Le RAP est-il devenu la nouvelle poésie urbaine ?

© Photo : asier_relampagoestudio on Freepik

Quel est le point commun entre Baudelaire, Rimbaud, François Villon et MC Solaar, Nekfeu, PNL ou encore BB Jacques ? Peut-être l’amour du verbe, de la langue française sous toutes ses formes et l’envie de générer des images transcendantes et de la musicalité à travers les mots pour s’extirper d’une prose prosaïque.

À tous ceux qui hissent l’étendard de l’offuscation et crient à la diffamation, je vous invite à vous laisser porter par le flow et ouvrir vos chakras. Les Immortels de l’Académie Française y sont bien parvenus le 17 mars dernier le temps d’un freestyle engagé d’Oli (BigFlo & Oli) qui les a impressionnés.

La poésie est vivante et le RAP hexagonal incarne aujourd’hui un style musical où le français déploie toute sa richesse et sa splendeur. Ce genre réinvente la langue, la préserve de la fossilisation et reflète également la France contemporaine, dans toute sa diversité, à la fois sombre et lumineuse.

Rencontre inspirante avec Antoine Smith, artiste polymathe, qui manie le grand écart de style avec la souplesse d’un maître yogi.

Issu d’une famille de musiciens, Antoine Smith, a commencé le violoncelle à trois ans, les Beaux-Arts à quatre pour finalement devenir réalisateur ayant découvert l’univers Hip Hop à 18 ans. Antoine est surtout connu et reconnu pour avoir fait entrer le RAP là où on ne l’attendait pas. Son émission « Piège de freestyle » (clin d’œil au film presque éponyme de la série Die Hard) dans laquelle des rappeuses et des rappeurs étaient invités à s’exprimer sur des sujets d’actualité, est devenue le premier programme de rap du service public sur France 4.

Entre autres faits d’armes, Laurence Ferrari, dans Punchline, a également fait appel à lui lors des présidentielles de 2017 afin que des artistes urbains interpellent en rappant les candidats sur des sujets d’actualité.

Il nous invite dans un premier temps à redéfinir et contextualiser ce mouvement aussi musical que social.

Le RAP, importé des ghettos new-yorkais dans les années 80 est aujourd’hui la musique la plus écoutée en France. C’est avant tout une tribune pour ceux à qui l’on ne donne pas de voix. Comme le dit Antoine Smith, le RAP est la discipline « la plus accessible qui ait jamais existé. Sa grande force est que n’importe qui peut en faire. Sa grande faiblesse aussi… »

Avant tout revendicative, elle est un cri brutal, un pamphlet sauvage et n’a pas vocation à être une œuvre littéraire qui transcende les esprits et libère l’imaginaire. Elle est vorace, elle exulte, elle est exutoire. NTM. Cependant, ce n’est pas complètement vrai.  Un MC Solaar fait déjà valser les rimes, pourchasse le spleen en scandant à tue-tête, joue avec le flow avec flex. Il taquine l’imaginaire avec des métaphores graciles et évanescentes. Il figure, avec style.

Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, le RAP est un phénomène social, qui donne la voix aux oubliés et ces derniers manient le verbe avec parfois la dextérité d’un académicien français, nous souligne Antoine Smith. MC Solaar, Oxmo Puccino, Nekfeu, Akhenaton, sont autant d’exemples d’artistes qui mettent en musique des œuvres poétiques.

Du cri de colère, ils libèrent : de la nostalgie, de l’errance de l’exil, de la violence portée à son acmé. Le titre du rappeur et écrivain franco-rwandais Gaël Faye « Petit Pays » qui évoque la guerre et le génocide qui ont ravagé son pays natal est un porte-étendard de cette catharsis pacifiée par la poésie des mots.

Les textes de certains morceaux sont même parfois plus que des poèmes et se veulent une main tendue vers des œuvres et une culture plus « classiques ». Quand Nekfeu s’inspire de Maupassant (« le Horla ») ou rend hommage à Kundera (« Risibles amours » qui est selon l’artiste l’œuvre qui l’a le plus marqué) le RAP n’est plus seulement une voix qui sait être poétique mais une voie d’accès à une culture trop souvent inaccessible pour certains.

