Les mille et une vies de Lucie Delarue-Mardrus

© Photo : domaine public

S’inscrivant dans la tradition des grands écrivains normands tels que Flaubert et Maupassant, Lucie Delarue-Mardrus s’impose comme l’une des figures littéraires les plus prolifiques de la première moitié du XXe siècle. Avec un corpus riche de plus de soixante-dix œuvres, incluant romans, recueils de poésie, essais, nouvelles et mémoires, Lucie, qui a longtemps été éclipsée par Colette et la Comtesse de Noailles, nous transmet un héritage empreint d’un extraordinaire esprit de liberté.

Pour célébrer les 150 ans de sa naissance, Strophe.fr revient sur son œuvre poétique

Lucie Delarue-Mardrus est née à Honfleur en 1874, au sein d’une famille bourgeoise. Son enfance heureuse en Normandie inspire souvent les décors de ses romans. Lucie bénéficie d’une éducation traditionnelle : elle apprend l’anglais avec une gouvernante, pratique l’équitation, joue du piano… En 1880, la famille déménage à Saint-Germain-en-Laye dans un ancien pavillon de chasse, entouré d’un vaste parc conçu par Le Nôtre. Le père de Lucie possède également un appartement à Paris pour ses affaires. Sous la supervision de leur mère, Lucie et ses sœurs jouissent d’une jeunesse insouciante, rappelant les récits de la Comtesse de Ségur.

Les parents emmènent Lucie et ses sœurs assister à des spectacles. C’est là que Lucie découvre le théâtre et, grâce aux relations de son père, elle rencontre Sarah Bernhardt. À l’adolescence, Lucie rêve d’amour et commence à composer des poèmes. Son premier baiser saphique est une révélation. Lucie en tombe passionnément amoureuse mais cet amour n’est pas réciproque. Le second baiser tant espéré ne viendra jamais, et Lucie éprouve son premier chagrin d’amour.

Lucie commence à fréquenter les cercles des salons littéraires et, en 1896, elle fait la connaissance de Marguerite Durand, fondatrice du quotidien féminin La Fronde. Marguerite Durand cherche justement de jeunes femmes pour collaborer au journal et elle publie les premiers écrits de Lucie sur la poésie. Toutefois, Lucie réalise rapidement que le journal est trop révolutionnaire pour elle et Lucie finit par cesser sa collaboration avec La Fronde.

Il est temps pour Lucie de penser au mariage. Le jeune Philippe Pétain se présente comme prétendant, mais sa proposition est refusée par la famille. Finalement, c’est Joseph-Charles Mardrus, un médecin orientaliste d’origine égyptienne rencontré lors d’une soirée littéraire, qui gagne sa main. Issu d’une famille aisée, c’est un voyageur chevronné qui a acquis une certaine notoriété grâce à sa version des Mille et une nuits. Catholique et passionné de poésie, il est émerveillé par les écrits de Lucie. Le mariage est célébré en 1900. Déterminé à contribuer au succès de Lucie, il la fait entrer dans les cercles littéraires et lui trouve un éditeur. Mardrus, un personnage bien connu pour son caractère passionné et extraverti, a des contacts influents partout. La beauté de la jeune Madame Mardrus, surnommée « la Princesse Amande » par son mari, est admirée de tous. Lucie présente ses poèmes chez Robert de Montesquiou, qui joue un rôle clé dans sa mise en lumière.

Le couple parcourt le monde, et notamment le Moyen-Orient. En peu de temps, Lucie maîtrise l’arabe et se passionne pour cette culture. Elle écrit et vend de nombreux reportages à divers journaux parisiens. Suite à leur retour en France, Lucie se met à écrire des romans qui rencontrent un succès supérieur à ses poésies. Cependant, elle se trouve souvent en seconde position : en poésie, derrière Anna de Noailles, et en littérature, derrière Colette.

Lucie fait ensuite la connaissance d’Eva Palme, Renée Vivien, et Natalie Barney, trois figures marquantes du milieu lesbien. N’ayant jamais oublié son premier baiser féminin, elle plonge avec ardeur dans le monde des relations lesbiennes, qui lui correspondent véritablement. Bien qu’elle aime profondément son mari et continuera à l’aimer même après leur séparation au bout de quinze ans de mariage, il reste un soutien constant dans sa vie. Néanmoins, ce sont les femmes qui captivent le cœur de Lucie.

Elle parvient à se faire un nom en littérature sous le pseudonyme « Delarue-Mardrus » et peut vivre de sa plume tout en poursuivant ses passions. Habituée à un style de vie opulent, elle déménage fréquemment, achète et vend des propriétés à la campagne, et vit des relations amoureuses intenses avec plusieurs femmes.

Au fil des années, le succès de Lucie s’effrite. Ses romans se vendent moins bien et la simplicité de son style est critiquée. Elle se positionne fermement contre le féminisme et l’octroi du droit de vote aux femmes, affirmant que « Si les femmes obtiennent le droit de vote, l’égalité, etc., elles échangeront un royaume contre un département. » En 1926, elle fait l’éloge de l’armée française alors engagée au Maroc et en Syrie, incitant à des dons pour « la gloire de nos troupes ». Cette prise de position lui vaut des critiques acerbes, notamment de la part du journal L’Humanité qui publie un article intitulé : « Pour nos petits soldats, l’aumône des bourgeois et les vers d’une cabotine ».

Recueils poétiques

1901 Occident (La Revue blanche) Bibliothèque nationale
1902 Ferveur (La Revue blanche) Bibliothèque nationale
1905 Horizons (Fasquelle) Bibliothèque nationale
1908 La figure de proue (Fasquelle) Bibliothèque nationale
1909 Par vents et marées (Fasquelle) Bibliothèque nationale
1918 Souffles de tempête (Fasquelle) Bibliothèque nationale
1920 À Maman (Fasquelle) Bibliothèque nationale, Bmd
1929 Poèmes mignons pour les enfants (Gedalge) Bibliothèque nationale, Bmd
1930 Les sept douleurs d’octobre (Ferenczi) Bibliothèque nationale
1932 Mort et printemps (A.Messein) Bibliothèque nationale
1939 Temps présents (Cahiers d’art et d’amitié) Bibliothèque nationale
1951 Nos secrètes amours (Les Isles) Anonyme Bib.Doucet
1951 Choix de poésies (Lemerre) Bibliothèque nationale

Les mille et une vies de Lucie

À lire

de Karine Leber aux Presses de la Cité

Née dans l’Orne, Karine Lebert est la vice-présidente de la Société des auteurs de Normandie. Elle a notamment publié aux Presses de la Cité Les Amants de l’été 44, Pour l’amour de Lauren, Pour l’honneur des Rochamhelles, Les Souvenirs et les Mensonges aussi… et Enlacer le ciel et les nuages.

Sur la route des écrivains 

France 3 Normandie

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