La poésie aux côtés des paysans

© Photo : JB Autissier / Panoramic / Bestimage

À l'occasion du Salon de l'Agriculture et suite à la mobilisation massive des agriculteurs, strophe.fr rappel le lien qui unit la poésie et le monde paysan

De tout temps la terre, le terroir, le monde paysan, ont inspiré les poètes. Parfois avec une vision bucolique et champêtre, parfois une réalité plus sombre et réaliste. À l’heure du Salon de l’Agriculture et où tracteurs, éleveurs et agriculteurs ont fait dernièrement la Une de l’actualité, petit tour d’horizon (non exhaustif !) de l’histoire de la poésie au fil des décennies.

La terre et ses poètes : une célébration littéraire à travers les siècles

Dès l’Antiquité, les 1ers poèmes écrits glorifient la terre et le travail des paysans. Les Travaux et les Jours, du poète grec Hésiode, datant de la fin du VIIIᵉ siècle av. J.-C, est sans doute le plus ancien texte de poésie didactique. Il conseille et guide les agriculteurs sur le rythme des saisons et le travail de la terre. Plus tard, les Géorgiques du poète romain Virgile, écrites entre 37 et 29 av. J.-C., sont un chef-d’œuvre de la littérature latine, dédiée à l’agriculture, l’élevage, l’apiculture et l’art de cultiver la terre.

Au Moyen Âge, les poèmes médiévaux, souvent anonymes, chantent la récolte et la vie rurale, comme par exemple Chants de la Moisson. Leurs auteurs inscrivent dans leurs chants les labeurs et les joies du monde paysan. Leur poésie, simple mais puissante, refléte un profond respect pour la terre, perçue comme une mère nourricière et une source de vie.

Un peu plus tard, Étienne de Fougères dans son Livre des Manières (1160 ) dépeint un tableau de la dureté de la vie rurale, soulignant la lourdeur du travail agricole et les nombreuses obligations qui pèsent sur les paysans.

Avec la Renaissance, et son élan vers un renouveau culturel et artistique, on a vu des poètes comme Ronsard célébrer la nature et la campagne. Dans ses Odes, il magnifie la beauté des jardins et des vignobles, mettant en lumière le lien ancestral entre l’homme et la terre. D’autres comme lui, Du Bellay, Marot… ont élevé leur voix et leur poésie pour chanter le règne joyeux de la nature.

Un siècle plus tard, à l’époque du classicisme, de l’ordre et de la mesure, impossible de ne pas citer les fables de Jean de La Fontaine et leurs leçons de morale. Courtes et drôles, ces fables sont particulièrement proches de la poésie. Elles utilisent souvent des animaux pour s’attaquer aux travers humains et à ceux de la société sur un ton moqueur et satirique.

Le Romantisme du XIXe siècle a embrassé la nature avec une ferveur particulière. Des poètes comme Wordsworth en Angleterre et Lamartine en France ont élevé la nature à un statut quasi-divin, la considérant comme une source d’inspiration et un refuge contre les tumultes de la vie moderne. Leurs écrits expriment un profond sentiment de communion avec la nature et une nostalgie pour un mode de vie plus simple et plus proche de la terre.

Les poètes représentatifs de ce mouvement sont Gérard de Nerval, Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine, Alfred de Musset et bien sûr Arthur Rimbaud. Son poème Sensation écrit alors qu’il n’avait que seize ans, court mais expressif, reflète une profonde appréciation de la nature et un désir d’évasion. George Sand, célèbre pour ses romans, a elle-aussi écrit des poèmes célébrant la vie à la campagne (les Champêtres).

Citons encore Victor Hugo dont les poèmes expriment un peu de « l’intérieur d’une âme » avec ses doutes et ses chagrins. Son dialogue avec la nature est prodigieux, son goût de la vie intense, son amour de l’enfance sans réserve. Pour lui, la nature devient le lieu où la sensibilité humaine s’exprime, et plus exactement elle est le lieu où il y a un accord entre l’âme et le paysage (Demain dès l’Aube-les Contemplations.1856).

Bien que La Terre d’Émile Zola publiée en 1887 ne fasse pas partie de ses œuvres poétiques, elle reste un témoignage important du monde paysan de son temps,  une étude réaliste et souvent brutale de la vie rurale dans la France du XIXe siècle, à travers ses conditions de vie, les défis et les transformations de la société paysanne de cette période.

Enfin André Theuriet (1833-1907), poète et romancier français du XIXe siècle, est reconnu pour sa capacité à capturer l’essence de la campagne française dans ses œuvres. Parmi ses poèmes, La Vie Rustique et Le Chemin des Bois se démarquent par leur célébration de la nature et de la vie paysanne.

