Bookleg : vingt ans d’une révolution poétique en poche

Photo : © maelstrÖm

En 2004, une soirée à la Maison du Livre a suffi pour faire germer une idée audacieuse : donner aux spectateurs un accès immédiat aux textes qu’ils venaient d’entendre. C’est ainsi qu’est née, début 2005 la collection Bookleg, fruit de l’imagination d’Antonio Bertoli et de David Giannoni le créateur de maelstrÖm, une maison d’édition belge au souffle résolument expérimental. Vingt ans plus tard, ces petits livrets continuent de circuler, porteurs d’une poésie vivante et accessible, défiant les logiques éditoriales classiques.

Un format libre, une diffusion alternative

Pensé dès l’origine comme l’équivalent du livret d’opéra ou de théâtre, le Bookleg s’affranchit des circuits traditionnels du livre. Son objectif ? Rendre la poésie immédiatement disponible, directement entre les mains des spectateurs, des passants, des curieux. À l’image du mouvement beatnik, la collection favorise la vente en direct : les poètes eux-mêmes distribuent leurs livrets dans la rue, dans les cafés, renouant avec une tradition orale et performative de la poésie.

Loin des grands tirages de l’édition de poche, chaque exemplaire circule grâce aux autrices et auteurs qui s’en emparent. Le prix reste volontairement modique – trois euros – pour encourager la diffusion et réconcilier les poètes avec l’acte de vendre leurs textes. Une économie de proximité, artisanale, qui s’adapte aux contraintes du temps : papier plus léger, fabrication simplifiée, tout est fait pour maintenir l’accessibilité de l’objet.

Un espace pour toutes les voix poétiques

Dès le départ, Bookleg s’est imposé comme un terrain d’expérimentation ouvert à toutes les formes poétiques. Inspirée de la célèbre Pocket Poets Series de City Lights, qui révéla Allen Ginsberg, la collection ne s’attache à aucun courant unique. Poésie narrative, conceptuelle, intimiste, déclamée ou sonore, tout y trouve sa place, à condition qu’un lien avec l’oralité soit préservé.

Le slam, longtemps réfractaire à la publication, s’est lui aussi emparé du format. Fixer l’oralité sur papier était un défi, mais les Booklegs ont ouvert la voie : aujourd’hui, les slameuses et slameurs publient de plus en plus, assumant cette double existence de leurs textes, entre écrit et performance.

Des collaborations, des éditions pirates et des figures tutélaires

Au fil des années, la collection s’est enrichie de collaborations variées, des contes urbains de Bruxelles se conte au projet DABA Maroc, célébrant les liens littéraires entre la Belgique et le Maroc. Des expérimentations éditoriales ont également vu le jour, comme les Booklegs essais ou les Booklegs entretiens, portés par Laurence Vielle.

Certains livrets, plus confidentiels, échappent même aux circuits officiels. Ce sont les Booklegs pirates, imprimés à la demande pour être offerts à un cercle restreint. Alejandro Jodorowsky, par exemple, en fit imprimer un millier pour les distribuer gratuitement lors d’un voyage au Chili.

Enfin, certains numéros marquent l’histoire de la collection par leur symbolique. Le numéro 50 rend hommage à Edgar Allan Poe, le 100 n’existe tout simplement pas, et le 150 honore la mémoire d’Antonio Bertoli à travers un texte d’Antonin Artaud. Quant au 200, il célèbre René Daumal, autre figure tutélaire de maelstrÖm.

Un modèle d’édition artisanal et collectif

Loin de l’édition de masse, Bookleg fonctionne sur un modèle hybride, où la communauté joue un rôle clé. Les ateliers d’écriture, notamment ceux de la Maison de la Poésie d’Amay, permettent à de nouvelles voix d’émerger et d’intégrer la collection. La diffusion repose sur un réseau de passeurs, comme Laurence Vielle, qui non seulement publie, mais vend et promeut activement les Booklegs dans ses ateliers.