Un pont entre deux rives, au -dessus des « flows », fait de rimes et figures de style. Nekfeu le dit lui-même, pour bien appréhender ses titres, il invite ses auditeurs à lire les œuvres qui l’inspirent et qu’il cite.

Selon Antoine Smith, cet artiste a été l’un des premiers à incarner une nouvelle mouvance du RAP qu’on peut appeler « Mood » au début des années 2010, après une décennie de RAP plutôt « Ghetto ».

Il y aussi le « cloud » de PNL qui fait la place belle à des beats plus lents, des sujets plus évanescents pour tous ceux dont l’esprit veut se faire la belle.

Le RAP est désormais de plus en plus imagé, imaginaire, introspectif, mélancolique, universellement singulier. Il monte lentement mais sûrement les marches qui mène vers le panthéon poétique, où siège déjà l’un de ses semblables, le slam, représenté par des poétesses comme Lisette Lombé ou Yas.

On peut dire que les textes ne sont pas toujours d’un style soutenu, François Villon au 15ème siècle utilisait déjà l’argot. On peut dire que les textes sont souvent durs et violents, Baudelaire a écrit La Charogne, Rimbaud Le dormeur du Val.

La poésie du mal, la poésie qui choque, n’est pas l’apanage des rappeurs.

Le RAP n’est pas toujours poésie, mais quand il l’est, il se fait l’écho d’une jeunesse qui aime la langue française et qui souhaite s’affranchir des carcans de leur condition. Condition sociale, générationnelle, ou simplement humaine. Transcender, s’évader, imaginer, rêver :

« Est-ce que tu rêves d’avoir des rêves, est-ce que tu vois le ciel ?
P’t-être que tu crois que t’essayes en plongeant dans les ténèbres
Est-ce que tu rêves d’avoir des rêves ? Ne crains plus les défaites
Les as-tu cru quand ils te disaient que toutes les luttes étaient belles ? »

Nekfeu. Rêve d’avoir des rêves. 

Selon le « Larousse », la poésie est l’art d’évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les émotions les plus vives par l’union intense des sons, des rythmes, des harmonies, en particulier par les vers. Alors, souvent, de la poésie au RAP, il n’y a qu’un vers.

© DR

Antoine Smith

Antoine Smith est un auteur réalisateur au parcours atypique : de formation de musicien classique et de violoncelliste, il étudie tout d’abord l’illustration et la photographie à l’institut Saint Luc de Tournai en Belgique, puis la peinture aux Beaux-Arts de Bruxelles et entreprend des études de Cinéma à l’INSAS. Le destin veut qu’il devienne par hasard animateur de soirées Drum’n’Bass et Hip-Hop, et donne plus de 300 concerts lors de cette décennie, qui le mène aux 4 coins de l’Europe.

Au début des années 2010, il crée et anime « Piège de Freestyle », (l’émission qui fait rapper les Mc’s sur des sujets de l’actualité), qui connait aussitôt un succès sur le web. De nombreux artistes du RAP Français passent dans l’émission, ainsi que des invités de marque (Michel Gondry, Veekash Dhorasso, ou Alban Ivanov). 

« Piège de Freestyle » devient le premier programme de RAP de la télévision publique française en accédant à France 4 en 2014. 

Antoine Smith propose alors aux médias français de se servir du RAP comme outil social afin de changer les regards sur les Banlieues. 

C’est ainsi qu’il écrit et réalise le spot de la Fête Nationale française pendant 3 ans pour France Télévisions mettant en lumière le Hip-Hop et les visages des Banlieues dans une parole de cohésion sociale. Il réalise le documentaire sur les 10 ans du Festival Paris Hip-Hop, plus gros événement Hip-Hop du monde, basé en région Île-de-France. Il est envoyé aux 4 coins du monde par l’OIF pour réaliser une campagne contre la radicalisation religieuse en allant à la rencontre des jeunes artistes des ghettos francophones récolter une parole de paix en RAP. Il travaille avec Laurence Ferrari dans l’émission « Punchline » où il place des artistes urbains qui interpellent les candidats de la campagne présidentielle 2017 en rappant. 

