26 Jan La résistance en poésie mais à quoi ?
par Grégory Rateau
Un vent nouveau souffle sur la poésie. Il semble s’inviter un peu partout, que ce soit sur la scène, les rencontres en librairies, les marchés consacrés, les manifestations du Printemps des poètes, les Maisons de poésie, les réseaux sociaux ou encore grâce à la vitalité de l’édition indépendante qui défriche souvent très largement et dans la marge. La voix du poète autrefois assez discrète s’affiche dans les rames de métro, sur les murs de la cité, dans des évènements publics quand le poète ne remonte pas ses manches pour lire dans les lieux les plus incongrus où sa parole surprend parfois car elle n’est pas attendue. Un retour à l’oralité, à la parole chantée, à des livres de plus en plus artisanaux et soignés. Sincèrement, et pour faire démentir les plus grincheux, je ne pense pas que cette énergie déployée soit inutile.
Comme dans chaque nouvelle vague, beaucoup se sentent mis de côté, ils ont alors tendance et c’est humain, à se mettre en retrait, à se replier dans des chapelles générationnelles. On découvre alors que ce « milieu » comme tous les milieux, peut avoir ses espaces de copinages, ses guerres intestines, ses jeux de pouvoir et donc des hiérarchies à ne surtout pas remettre en question. Ce n’est pas nouveau là encore et je ne pense pas qu’il faille s’y attarder. Cela ne doit en rien entacher ce vent de renouveau, cette énergie communicative car la poésie longtemps marginalisée a encore des choses à dire, à partager.
J’en viens donc au sujet de la résistance qui, surtout de nos jours, est un mot à prendre avec des pincettes (c’est le thème choisi pour le grand retour de l’Anthologie Seghers du Printemps des poètes, Esprit de résistance coordonnée par Jean-Yves Reuzeau). Quand on sait que de grands poètes étaient autrefois des résistants, qu’ils sont morts pour défendre leurs convictions et s’opposer au pillage, au meurtre et à la barbarie. Se pose alors cette question bien légitime : Les poètes d’aujourd’hui, jeunes ou moins jeunes, ne résisteraient donc plus à rien ? Je ne le pense pas, bien au contraire. Continuer à écrire de la poésie, se faire l’écho des grandes voix du passé, essayer de faire connaître des poètes « plus sombres » et souvent oubliés, est un acte de résistance en soi. C’est une quête, une vocation. Il me semble important de le signaler car il est possible de le faire sans se rendre obscur ou n’écrire que pour une élite, un entre-soi.
Sans démagogie aucune, la poésie nous tombe dessus, c’est un appel et une fois que l’on « rentre en poésie » il faut savoir s’en montrer digne. Ces combattants et je ne mâche pas mes mots, ont comme seules armes à leur disposition, leur authenticité, leur vécu, leur culture, l’exigence de la langue. Un territoire pourtant illimité à sans cesse reconquérir du moins à se réapproprier. Le faire sans pour autant négliger la fraternité, aller vers les autres et leur tendre la main, faire corps pour partager une vision commune et réfléchir ensemble aux moyens concrets pour faire avancer la cause.
La poésie n’enjolive en rien, elle creuse aussi la plaie, donne du sens à la souffrance. Elle n’est pas déconnectée du réel comme beaucoup s’acharnent à le proclamer, elle montre à voir et à percevoir autre chose. C’est une déflagration avec pour seul horizon la lucidité.
J’ai pour ma part grandi dans le 93 où régnait l’individualisme et les rapports de force et il m’a suffi d’une simple rencontre en classe avec la prose du jeune Arthur Rimbaud pour me faire dévier radicalement de mon chemin de sensibilité initial. Depuis ce jour, je me suis juré de rendre à la poésie ce qu’elle m’avait donné. Je le fais à ma petite échelle, en lisant beaucoup de poésie, d’hier et d’aujourd’hui, en essayant d’en écrire, de mettre en relation les uns avec les autres, en participant à des rencontres avec des classes… Je sais que nous n’avançons pas en vain car l’objet de notre lutte nous dépasse et de loin.
