Le Castor Astral : l’héritage anticonformiste

© Photo : DR

Qui a dit que les success stories entrepreneuriales qui ont commencé dans un garage étaient l’apanage des géants du net et des groupes de rock ? 

Le Castor Astral est une maison d’édition née sous une bonne étoile boréale. Un rêve un peu fou de deux jeunes étudiants qui s’est manifesté dans un avion, à dix mille mètres d’altitude et qui s’est depuis, bien envolé.

Il y a eu des pommes, des scarabées, des pierres qui roulent et puis un castor qui a lui aussi bricolé le futur dans un garage, à coups de rêves tout aussi simples que démesurés : bousculer les conventions pour proposer un souffle nouveau.

Le Castor Astral est au monde éditorial ce que les Rolling Stones sont à la musique, des agitateurs électrisants.

Deux bordelais aux pays des castors

Marc Torralba et Jean-Yves Reuzeau, étudiants en Carrière du Livre à Bordeaux, partent pour un long stage au Québec. C’était il y a cinquante ans. Choc thermique et éphiphanique : ils découvrent une région où la poésie contemporaine mène le débat, où la poésie contemporaine se voit et fait loi pour briser l’ordre établi.

Des vers pour des rêves : la révolution des poètes

Depuis les années 1960 la société québécoise s’affirme, revendique ses droits et le débat autour de l’indépendance est en pleine ébullition. Un vent brûlant souffle sur les braises insurgées d’un Québec en quête de liberté identitaire et culturelle. 

La célèbre nuit du 27 mars 1970 marque l’apogée de ce mouvement. Les esprits se lèvent, les poètes montent sur la scène. L’atmosphère électrique fend l’air comme la Fender stratocaster de Jimi Hendrix à Woodstock. Sa guitare hurlante avait alors lacéré à coups de larsens le silence d’un conformisme, comme un manifeste politique et culturel d’une génération qui voulait dessiner un nouveau monde.

Woodstock, Québec, deux lieux, même ambiance : la revendication et la célébration d’une expression libérée. Ou quand l’art et la poésie en particulier deviennent des instruments de changements sociaux.

Le retour en France

Les deux étudiants galvanisés par l’effervescence culturelle d’un Québec survolté, reviennent en France avec des escarbilles de ce feu sacré et l’envie d’y bâtir, eux-aussi, un nouveau monde poétique.

Le Castor Astral est né.  

Les débuts sont artisanaux, on imprime d’abord dans des garages, c’est du fait maison. La suite sera exponentielle et structurée. Aujourd’hui la maison astrale est solidement bâtie. C’est dur comme du bois. En témoignent des succès comme Anthologie 80 (500 pages pour 144 poètes contemporains) qui les a mis en orbite, l’attribution du prix Nobel de littérature au poète Tomas Tranströmer en 2011 dont ils ont publié les œuvres complètes et plus récemment la publication du premier recueil de poésie de Cécile Coulon  Les Ronces, prix Apollinaire 2018.

50 ans après : le passage de flambeau

Je rencontre Clément Ramos, jeune nouveau directeur de publication, qui depuis trois ans perpétue l’héritage des fondateurs et continue d’ériger de nouvelles voies poétiques en prise avec leur temps.

« Chaque fois qu’on ouvre un livre du Castor Astral on ne sait pas sur quoi on va tomber »

Inattendu et sérieux

C’est la première impression qu’il m’a donnée, et cela tombe bien, c’est l’ambition de la maison : « Chaque fois qu’on ouvre un livre du Castor Astral on ne sait pas sur quoi on va tomber ».

Clément Ramos m’explique qu’il est arrivé chez Castor Astral par un alignement de planètes opportun. Après des stages chez Fayard puis Flammarion en sciences humaines, un passage décisif chez Stock auprès de Manuel Carcassone va définitivement le plonger dans le monde de l’édition : « C’est la première fois que je touchais à la littérature pure ».  

