long de ces décennies pléthore de créations touchant à toutes les formes musicales en vogue à cette époque.
Pas moins de 285 œuvres ont été recensées par les musicologues : pièces orchestrales, opéras, mélodies, musique de chambre, œuvres pour piano, pour orgue, musique religieuse ; il sera même le premier compositeur à écrire pour le cinéma.
On le sait moins, l’artiste fut aussi un talentueux poète, un auteur et lecteur passionné de poésie au point d’aspirer à unir le poème et la partition. « Puissent la musique et la poésie comprendre un jour quel intérêt elles ont à s’appuyer l’une sur l’autre. Puissent les poètes apprendre la musique et les musiciens la poésie (…) Un beau vers est un diamant que le musicien doit mettre dans tout son jour ».
Un prodige de la musique française
Camille Saint-Saëns voit le jour à Paris. Entré au Conservatoire à 11 ans pour étudier l’orgue, il devient élève de Charles Gounod. Il écrit sa première symphonie à 15 ans. À 22 ans il est nommé organiste de l’église de La Madeleine, il y restera 20 ans. Comme professeur de piano, il instruit André Messager et aussi Gabriel Fauré avec qui il entretiendra une profonde amitié, comme avec Franz Liszt.
Une vie marquée par la tragédie et la gloire
Son mariage, à 40 ans, célébré en 1875 avec Marie-Laure Truffot âgée de 19 ans, ne résistera pas à la perte de deux enfants en bas âge et à l’intrusion constante et néfaste dans le couple de la mère de l’artiste à qui il reste très attaché. La reconnaissance progresse au cours des années jusqu’à l’apogée de son élection à l’Académie des Beaux-Arts en 1880, sa Légion d’Honneur en 1884.
Voyages, Orient et derniers jours à Alger
À la mort de sa mère en 1888, commencent les voyages.
Saint-Saëns sera toute sa vie un très grand voyageur, tant professionnellement que pour répondre à son goût pour la découverte d’autres modes de vie. Il est irrésistiblement attiré par l’Orient, cet ailleurs qui commence pour lui en Algérie, mais qui le conduira jusqu’au Japon qui s’ouvre alors à l’Occident, chose qui attristera fortement l’artiste. Il visitera aussi toute l’Europe et les USA.
Le compositeur se rendra plus de 20 fois à Alger, séjournant dans une villa de bord de mer du petit port de La Pointe Pescade, en périphérie de la ville. C’est là qu’il terminera l’écriture de « Samson et Dalila ».
C’est aussi à Alger qu’il poussera son dernier soupir en 1921, alors que son étoile s’est un peu ternie depuis 1912, qualifié de trop classique par la jeune génération de musiciens.
Saint-Saëns, poète discret et inspiré
On ne sait quand Camille Saint-Saëns commence à écrire de la poésie, sans doute dès l’adolescence.
Il attend pourtant 1890 et la célébrité pour faire paraître son premier et unique recueil de poèmes « Rimes familières » chez Calmann-Lévy. De même, alors qu’il composa plus de 150 mélodies mettant en musique des poètes français comme Hugo, pour qui il avait une admiration sans borne, Théodore de Banville, Catulle Mendès, Anna de Noailles et bien d’autres, il n’utilisera ses propres textes qu’à 6 reprises. Il choisit pour ce faire des poèmes empreints d’exotisme :
« Guitares et mandolines »
Guitares et mandolines
Ont des sons qui font aimer…
« Lever de soleil sur le Nil »
…Les sphynx sur les stèles assis
Dans le lourd silence qu’ils gardent
Nous disent que les dieux sont morts …
« Désir de l’Orient »
…Ah que ne puis-je à tire d’aile
Orient sacré
Atteindre ton azur fidèle
Ton beau ciel nacré
ou emportés par l’appel de la nature et du destin comme le très beau poème :
« Les cloches de la mer »
Parfois pendant les longues heures
De la nuit, quand grondent les mers
On entend des cloches qui pleurent
Dans les rocs aux goémons verts…

Une poésie mêlant dédicaces, nature et philosophie
Le recueil « Rimes familières » se partage en deux parties et deux styles très différents, quoique entremêlés.
Tout d’abord une série de poèmes dédicaces, soit d’admiration pour des artistes du temps (Gabriel Fauré, la cantatrice Pauline Viardot, la compositrice Augusta Holmès, Charles Gounod, Georges Audigier), soit de conseils et d’encouragements à des proches désignés seulement par leurs initiales.
Parallèlement, s’inscrivent d’autres poèmes de forme plus originale, moins convenue, où l’auteur « se lâche » dans ses descriptions admiratives de la Nature ou des civilisations orientales, mais aussi fait part de ses préoccupations morales et sociales.
On y retrouve alors son goût pour les valeurs du classicisme face à un modernisme à ses yeux destructeur, ses craintes devant les dangers de l’orgueil et de l’ambition, son attente paisible d’une mort consolatrice de la vie, ou bien encore ses certitudes de la disparition des dieux conduisant à la libération des hommes.
Ainsi dans son poème « Adam et Eve »
« L’ ivresse est envolée et l’espérance est morte
Ils ont goûté le fruit de l’arbre défendu
Jamais l’Ange pour eux ne rouvrira la porte
Du paradis perdu… »
…mais si l’éden est perdu, l’humain a gagné l’amour et la liberté de dominer la création à la place des dieux, même si la souffrance est nécessaire à l’homme et si la tentation le conduit :
L’Homme règne en vainqueur sur la Terre sublime.
Il vit : les Dieux sont morts ou se taisent, lassés ;
Son front touche le ciel, son pied foule l’abîme ;
Lui seul, et c’est assez.
Dans un autre texte plus léger, « Mea culpa » Saint-Saëns ne fait pas mystère de ce qu’il pense des compositeurs modernes :
« …et composent des salades
De couleurs avec des sons
À faire tomber malades
Les strophes et les chansons… »
Quant à la grande passion de sa vie, le voyage, on en retrouve les couleurs dans de nombreux poèmes consacrés à Grenade, Cadix, le Fuji-Yama, ou bien même à la seule idée du départ consolateur des avanies quotidiennes.
Pourtant c’est à l’extérieur de ce recueil, isolé et non publié de son vivant, que l’on découvrira l’un des plus beaux textes du poète, un poème dédié à sa résidence aimée dans la ville chérie de son cœur, Alger.
Quand le soir est venu, puis l’ombre et le silence
Et l’étoile du ciel et celle du gazon
D’un pas lent et discret je sors de la maison
Pour goûter le repos de la nuit qui commence.
Je vais dans un jardin muet, sombre et désert,
Une vasque de marbre y répand son eau rare
Don précieux et pur d’une naïade avare.
Des insectes lointains j’écoute le concert ;
Nul ne vient en ce lieu. Pas de voix ennemies
Qui troublent le silence de son hymne divin ;
Et je bois à longs traits, comme un céleste vin,
Le calme qui descend des branches endormies
Patrice Alzina est auteur, conférencier et essayiste. Il est également le lauréat 2025 du prix Yves Barthez de l’essai littéraire décerné par l’Académie des Jeux Floraux.
Nicole Gibert
Publié à 00:44h, 05 juilletToujours très intéressantes les recherches de Patrice., il nous fait découvrir des talents méconnus de ce grand compositeur.
Un grand merci cher Patrice