Sous le pied du quidam, le macadam s’enflamme

© Photos : DR

Il y a une magie particulière dans la brièveté et l’apparente simplicité.
Un mot peut tout changer.
Une phrase bien tournée peut intriguer.
Une phrase bien ficelée peut amuser.
Une phrase bien pensée peut bouleverser.
Une phrase inspirée peut panser : les petits bobos comme les grandes plaies.

Comme des éclairs de fulgurante vérité, des punchlines poétiques ou aphorismes magnétiques s’emparent de la rue pour y semer l’humour et l’amour toujours. Le quidam est interpelé.

Lundi matin. J’ai rendez-vous dans un quartier très perché, absolument bohème, où bat le cœur sacré de Paris.

D’ailleurs, qu’ils y sont beaux les « je t’aime », ils y ont un goût d’éternité sans blasphème.

Une chose est certaine, près du sacré cœur, ça « craie » énormément.

Vous l’aurez deviné, rencontre très montmartroise avec Claudie, alias Ma rue par Achbé, conceptrice rédactrice, street-artiste et poétesse urbaine. Elle m’a conviée dans son univers, le temps d’un café puis d’un deuxième, près de sa rue, sur une place un peu cachée, dans le dernier bastion d’une authenticité parisienne canaille et insubordonnée.

Claudie m’a accueillie les bras ouverts. Nous avons échangé, nous avons partagé et qu’est-ce que nous nous sommes déridées ! Une rencontre qui réchauffe le cœur et affûte l’esprit.

Cœur sur la main, craie au poing, la seule fois où vous la verrez agenouillée c’est sur son bitume et c’est pour mieux se dresser : contre les injustices, contre les peines et les sans-gênes, contre l’ennui, contre l’oubli et pour toutes les femmes qui ont subi.

Tout commence un matin d’avril 2017. Sur le trottoir devant chez elle, armée des craies de ses enfants, Claudie « perd, l’espace d’un instant sa capacité à être adulte », elle retrouve son écriture de gamine et se met à « craier ». Un joli pied de nez fait de cursives pour cette ancienne élève à qui l’on reprochait sa dysgraphie.

« Love for rêver » est l’un de ses premiers coups d’éclat, comme un slogan qui lui va comme un gant.  Mais c’est son hommage à Simone Veil qui la catapulte vers la célébrité :

« Simone s’éteint, les femmes restent en veille. »

Claudie ne fait pas le lien tout de suite, mais elle écrit à l’endroit même où quelques mois auparavant, son mari Hervé Baudry (dessinateur de presse au coup de crayon aiguisé) s’est écroulé et ne s’est jamais relevé. Son cœur s’y est arrêté un jour de printemps.

Elle se rend alors compte qu’elle reprend à sa façon le coup de crayon de son mari, qu’elle manie la poésie du bitume et utilise la punchline comme une arme de reconstruction massive. Un acte de résilience et de résistance dans un cri silencieux pour l’existence. Des messages vus du ciel pour nos morts et nos vivants.

Ma rue par Achbé (HB) est née. 

Elle aime les poèmes courts, mais n’a pas voulu se plier aux règles des haikus. Elle ne veut se fixer aucune contrainte de style sur le trottoir à part celle d’être la plus courte possible pour l’idée qu’elle a à transmettre. 

Elle se décrit comme une street-artiste pantouflarde puisqu’elle écrit toujours devant chez elle, une unité de lieu qui transforme l’asphalte en palimpseste et ses œuvres en poussière de craie emportée sous la semelle. Seule la pensée reste, et un cliché, une photo à la Doisneau, pour emporter un bout d’éternel. Vandalisme éphémère assumé et apprécié par le quartier. Pantouflarde peut-être, mais certainement téméraire !

Elle laisse la conquête du monde aux Invaders et autres street-artistes qu’elle admire mais elle aimerait tout de même bien organiser un tour du monde de ses messages à la craie… un jour.

Ses inspirations ? La pub des années 80, celle qui faisait rire en bonne intelligence (celle de Jean-Paul Goude et d’Etienne Chatiliez), Arthur Teboul (poète contemporain atemporel), des écrivaines et écrivains comme Virginia Woolf, Oscar Wilde, Virginie Despentes et Erri de Luca (pour qui elle voue une passion toute singulière), Eliott Erwitt, un photographe de chez Magnum. Finalement la photographie et la punchline, même combat : une balle de magnum qui doit viser le cœur en une fraction de seconde. Pari réussi pour Claudie.