Lorsque je lui demande comment il gère la pression liée à la responsabilité de son poste, il me répond qu’il ne la ressent pas vraiment d’autant que les fondateurs ne sont jamais très loin pour le soutenir. Sa légitimité ? elle lui vient de la fraîcheur de son regard qui n’exclut en aucun cas la rigueur : « l’expérience préserve de certaines choses mais peu importe l’âge du moment qu’il y a de la rigueur ».

Et les succès sont au rendez-vous. Le dernier Hollie McNish, Je souhaite seulement que tu fasses quelque chose de toi, un mélange de poésie sans tabou, de nouvelles et d’essais de 500 pages cartonne et dépasse les 5000 ventes.

Agitateurs de littérature

Deux axes pour repérer les étoiles qui s’ajouteront au manteau astral.

Sur l’axe des abscisses se mesure l’écartement d’une littérature dite blanche plutôt classique que d’autres savent très bien faire, avec « cette envie de renouveler quelque chose dans les voix narratives ».

Sur l’axe des ordonnées, un critère qui l’est beaucoup moins, le coup de cœur, celui qui désarme. Clément Ramos me cite en exemple Du verre entre les doigts premier roman d’Alix Lerasle, poétesse ayant obtenu le prix de la Vocation pour son recueil Faut-il des murs pour faire une maison, « une décision qui s’est prise en vingt-quatre heures ».

Depuis que Clément Ramos est le maître d’œuvre, il souhaite insuffler toute la narrativité du roman classique combinée à ce que la poésie peut apporter dans le renouvellement des récits et des formes. Le roman est une institution dont la mécanique de changement est lente là où la poésie contemporaine est effervescence et jeu sur les genres : « c’est plutôt dans les marges que cela se fait, il y a une vraie liberté de création. »

 Clément Ramos veut proposer une littérature différente avec une ligne éditoriale qui se dessine comme une constellation, a posteriori.

Les libraires lui attribuent une ligne féministe. Clément Ramos dit plutôt ne se fermer à rien, à aucune œuvre ni aucun auteur. C’est ainsi, selon lui, que se dessine une sociologie d’auteurs et d’autrices différents. A l’ancien étudiant d’histoire d’ajouter que si les femmes prédominent dans le paysage actuel c’est qu’elles ont à ce jour plus de choses à dire.

« On lit d’abord un texte puis on cherche à découvrir l’auteur ensuite. »

Chaque livre est une histoire différente, aucun travail sur le texte ne se ressemble. « Le travail que je fais avec Alix ne ressemble pas à celui que je fais avec Thomas Flahaut ou Cécile Coulon. »

Quoi qu’il en soit, Clément Ramos met les mains dans le cambouis et veut que l’auteur sente qu’il est dans une maison qui comprend son texte.

« Sans faire un discours à la Miss France », Clément Ramos espère changer un peu le monde, a minima emmener des personnes vers la littérature avec des œuvres qui impactent, perturbent parfois et qui font basculer dans tous les cas.

« Les maisons indépendantes sont le fer de lance des nouvelles voix »

La passion comme moteur

Clément Ramos n’est pas nostalgique du temps où les livres avaient meilleure presse. Le défi que représente chaque nouvelle parution aujourd’hui confère une couleur particulière à son travail qui est de l’ordre de la passion la plus exigeante.  C’est un combat de tous les jours, une effervescence de chaque instant qui n’est pas pour lui déplaire.

« Les maisons indépendantes sont le fer de lance des nouvelles voix » comme en témoigne le succès de Han Kang, lauréate du prix Nobel de littérature 2024, qui a d’abord été éditée chez Le serpent à plumes.

Il est dur de se faire une place parmi tous les médias qui ont émergé mais il se félicite que le livre demeure une valeur refuge.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, on tire désormais un nombre d’exemplaires pour les œuvres poétiques proches du roman, des auteurs contemporains sont étudiés à l’école comme Hélène Dorion et une nouvelle scène émerge grâce aux réseaux sociaux.

