ARTE propose un portrait dense, débarrassé du vernis purement scolaire souvent associé à Rilke. Né à Prague en 1875, l’écrivain traverse l’Europe autant qu’il traverse ses propres zones d’ombre. Le film le rappelle : sa jeunesse marquée par une scolarité militaire rejetée, ses amitiés décisives, ses amours intellectuelles — notamment Lou Andreas-Salomé ou Clara Westhoff — et surtout cette discipline intérieure qui le pousse, en 1921, à se retirer dans un château du Valais pour enfin mener à terme les Élégies de Duino, chef-d’œuvre longuement mûri.

S’appuyant sur les archives littéraires de Marbach, la réalisation restitue avec précision la genèse des textes, leur tension métaphysique, et les années de travail patient qui ont nourri ce langage si reconnaissable : mystique, inquiet, d’une lucidité parfois tranchante. Le documentaire a le mérite de montrer que les célèbres Lettres à un jeune poète sont moins un bréviaire littéraire qu’un appel à vivre selon sa propre nécessité intérieure.

L’ensemble reste toutefois très respectueux, parfois trop. Le film effleure certaines contradictions de Rilke — ses hésitations, ses retraits, ses zones d’aveuglement — sans toujours les examiner. La mise en scène privilégie une vision harmonieuse, là où un regard plus critique aurait enrichi le propos.

Reste un portrait vivant, accessible, qui rappelle combien la voix de Rilke continue de résonner, y compris dans la pop culture contemporaine. Un documentaire qui donne envie de rouvrir ses livres, et surtout d’écouter ce qu’ils exigent : un rapport au monde qui ne triche pas.