La poésie fait son cinéma !

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À l’occasion du prochain Festival de Cannes, Strophe.fr met un coup de projecteur sur les séquences poésie les plus célèbres, scénarisées par le 7eme art au fil des années.

L’année dernière, lors de la cérémonie d’ouverture du 76ème Festival de Cannes, Catherine Deneuve a rendu hommage à l’Ukraine. Sur scène, elle a lu un poème de la poétesse Lessia Oukraïnka dont les mots résonnent encore très fort avec l’actualité.

« Je n’ai plus ni bonheur, ni liberté. Une seule espérance m’est restée, revenir un jour dans ma belle Ukraine, revoir une fois ma terre lointaine,
contempler encore le Dniepr si bleu, et vivre ou mourir m’importe bien peu (…)
Je n’ai plus ni bonheur, ni liberté, une seule espérance m’est restée »

Si les gens ne viennent pas à la poésie, la poésie, elle, vient à eux sous une forme peut-être moins intimidante, ou inattendue : le cinéma. Adroitement transposé, un poème même vieux de quelques siècles prend un sens nouveau et immédiatement compréhensible, tout en décuplant l’émotion de la scène. En voici quelques brillants exemples, cette liste est évidemment non exhaustive ; ne figurent ni Le cercle des poètes disparus (avec le fameux Capitaine, Ô mon capitaine de Walt Whitman) ni le long poème de T.S Eliot lu par Marlon Brando dans Apocalypse now. Mais cela donnera peut-être envie à certains de retrouver le plaisir des lectures poétiques. Je l’ai observé en bibliothèque : des recueils de poésie rarement empruntés sont tout à coup demandés dans les semaines qui suivent la sortie du film : Keats avec Bright Star de Jane Campion, W.C. Williams avec Paterson de Jim Jarmusch, etc. C’est encore plus vrai quand il s’agit de romans adaptés au cinéma ! »

Séquences Poésie

Beaucoup de ces extraits présentent des poètes anglais ou américains (à l’exception de Rilke et Desbordes-Valmore) dans des films américains. Étant donné que la majorité du cinéma populaire en France provient d’outre-Atlantique, il n’est guère surprenant que les poèmes soient issus de cette même culture. S’ils sont largement connus du grand public britannique et américain -il s’agit en général de classiques de la poésie enseignés à l’école-, ils sont souvent nouveaux pour les francophones. Ils illustrent l’influence du cinéma sur les choix de lecture, plus que tout autre prescripteur traditionnel (libraire, bibliothécaire…) Et aussi la facilité avec laquelle ce même cinéma populaire sait introduire un poète (ou un romancier dans la plupart des cas) relativement inconnu auprès d’un large public de francophones.

2022. Moon Knight

de Mohamed Diab avec Oscar Isaac, May Calamawy et Ethan Hawke

Dans l’épisode, Marc Spector (mais ce n’est pas vraiment Marc à ce moment-là, c’est son autre personnalité, le doux et sensible Steven Grant) et Layla s’apprêtent à signer des papiers de divorce. Ce poème de Marceline Desbordes-Valmore que Layla commence à réciter en français et que Marc-Steven finit dans la même langue n’est pas sous-titré ni expliqué, mais il révèle les réels sentiments des personnages l’un pour l’autre.

N’écris pas. Je suis triste, et je voudrais m’éteindre.
Les beaux étés sans toi, c’est la nuit sans flambeau.
J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre,
Et frapper à mon cœur, c’est frapper au tombeau.
N’écris pas !

N’écris pas. N’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes,
Ne demande qu’à Dieu… qu’à toi, si je t’aimais !
Au fond de ton absence écouter que tu m’aimes,
C’est entendre le ciel sans y monter jamais.
N’écris pas !

N’écris pas. Je te crains ; j’ai peur de ma mémoire ;
Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent.
Ne montre pas l’eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N’écris pas !

N’écris pas ces deux mots que je n’ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon cœur ;
Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu’un baiser les empreint sur mon cœur.
N’écris pas !

(Les séparés, un poème de Marceline Desborde-Valmore .1786-1859)

2016. Paterson 

de Jim Jarmush avec Adam Driver

Les poèmes du film sont inspirés du recueil éponyme du poète américain William Carlos Williams. Paterson est un long poème épique écrit sur 12 ans et publié en 5 recueils. Quand Paterson (Adam Driver) compose ses poèmes, c’est en réalité le poète Ron Padgett qui prête les siens au personnage. Certains sont inédits, créés spécifiquement pour certaines scènes. Jim Jarmusch a en effet embauché Ron Padgett comme consultant poésie pour son film, une première dans l’histoire du cinéma (et de la poésie) !