Sommes-nous seuls à lutter ? Là encore de puissants passeurs œuvrent dans l’ombre : critiques, éditeurs, lecteurs et, comme je l’ai suggéré, des enseignants. Certains font également un travail de modérateur, tempérant les ego. Ils résistent à leur façon en mettant souvent leur propre production de côté pour faire reconnaître d’autres voix que la leur sans le moindre sectarisme. C’est donc bien de résistance dont il s’agit ici, de faire passer la poésie avant sa petite personne, de continuer encore et toujours à se remettre en question, à apprendre, à garder sa curiosité intacte et renouveler sans cesse son sens de l’émerveillement. Se débattre avec toujours plus de fougue sur le terrain des mots.
Je le dis sans angélisme, nous pouvons encore collectivement faire triompher ce grand cri de liberté. La poésie incarne tout cela et bien plus et nos poètes en sont bel et bien les porteurs de feu. Lisez-les, épaulez-les, partagez-les, donnez-leur une chance de vous remuer, de bousculer vos certitudes !
Grégory Rateau
Né en 1984, ce sale gosse a grandi à Clichy-sous-Bois où il a eu la chance de découvrir par hasard Charlie Parker, Jim Morrison, Rimbaud, Bob Dylan, Bogart et Henry Miller. A la fin de l’adolescence, il se fait la belle : marchant, rêvant, réalisant des films et bossant parfois dans des fermes (Liban, Irlande, Népal…). Il a aujourd’hui posé ses valises en Roumanie. Auteur d’un récit de voyage sur la Roumanie en « Hors-piste » qui est devenu un succès de librairie dans sa version roumaine, il a enchaîné avec un premier roman chez Maurice Nadeau, Noir de soleil (finaliste du Prix France-Liban et du Prix Ulysse du premier roman 2019). Il a également commis plusieurs recueils dont Imprécations nocturnes chez Conspiration éditions (Prix Amélie Murat et Prix Renée Vivien 2023, finaliste du Prix Robert Ganzo la même année) et son dernier en date Le Pays incertain qui a obtenu le Prix Rimbaud 202’4 de la Maison de poésie. Sa poésie circule un peu partout et dans plusieurs langues : revues (Arpa, Le Cafard Hérétique, DoKreis, Place de la Sorbonne, Le Journal des poètes, Verso…), livre d’art (Poème Païen à l’œil de la méduse), anthologies (dont Ces Instants de grâce pour l’éternité au Castor Astral, 2024, Génération Manifeste aux Editions Manifeste, 2024, Esprit de résistance aux Éditions Seghers 2024). Il lit sa poésie sur scène dans des Festivals (Sémaphore, Voix Vives de Sète, Baie des plumes…). Ce poète révolté par l’écriture et seulement par elle recherche encore la fraternité là où il peut la trouver.
Anne marie lallement
Publié à 09:29h, 27 janvierMerci à toi gregory de dire si bien que la poésie véhicule un esprit de résistance à tout jamais. Biz
Zerdoumi
Publié à 15:21h, 28 janvierIl y a ceux qui sont beaux sans le savoir : les animaux, les insectes, les plantes, les océans, les montagnes, les forêts, les déserts, certains cieux. Il y a ceux que la souffrance, la soif et la faim rendent méconnaissables et muets. Il y a ceux qui pleurent et s’efforcent d’enterrer leurs morts. Et puis il y a les poètes qui vivent ces dilemmes : parler de la beauté ou de la souffrance ? Se sentir irrémédiablement coupable ou résister par les mots et se croire lavé de tout soupçon ?
Le chaos du monde et l’omniprésence de la barbarie doivent nous faire prendre conscience de la vanité du verbe mais aussi – et cela peut sembler paradoxal – de sa nécessité. De grands poètes ont écrit pour dénoncer la guerre, le tyran, l’oppression, la misère. La peinture avec ses couleurs également. Le cinéma avec l’immédiateté des images en mouvement. Les arts, avec le langage qui leur est propre, d’une manière générale. Oui, la nécessité de, dire, de représenter, l’emporte sur la tentation du silence. Cela fait partie de l’rrépressible souci ontologique qui est le propre de notre espèce. Depuis l’art pariétal de nos ancêtres homo sapiens sapiens. Donc, « résister » est un maître-mot. Le préféré de Derrida. La preuve tangible du vivant, quel que soit le règne.