Pour maintenir le prix bas, des choix éditoriaux s’imposent : les couvertures utilisent uniquement des images libres de droit, les auteurs sont incités à collaborer directement avec des artistes. Un esprit « Renaissance », selon maelstrÖm, où les disciplines se croisent et s’entremêlent.

Une poésie qui se partage, qui circule, qui vit

Vingt ans après son lancement, Bookleg demeure un espace de liberté, où la poésie se diffuse sans contrainte, de la scène à la rue, du papier à la voix. Plus qu’une collection, c’est un état d’esprit, un acte poétique en lui-même : écrire, dire, partager. Et faire circuler la poésie, comme un souffle, de main en main.

Les booklegs fêtent leurs 20 ans ,le 28 mars au Centre Wallonie-Bruxelles
127-129 Rue Saint-Martin,
75004 Paris

maelstrÖm reEvolution : un tourbillon poétique en perpétuel mouvement

Fondé sur l’idée d’un tourbillon créatif, maelstrÖm reEvolution n’est pas une simple maison d’édition. C’est un véritable écosystème où se croisent l’écriture, l’oralité et l’action artistique. À la fois maison d’édition, librairie, espace de rencontres et festival international, ce projet singulier, né d’une dynamique collective, bouscule les codes et fait vibrer la poésie sous toutes ses formes.

Inspiré par la nouvelle Une Descente dans le Maelström d’Edgar Allan Poe, son nom évoque à la fois un gouffre abyssal et un mouvement perpétuel, un lieu de transformation où les mots deviennent des actes, et où la poésie s’affirme comme une force de révolution et d’évolution.

Une maison d’édition hors normes

L’histoire de maelstrÖm reEvolution s’écrit par étapes. Initié en 1990 comme projet collectif entre artistes italiens, belges et français, il devient successivement une revue, puis une collection de livres éditée par plusieurs maisons avant de s’autonomiser en 2003. Depuis, il s’est imposé comme un acteur incontournable de la poésie contemporaine, publiant une dizaine de livres et jusqu’à 15 booklegs par an.

Les booklegs, ces « livrets de l’instant », sont au cœur de son identité. Conçus pour fixer la trace d’une performance ou d’une parole poétique, ils circulent comme des objets éphémères mais essentiels, proches du livret de théâtre ou du recueil de slam.

Mais maelstrÖm reEvolution ne se limite pas à la poésie. Il explore également le roman, la nouvelle, l’essai, dans un esprit toujours expérimental et avant-gardiste. Chaque publication est une invitation à réinventer la lecture, à brouiller les frontières entre les genres et les disciplines.

Une librairie vivante et un carrefour des arts

Depuis 2010, maelstrÖm 4 1 4, sa boutique-librairie située à Bruxelles, est bien plus qu’un simple point de vente. C’est un lieu hybride, une « chaloupe de la poésie », où l’on trouve non seulement toutes les publications de la maison, mais aussi une sélection précieuse d’ouvrages d’éditeurs amis, venus de Belgique, de France, du Québec et d’ailleurs (L’Arbre à paroles, Ypsilon, Verdier, Mémoires d’encrier…).

Ce refuge de la création accueille également des événements réguliers : lectures, rencontres d’auteurs, soirées contes, projections, débats… Tout y est conçu pour faire vivre la parole poétique dans un échange permanent avec le public.

Loin de se limiter aux seuls passionnés de littérature, la librairie s’ouvre à d’autres horizons : sciences humaines, psychologie, thérapie, développement personnel, avec des ouvrages en plusieurs langues (français, anglais, italien, espagnol, allemand, néerlandais). Une manière d’enrichir le dialogue entre les disciplines et d’inviter à une exploration plus large du monde et de soi.

Le fiEstival : la poésie en fête

En 2007, maelstrÖm reEvolution donne naissance au fiEstival, un festival international de poésie et de performance, unique en son genre à Bruxelles. Véritable célébration de la parole vivante, cet événement annuel investit plusieurs lieux emblématiques de la capitale, de la Librairie maelstrÖm aux rues piétonnes de la Chaussée de Wavre et de la Place Jourdan, en passant par le théâtre Le Rideau à Ixelles.