Clément Ramos attribue à ce succès florissant le fait que ce soit une poésie plus narrative, moins hors-sol avec des formes qui se départent des contraintes normatives.

La poésie d’aujourd’hui parle concrètement, traduit des aspirations identitaires, offre des perspectives générationnelles et socio-politiques comme Cécile Coulon qui raconte la vie d’une génération.

Clément Ramos espère que l’accession à cette littérature nouvelle puisse également permettre d’atteindre des auteurs plus difficiles d’approche comme Jacottet ou Lebrun.

Une Quinquagénaire sans aucune ride

En 2025, les éditions du Castor Astral fêteront leurs cinquante ans.

Cinquante ans, 1500 titres, un prix Nobel, de grands succès, une de leurs autrices, Linda Maria Baros, à la tête du Printemps des poètes et une envie qui reste intacte : celle de faire vivre une littérature différente, un espace dans lequel la poésie occupe une place centrale.

Une maison quinquagénaire qui ne connaît pas de crise et qui semble avoir trouvé la recette d’une jeunesse éternelle : conserver le feu sacré, l’effervescence et l’envie de bousculer l’ordre établi pour bâtir une nouvelle voie lactée.

Clément Ramos, directeur littéraire et Marion Grody,
responsable commerciale en lien avec les librairies.

Le Castor Astral

Fondée en 1975 par Jean-Yves Reuzeau et Marc Torralba, la maison d’édition Le Castor Astral s’est imposée comme un acteur incontournable dans le paysage littéraire français. Dès ses débuts, elle s’est engagée à publier des textes de poésie contemporaine et d’une littérature  aux formes nouvelles.

Une reconnaissance majeure survient en 2011 avec le prix Nobel de littérature attribué à Tomas Tranströmer, dont l’œuvre poétique complète est alors éditée par la maison.

Pionnier dans la mise en valeur des voix littéraires singulières, Le Castor Astral explore des terrains créatifs souvent en marge des circuits traditionnels. La maison publie de la poésie, des romans, des essais et des traductions, tout en cultivant une affinité particulière pour les écritures poétiques expérimentales.

En 2024, Le Castor Astral célèbre les trois ans de sa collection « Poche/Poésie », une initiative qui permet de mêler les jeunes voix de la poésie contemporaine et les figures historiques du genre dans des ouvrages accessibles à tous, grâce à des formats à prix réduit. À travers cette collection, la maison d’édition continue de prouver son engagement pour la démocratisation de la poésie et la rencontre entre générations littéraires.

L’année 2025 marquera un moment exceptionnel pour Le Castor Astral, qui fêtera alors ses 50 ans d’existence. Cinquante années consacrées à l’exploration des écritures contemporaines et à la défense d’une littérature audacieuse et engagée.

Nuit de la poésie au Québec

La nuit de la poésie qui s’est déroulée le 27 mars 1970, est un événement poétique et littéraire fondateur considéré comme le Woodstock québécois.  

Parmi les artistes qui montent sur scène pour lire des poèmes, chanter ou encore réaliser d’autres performances figurent Gaston Miron, co-fondateur des éditions l’Hexagone (première maison d’édition consacrée à la poésie québécoise) Claude Gauvreau, Paul Chamberland et Michèle Lalonde avec son célèbre Speak White qui condamne l’exploitation et l’oppression linguistique culturelle et économique des québécois par la culture anglo-américaine.

Il est 5 heures, Québec s’éveille. 

Le Gesù de Montréal affiche complet pour une soirée que l’on qualifiera de plus grande fête de la parole qui n’ait jamais eu lieu au Québec et qui a été immortalisée par un film réalisé par Jean-Claude Labrecque et Jean-Pierre Masse.

Véritable manifeste de la parole poétique et de l’identité québécoise, cette nuit a offert une tribune où la poésie devenait un acte de résistance et d’affirmation culturelle. Aujourd’hui encore, la Nuit de la poésie reste un symbole fort de la vitalité littéraire et du pouvoir rassembleur de la poésie dans l’espace francophone.

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