Au début du XXe siècle, la poésie a pris un tournant plus sombre avec des poètes comme Wilfred Owen et Siegfried Sassoon, dont les œuvres reflétent les ravages de la guerre sur la terre. Leur poésie, souvent poignante, dépeigne la destruction du paysage pastoral et de la vie paysanne, un véritable cri contre les horreurs de la guerre.

Plus récemment, des poètes contemporains continuent de célébrer la terre, tout en mettant en lumière les défis actuels auxquels elle est confrontée. Des figures comme Pablo Neruda, avec son amour pour la terre d’Amérique du Sud, et Wendell Berry, avec son engagement envers l’agriculture durable, rappellent au monde moderne l’importance vitale de notre relation avec la terre.

La poésie, dans son essence même, reste un miroir de l’humanité et de son environnement. La célébration de la terre et du monde paysan à travers les siècles n’est pas seulement un hommage à un mode de vie, mais aussi un rappel constant de notre dépendance et de notre responsabilité envers cette terre qui nous nourrit et nous abrite. Ces voix poétiques, intemporelles et universelles, continuent de résonner, nous invitant à renouer avec nos racines les plus profondes.

Quand la poésie se fait l’écho de la condition paysanne

Quelques poèmes « engagés » d’hier et d’aujourd’hui qui résonnent tellement juste à l'heure des réseaux sociaux

La poésie des champs, des semailles et des moissons, de la faux et du joug, existait bien avant les tracteurs et les moissonneuses batteuses. À travers les siècles, de nombreux poètes ont tissé des vers qui célèbrent, honorent, et parfois pleurent la terre et ses gardiens. Voici une sélection des poèmes les plus marquants de leur époque, semés dans la campagne littéraire par des auteurs célèbres mais aussi d’illustres inconnus.

Les « Géorgiques » du poète romain Virgile, écrit 30 ans avant JC. Vieux de 2000 ans, c’est sans doute le plus ancien poème didactique.

« Ô trop heureux les paysans, s’ils connaissaient les biens qu’ils ont. Loin des discordes et des armes, la terre d’elle-même, en sa suprême justice, répand pour eux une nourriture facile, ils possèdent calme et tranquillité, une vie qui ne sait pas tromper, riche de mille ressources ; ils ont les rêveries dans les grands espaces, les grottes, les eaux vives et les fraîches vallées, le mugissement des bœufs, les doux sommes sous les arbres, les clairières et les gîtes des bêtes, une jeunesse endurante et contente de peu. Quand la justice quitta la terre, c’est parmi eux qu’elle fit ses derniers pas ». (extrait traduit du latin)

« La Vie misérable du Paysan » écrit à la fin du XIIème siècle par Étienne de Fougères, alors évêque de Rennes, dans son Livre des Manières. Il y décrit de manière pitoyable et difficile la vie du paysan médiéval.

Il a bien du travail et peine :
Au meilleur jour de la semaine.
Il sème seigle, il herse avoine.
Il fauche prés, il tond la laine.
Il fait palissades et enclos,
il fait viviers sur les rivières,
il fait corvées et prestations,
Et obligations coutumières.

Jamais il ne mange de bon pain :
Nous lui prenons le meilleur grain
Et le plus beau et le plus sain,
Mais le mauvais reste au vilain.

S’il a oie grasse ou poulette ou
Gâteau de blanche farine,
À son seigneur il le destine…

Bons morceaux jamais il ne tâte,
Ni un oiseau, ni un rôti,
S’il a pains de noire farine
Et lait, et beurre, c’est son régal.

« Le Laboureur et ses enfants » de Jean de La Fontaine (1668). Le travail est un trésor qui amène de la prospérité. C’est la morale de cette fable, en forme de simple conversation entre un paysan et ses fils.

Travaillez, prenez de la peine :
C’est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Oût.
Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu’au bout de l’an
Il en rapporta davantage.
D’argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.

« Paysan » de Jean Malrieu (1915-1976), poète occitan, l’un des poètes les plus originaux de sa génération.

Rien qu’à le voir, on sait qu’il a conduit des charretées de paille,
accompagné le balancement liturgique des attelages.
Il a la démarche en prose du Magnificat.
Vieux renard, il sait faire chanter le vin.
Son champ est une ville. Il porte l’heure sur l’épaule, l’aube à l’encolure.
Ses frissons peuplent les peupliers.
A sa lèvre naît l’églantine. Intact comme une journée, il construit.

« Gloire au paysan et à son amour de la terre » Un poème d’un auteur inconnu, cité dans un journal local par Claude Laffargue, agriculteur dans le Gers. Un véritable éloge du métier de paysan.