2014. Interstellar

de Christopher Nolan, avec Anne Hathaway et Matthew McConaughey

N’entre pas docilement dans cette douce nuit (don’t go gentle into that good night). Dylan Thomas a écrit ce poème à la mort de son père. Dans le film Interstellar, on entend le message enregistré du Professeur Brand (joué par Michael Caine) à l’attention des astronautes. C’est un message d’adieu puisque à leur retour, le professeur Brand sera sans doute mort de vieillesse. On ne peut s’empêcher de frissonner en voyant effectivement « la mort de la lumière » quand les astronautes entrent dans une autre nuit, celle angoissante et fascinante de l’espace infini.

Do not go gentle into that good night,
Old age should burn and rave at close of day;
Rage, rage against the dying of the light.


Though wise men at their end know dark is right,
Because their words had forked no lightning they
Do not go gentle into that good night.

Good men, the last wave by, crying how bright
Their frail deeds might have danced in a green bay,
Rage, rage against the dying of the light.

Wild men who caught and sang the sun in flight,
And learn, too late, they grieved it on its way,
Do not go gentle into that good night.

Grave men, near death, who see with blinding sight
Blind eyes could blaze like meteors and be gay,
Rage, rage against the dying of the light.

And you, my father, there on the sad height,
Curse, bless, me now with your fierce tears, I pray.
Do not go gentle into that good night.
Rage, rage against the dying of the light.

2012. Skyfall

de Sam Mendes avec Daniel Craig, Judi Dench et Javier Bardem

Dans ce nouvel opus de James Bond, M (Judi Dench) est sommée de s’expliquer sur les failles de son service de renseignements. Elle répond en citant la fin du poème Ulysse d’Alfred Tennyson, histoire de montrer que la boss, c’est toujours elle, et que ses récents revers n’ont pas entamé sa détermination et son efficacité.

We are not now that strength which in old days
Moved earth and heaven, that which we are, we are;
One equal temper of heroic hearts,
Made weak by time and fate, but strong in will
To strive, to seek, to find, and not to yield.

Et si nous avons perdu cette force
Qui autrefois remuait la terre et le ciel,
Ce que nous sommes, nous le sommes,
Des coeurs héroïques et d’une même trempe
Affaiblis par le temps et le destin,
Mais forts par la volonté
De chercher, lutter, trouver, et ne rien céder.

(Extrait du poème Ulysse d’Alfred Tennyson)

2010. Howl

Film réalisé par Rob Epstein et Jeffrey Friedman avec James Franco, Todd Rotondi

Howl retrace la vie d’Allen Ginsberg, ce poète américain issu de la Beat Generation, et plus particulièrement le procès qui a suivi la publication du poème ‘Howl’, qui est un long cri poétique ininterrompu, composé de versets corrosifs sur la drogue, l’homosexualité, le vagabondage et la misère sociale. Il était alors considéré comme obscène. Cet épisode propulsera l’auteur, alors peu connu à l’époque, pour en faire un des artistes illustres de la contre-culture américaine. Le film alterne différentes scènes, provenant tantôt de la jeunesse de Ginsberg, tantôt du poème lui-même une fois mis en scène, d’autres encore relatant le procès en question. ‘Howl’ représente ainsi tant une célébration qu’un essai critique de la poésie, offerte par le cinéma.

I saw the best minds of my generation destroyed by madness, starving hysterical naked,
dragging themselves through the negro streets at dawn looking for an angry fix,
Angel-headed hipsters burning for the ancient heavenly connection
to the starry dynamo in the machinery of night,

J’ai vu les plus grands esprits de ma génération détruits par la folie, affamés hystériques nus,
se traînant à l’aube dans les rues nègres à la recherche d’une furieuse piqûre,
initiés à tête d’ange brûlant pour la liaison céleste ancienne
avec la dynamo étoilée dans la mécanique nocturne.Premer

Premiers vers du poème Howl d’Allen Ginsberg

2009. Invictus

de Clint Eastwood avec Morgan Freeman et Matt Damon

Invictus est un court poème de l’écrivain britannique William Ernest Henley qui fut cité à de très nombreuses reprises dans la culture populaire anglophone. Il incarne l’attitude Stiff upper lip, ou le stoïcisme britannique victorien face aux épreuves : ne pas céder aux émotions, affronter les épreuves avec impassibilité. Un message d’espoir poignant. C’était le poème préféré de Nelson Mandela qui symbolise, lui, le pardon, la paix, l’espoir et non la vengeance. Il est repris dans le film de Clint Eastwood, lorsque François Pienaar visite la cellule de Mandela à la prison de Robben Island.

« Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rends grâce aux dieux quels qu’ils soient,
Pour mon âme invincible et fière,
Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Meurtri par cette existence,
Je suis debout bien que blessé,
En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l’ombre de la mort,
Et je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur,
Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme. »

2009. Bright Star

de Jane Campion avec Ben Wishaw et Abbie Cornish

Un joli film sur la courte vie du jeune poète tuberculeux John Keats. Londres, 1818. John Keats 23 ans, entame une liaison amoureuse secrète avec sa voisine, Fanny Brawne. Un film rempli d’émotion, tant pour la romance qu’il porte à l’écran que pour l’hommage qu’il représente pour Keats, qui ne sera reconnu qu’à titre posthume. Ce n’est en effet qu’après sa mort qu’il sera classé comme l’un des plus grands poètes de son siècle.

Bright star, would I were steadfast as thou art—
Not in lone splendour hung aloft the night
And watching, with eternal lids apart,
Like nature’s patient, sleepless Eremite,
The moving waters at their priestlike task
Of pure ablution round earth’s human shores,
Or gazing on the new soft-fallen mask
Of snow upon the mountains and the moors-
– No–yet still stedfast, still unchangeable,
Pillow’d upon my fair love’s ripening breast,
To feel for ever its soft fall and swell,
Awake for ever in a sweet unrest,
Still, still to hear her tender-taken breath,
And so live ever–or else swoon to death.

Étoile lumineuse, puissé-je être immobile comme toi,
Non pas solitaire, resplendissant au-dessus de la nuit,
Les yeux toujours ouverts,
Veillant avec patience, tel un ermite de la Nature,
Observant les eau mouvantes à leur tâche sacrée
De purification des hommes,
Ou encore contemplant la neige fraîchement
Tombée sur les monts et les bois,
Mais plutôt, toujours immobile, immuable,
Assoupi sur le sein fleuri de ma bien-aimée
Pour ressentir à jamais son doux mouvement,
Éveillé pour toujours dans une douce insomnie,
Encore et encore à l’écoute de sa tendre respiration ;
Et vivre ainsi toujours, – ou sinon m’évanouir dans la mort

1994. Quatre mariages et un enterrement

de Mike Newell avec Hugh Grant et Andie McDowell

Lors de l’enterrement, l’acteur John Hannah lit le poème de W.H Auden, Funeral blues. En France, le film fut un succès, et il a fait découvrir Auden, inconnu du grand public jusque-là.

Stop all the clocks, cut off the telephone,
Prevent the dog from barking with a juicy bone,
Silence the pianos and with muffled drum
Bring out the coffin, let the mourners come.

Let aeroplanes circle moaning overhead
Scribbling on the sky the message He Is Dead,
Put crepe bows round the white necks of the public doves,
Let the traffic policemen wear black cotton gloves.

He was my North, my South, my East and West,
My working week and my Sunday rest,
My noon, my midnight, my talk, my song;
I thought that love would last for ever: I was wrong.

The stars are not wanted now: put out every one;
Pack up the moon and dismantle the sun;
Pour away the ocean and sweep up the wood.
For nothing now can ever come to any good.

1990. L’éveil

de Penny Marshall, avec Robin Williams et Robert De Niro

Robin Williams joue un médecin dans une unité psychiatrique. Il est au zoo et observe une panthère. En voix off, on l’entend lire le poème La Panthère du poète autrichien Rainer Maria Rilke. La panthère du poème et celle du film tournent désespérément en rond dans leur cage, elles sont aussi aliénées que les malades enfermés dans leur tête.

Son regard du retour éternel des barreaux
s’est tellement lassé qu’il ne saisit plus rien.
Il ne lui semble voir que barreaux par milliers
et derrière mille barreaux, plus de monde.
La molle marche des pas flexibles et forts
qui tourne dans le cercle le plus exigu
paraît une danse de force autour d’un centre
où dort dans la torpeur un immense vouloir.
Quelquefois seulement le rideau des pupilles
sans bruit se lève. Alors une image y pénètre,
court à travers le silence tendu des membres –
et dans le cœur s’interrompt d’être.

(La panthère, un poème de Rainer Maria Rilke traduit en français par Claude Vigée.)