Quand je la compare à Miss Tic (dont les œuvres sont exposées au Palais des Papes d’Avignon, jusqu’au 5 janvier 2025), elle me répond « c’est la Queen ! » et c’est, j’ai l’impression, le plus beau compliment qu’on puisse lui faire.

Sa plus grande fierté ? susciter des pensées, quelques sourires et que ses phrases aient permis à des enfants du quartier d’apprendre à lire.

Je repars avec sa définition de la poésie qui résonne encore par sa justesse, comme une flèche pointée en plein cœur, comme une punchline enrobée de douceur : 

« Une poésie réussie c’est celle qui me remue au plus profond. L’art de l’émotion. Un fouet qui vient battre et faire battre le cœur. Et qui dégage une sensation de facilité. Avoir une idée simple c’est génial, avoir une idée géniale, c’est pas simple. »

Ma rue par Achbé

L’artiste « Ma rue par Achbé », de son vrai nom Claudie Baudry, est conceptrice-rédactrice, street-artiste et poétesse urbaine. Elle est connue pour ses messages poétiques et engagés qu’elle écrit à la craie sur les trottoirs, essentiellement celui en face de chez elle, à Montmartre. Ce projet est né en 2017 avec des aphorismes qui allient humour, réflexion et optimisme.

Après des études de lettres et civilisation étrangère (anglais), elle écrit un mémoire sur l’utilisation de l’art dans la publicité. Très inspirée par la publicité des années 80, et par la concision des punchlines qui doivent décrire et évoquer un concept en très peu de mots, Claudie aime aussi la phrase courte du fait de sa disgraphie et de son inspiration, qui arrive le plus souvent comme une fulgurance pressée.

Claudie utilise la rue et le bitume comme un espace d’échanges et de discussion. Elle aborde des sujets variés, des petites choses de la vie à la nécrologie, en passant par son engagement pour la cause féministe.

Elle cherche à provoquer un bref sourire, un regard furtif et mieux, un échange passager.

Ses œuvres sont très populaires sur les réseaux sociaux, où elle publie régulièrement ses créations. Aujourd’hui, elle compte des milliers d’abonnés, et ses messages continuent d’inspirer.

Elle a récemment publié un leporello, « Ma rue par Achbé » (Éditions Gallimard), qui regroupe certains de ses messages emblématiques, consolidant ainsi son impact aussi bien dans l’espace physique éphémère que durable. Comme elle le dit si bien, « du bitume au papier la boucle est bouclée. »

Pour rester connectée avec son public, Achbé multiplie les événements, avec des dédicaces et des projets qui mettent en avant les causes qui lui tiennent à cœur, comme les petits métiers en voie de disparition ou la solidarité dans les quartiers.

Elle vient d’exposer dans la crypte de la Madeleine à l’occasion d’une exposition regroupant 106 artistes ; Street Art Madeleine, organisée par la Galerie Roussard et Codex Urbanus et qui a réuni 200 œuvres acquérables.

Vous pouvez également retrouver les clichés de ses messages poétiques les plus connus sur son site et acquérir un tirage réalisé en partenariat avec le célèbre laboratoire Dupon.

Elle expose également à partir du 1er octobre à La Villa des Arts – 15, rue Hégésippe-Moreau à Paris 18.

2 Commentaires
  • Flo Montorgueil
    Publié à 01:49h, 27 septembre Répondre

    Cet article met magnifiquement en lumière la poésie urbaine de Claudie, alias Ma rue par Achbé.
    Son approche créative, qui mêle légèreté et profondeur, rappelle à quel point l’art peut être un vecteur de résilience, de partage d espérance aussi .
    Les mots, simples mais puissants, deviennent des éclats de vérité dans notre quotidien.
    J’apprécie particulièrement son hommage à Simone Veil, qui illustre son engagement social.
    Cette rencontre révèle la beauté des petites choses et l’importance de laisser une empreinte, même éphémère, sur le bitume ou les cœurs de la vie
    Bravo pour ce portrait inspirant !

  • Florence
    Publié à 11:36h, 02 octobre Répondre

    Bravo pour ce très beau poème qui réchauffe le coeur et fait du bien au moral. Un rayon de douceur et de soleil dans ma journée. Bravo pour la très belle écriture légère et profonde à la fois.

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