« Gloire au vieux paysan, gloire à l’homme de peine
Qui s’en va tous les ans retracer le sillon
Des sommets escarpés jusqu’à la vaste plaine,
Pour dorer la colline et verdir le vallon »
Gloire au brave semeur qui féconde la terre
En y jetant le grain de son bras vigoureux,
Et qui souvent, le soir, revient, à la chaumière
En fredonnant gaiement les airs de ses aïeux
Gloire à celui qui tient la lourde faux tranchante,
Qui coupe les blés roux, accablés de chaleur ; il est las
Oh ! Bien las ! Et cependant il chante
En essuyant son front où perle la sueur ;
Gloire à ce travailleur dont l’œuvre harmonieuse
Produit tout à la fois et le vin et le pain ;
Gloire à lui ! N’est-ce pas sa besogne joyeuse
Qui garde l’univers des tourments de la faim ?
Des peuples et des rois, jadis, il fut le père,
Du riche, du savant il est le suzerain,
Il est le malheureux soulageant la misère
Et de l’humanité le plus grand souverain

La relève… tout en mesure ! 

Rappeur, slameur, élève agricole, lycéens, poètes d’un jour…. leurs voix n’hésitent pas à brandir une plume poétique pour défendre le monde agricole.

« La réalité d’un si beau métier ». Ce poème écrit en 2019 par Kevin Ménoury, dans le cadre de sa formation agricole au Campus Métiers Nature de Coutances, illustre bien la dure réalité de paysan.

Le matin, tu te lèves aux aurores
A une heure où tout le monde dort
Pour soigner génisses, vaches et veaux
Qu’il tempête ou qu’il fasse beau.
Vivant simplement et proche de la terre
Tu es bon vivant et sincère
Ton travail n’est souvent pas reconnu
Pourtant sans toi, nous serions dépourvus.
Tes journées sont longues et fatigantes
Sans relâche tu sèmes, récoltes et plantes
Tes machines et ta ferme tu entretiens
Pour que ton travail puisse se faire bien.
De tes bêtes tu prends grand soin
Tu les nourris de maïs et de foin
Tu les mets paître dehors quand il fait beau
Et quand il fait froid, elles sont au chaud.
Tu es confronté aux voisins et citadins
Qui de ton travail ne comprennent rien
Il est toujours plus facile de critiquer
Que d’essayer de comprendre et d’encourager.
Tu es souvent pris pour un moins que rien
Alors que sans toi, ils n’auraient rien.
Mais de bonnes céréales et viandes ils attendent
Et tout cela sans faire d’effort pour comprendre
Tu dois et peux être fier de ce que tu es
Du travail que tu accomplis et que tu fais
Personne n’a le droit de se sentir supérieur à toi

Touche pas à mon paysan

Le rappeur Millésime K prend le micro pour défendre les agriculteurs.

Original Paysan

le dernier titre de Jean-Benoît Baudens alias « MaNTis », le paysan rappeur installé à Saint-Jean-Ligoure, en Haute-Vienne. Il puise l’inspiration de ses textes dans son quotidien d’éleveur, au milieu de ses moutons.

La voix des femmes

«Ode à l’Agriculture Féminine »

À l’occasion du Printemps de Poètes 2022, un très joli poème dédié aux agricultrices a été écrit par Coralie Rispal, ostéopathe à Bordeaux.

Agricultrice c’est un métier
Tu sais, il ne faut pas le nier
C’est avant tout ma vraie passion
Et une affaire de transmission.

Plusieurs types d’élevage
Une belle histoire de partage
De l’élevage aux cultures
Au contact de notre Nature.

Façonner tous nos territoires
C’est avant tout un savoir
C’est ce métier que j’ai choisi
Garçon ou fille, c’est pour la vie !

La Campagne en poésie

Georges Jean

L’homme et la campagne, paysages, animaux et fleurs. Un ensemble des textes poétiques choisis émanant de recueils, mais aussi de journaux intimes ( celui de Jules Renard, par exemple) et de romans, comme " La Terre" de Zola. Outre les poèmes attendus, la magnifique " Sensation" de Rimbaud ou " Il fera longtemps clair ce soir" d'Anna de Noailles, on découvre des auteurs peu connus , Serge Brindeau, André Theuriet, Cécile Sauvage.

Vers de Terre

Christian Pelletier

61w3sKrf5cL._SL1499_

Un voyage poétique qui emmène le lecteur faire connaissance avec de joyeuses petites chèvres, observer une industrieuse abeille, assister aux premiers pas hésitants d’un veau nouveau-né, être confronté aux nuages menaçant la moisson ou découvrir la poésie quelque peu surréaliste de fermes robotiques, de l’intelligence artificielle et du « Big Data ».Une vraie réflexion sur tous les défis que les agriculteurs doivent relever.

Pas de commentaire

Désolé, Strophe.fr n'autorise pas les commentaires pour cet article.

#SUIVEZ-NOUS SUR INSTAGRAM