1989. The Simpsons

série TV The Simpsons (saison 2 épisode 3)

Le poème Raven (le Corbeau) d’Edgar Allan Poe est lu par l’acteur James Earl Jones. Un corbeau pénètre dans l’immense demeure d’un homme riche et le terrorise en répétant inlassablement les mots « Jamais plus… ».

Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué,
sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée,
pendant que je donnais de la tête, presque assoupi,
soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. « C’est quelque visiteur, – murmurai-je, – qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »

Once upon a midnight dreary, while I pondered, weak and weary,
Over many a quaint and curious volume of forgotten lore-
While I nodded, nearly napping, suddenly there came a tapping,
As of some one gently rapping, rapping at my chamber door.
“’Tis some visitor,” I muttered, “tapping at my chamber door
Only this and nothing more.”

Inspiration Poésie

Quand la vie des poètes inspire le cinéma

2021. Cette musique ne joue pour personne de Samuel Benchétrit avec François Damiens, Vanessa Paradis, Ramzy Bédia, Valeria Bruni-Tedeschi, JoeyStarr. Quelque part dans une ville portuaire française, un gang s’initie au théâtre, à l’art et à la poésie. Dans cet extrait, le chef de gang Jeff de Claerke, (joué par François Damiens) s’exerce à l’alexandrin, un vers de 12 syllabes.

2016 Poesía sin fin , film franco-chilien d’Alejandro Jodorowsky , est un petit bijou de fantastique et d’extravagance poétique. Santiago, pendant les années 1940 et 50, «Alejandrito» (Jodorowsky) âgé d’une vingtaine d’années, veut être poète malgré sa famille qui s’y oppose. Immergé au cœur de la bohème artistique et intellectuelle de l’époque, il vit aux côtés de jeunes poètes prometteurs et anonymes qui deviendront les maîtres de la littérature moderne de l’Amérique Latine. Ces rencontres lui donnent l’autorisation de devenir qui il est vraiment, de se réconcilier avec sa nature profonde et de percevoir le monde de manière sensible en se laissant porter par son imaginaire. Pour Alejandrito, la poésie est surtout une question de survie, un moyen de s’extraire de son environnement, en particulier de se libérer de son père qui veut qu’il soit médecin.

2014. L’institutrice, drame franco-israélien de Nadav Lapid. Une institutrice découvre que l’un de ses élèves, un enfant de 5 ans, possède un incroyable don pour la poésie. Lors de crises incontrôlables au cours desquelles l’inspiration lui vient de façon soudaine et inattendue, l’enfant déclame des poèmes de grande valeur qui suscitent l’intérêt de l’institutrice, elle-même passionnée de poésie. Elle décide alors de prendre soin de son élève pour cultiver son talent et surtout pour le protéger d’un monde qui, selon elle, l’écraserait parce qu’il hait les poètes. Malgré ce constat amer, le film est un pur joyau de poésie et de sensibilité.

2010. Poetry de Chang-dong Lee avec Jeong-hi Yun. En Corée du Sud, une femme d’une soixantaine d’années, apprenant qu’elle a la maladie d’Alzheimer, s’inscrit à un atelier de poésie et doit également faire face à un crime commis par son petit-fils.

2003. Sylvia de Christine Jeffs avec Gwyneth Paltrow et Daniel Craig. La rencontre de deux poètes au début de leur art : l’Américaine Sylvia Plath et le Britannique Ted Hugues.

2000. O Brother, where art thou ? des frères Cohen, avec George Clooney. Ce film est une adaptation de l’Odyssée, le long poème épique d’Homère, où Georges Clooney, le cheveu généreusement gominé, interprête brillammant le grand Ulysse. Rien que dans la bande annonce, on repère le prétendant de Pénélope et toutes les références à l’Odysée d’Homére : le cyclope, les sirènes….

1995. Rimbaud Verlaine (titre original : Total Eclipse) de Agnieszka Holland avec Leonardo DiCaprio. La relation tourmentée de deux poètes de génie qui ont fait entrer la poésie française dans la modernité.

1994. Le Facteur (titre original : Il postino) de Michael Radford avec Massimo Troisi et Philippe Noiret. Sur une petite île italienne, dans les années 1950, le jeune Mario décroche un emploi de facteur au service exclusif du célèbre poète Pablo Neruda récemment débarqué sur la péninsule. De cette rencontre naît une amitié renforcée par la poésie et Mario se sert alors du pouvoir des mots pour séduire la belle Béatrice dont il est amoureux.

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