Il travaille aujourd’hui sur une comédie musicale hip-hop fantastique pour le Cinéma, ainsi que sur le retour de « Piège de Freestyle »

Petit Pays

Le Livre de Poche

Gaël Faye

Pour les néophytes qui souhaitent une initiation douce et accessible au RAP, rien de plus simple que de commencer  par l’écoute de Gaël Faye. On y découvre que le rap est loin de se limiter à un simple genre musical.

Gaël Faye est un artiste aux multiples facettes, à la croisée des chemins entre poésie, rap et littérature. Né en 1982 au Burundi d’une mère rwandaise et d’un père français, il grandit au cœur de l’Afrique des Grands Lacs, une région marquée par son histoire complexe et douloureuse. Cet héritage culturel et historique nourrit profondément son œuvre, façonnant une voix unique dans le paysage artistique francophone.

La poésie de Gaël Faye

La poésie de Gaël Faye est à la fois intimiste et universelle. Ses vers capturent des instants de vie, des émotions brutes, et des réflexions profondes sur l’identité, l’exil et la mémoire. Sa plume, souvent comparée à celle des poètes du courant de la Négritude, se distingue par une sensibilité particulière à la condition humaine et aux injustices sociales. Faye sait jouer avec les mots, les rythmes, et les images pour créer des poèmes qui résonnent comme des chants, à la fois doux et puissants.

Le RAP : un engagement musical

Le rap est pour Gaël Faye un prolongement naturel de sa poésie. En tant qu’artiste de RAP, il utilise la musique comme un moyen d’expression et de dénonciation. Ses textes, souvent autobiographiques, abordent des thèmes tels que la guerre, le racisme, l’exil et la quête d’identité. Son album « Pili Pili sur un croissant au beurre » (2013) est un témoignage poignant de son vécu, où chaque morceau est une pièce d’un puzzle complexe, représentant les différentes facettes de sa vie et de son héritage.

À travers le RAP, Faye parvient à toucher un large public tout en restant fidèle à ses convictions. Il s’inscrit dans la tradition du RAP conscient, un courant qui privilégie les textes réfléchis et engagés, en opposition à une industrie souvent dominée par le matérialisme et la superficialité. Ses paroles sont porteuses de sens, invitant à la réflexion et à l’empathie.

La Littérature : « Petit Pays » et Au-Delà

Gaël Faye se fait également connaître comme écrivain avec son premier roman, « Petit Pays » (2016). Ce livre, qui a remporté de nombreux prix dont le prestigieux Goncourt des Lycéens, est un récit semi-autobiographique qui plonge le lecteur dans l’enfance de Gaby, un jeune garçon métis vivant au Burundi pendant la guerre civile et le génocide rwandais. « Petit Pays » est un chef-d’œuvre de délicatesse et de puissance narrative, où Faye explore la perte de l’innocence, la fracture identitaire et la douleur de l’exil.

À travers « Petit Pays », Gaël Faye démontre son talent pour la narration littéraire, un talent qui transcende les frontières de la poésie et du rap. Son écriture est marquée par une précision des mots et une capacité à créer des atmosphères vibrantes, rendant palpable la beauté et la tragédie de ses histoires.

Nekfeu

Le horla

Allitération et RAP français

L’exemple de Claude M’Barali, alias MC Solaar.

Les effets de styles ne sont pas réservés qu’à la poésie ! Dans cette vidéo, Flore de Lys analyse « Solaar Pleure » d’MC Solaar pour vous expliquer l’allitération.

1 Commentaire
  • Chauvenet Claude
    Publié à 11:26h, 16 août Répondre

    👏👍

Postez un commentaire

#SUIVEZ-NOUS SUR INSTAGRAM