Le fiEstival, c’est une explosion artistique, où la poésie dialogue avec la musique, la danse, la performance et d’autres disciplines. Des poètes du monde entier y croisent des artistes de tous horizons, créant un foisonnement d’expériences et de rencontres inattendues.

Mais au-delà des festivités, cet événement incarne une philosophie : celle d’une poésie en mouvement, accessible, décloisonnée, qui sort des livres pour se frotter à la rue, à la scène, au monde. Une poésie qui n’est pas seulement un art, mais un acte de réévolution.

Une invitation au vertige poétique

maelstrÖm reEvolution n’est pas qu’un projet éditorial, c’est une expérience totale, une plongée dans un univers où la poésie se vit, se partage, se réinvente sans cesse. Librairie, maison d’édition, espace de création et festival, il brouille les frontières entre les genres, les langues et les disciplines pour faire de la poésie un tourbillon dans lequel chacun est invité à se laisser emporter.

Un gouffre d’idées, un carrefour d’énergies, un lieu où les mots ont le pouvoir de transformer le monde.

Le clin d'oeil de David Giannoni

Rencontre avec David Giannoni, responsable des éditions maelstrÖm reEvolution et de l’Arbre à paroles, directeur de la Maison de la poésie d’Amay et cheville ouvrière de nombreuses manifestations culturelles dont le fiEstival.

« Tout a commencé en 2004 », raconte David Giannoni. « Nous voulions explorer un format hybride entre la revue et l’événement scénique, une manière de donner une autre dimension à la littérature. » C’est ainsi qu’est né le premier Bookleg, une collection qui, aujourd’hui, compte plus de 300 titres. La collection principale avoisine les 202 numéros, tandis qu’une seconde, dédiée à Bruxelles, atteint le chiffre de 128 publications.

« Nous avons été inspirés par de grandes figures comme Edgar Allan Poe, Antonin Artaud », confie David Giannoni. « Ces influences nous ont guidés pour façonner notre approche éditoriale et donner naissance aux Booklegs. » Dès le premier éxemplaire, l’objectif était de créer des publications accessibles, rappelant les livrets d’opéra ou de théâtre, permettant ainsi aux spectateurs de repartir avec un fragment de l’expérience littéraire. L’idée fondatrice est restée la même : offrir un support tangible et abordable aux spectateurs d’événements littéraires performatifs.

Les publications maelstrÖm reEvolution sont disponibles en ligne, mais aussi via la librairie Wallonie-Bruxelles à Paris,  qui distribue plusieurs éditeurs belges. Parmi les titres phares, on retrouve notamment « 56 Descentes dans le maelstrÖm », une anthologie rassemblant des auteurs emblématiques du festival, ainsi que « Poésie Nomade», une série explorant les voix contemporaines de la poésie expérimentale. En parallèle, la maison de la poésie d’Amay, dirigée par l’un des co-fondateurs, constitue un autre pôle essentiel de ce projet littéraire ambitieux.

Photo : © Frédéric Vignale

David Giannoni Né à Nice le 5 août 1968, à 4h30 du matin. C’était un lundi. Autant dire qu’il fallait de suite se mettre au boulot… Convaincu d’être français jusqu’à ses 15 ans, il se découvre italien le jour où il déménage à Rome avec sa famille. C’est là qu’il découvre la littérature, l’art, la poésie. Il s’installe à Bruxelles en 1987 et fonde en 1989 le projet « maelstrÖm », un projet multi-artistique et multimédia. Directeur de la revue et de la collection maelstrÖm avant qu’elles ne se transforment en maison d’édition, scénariste (« Polders » réal. Claudio Serughetti – Arte/Rtbf), cofondateur du réseau réévolution poétique avec Lawrence Ferlinghetti, Alejandro Jodorowsky et Antonio Bertoli, il a longtemps travaillé dans le secteur « sans-abri » à Bruxelles, comme éducateur de nuit et comme responsable du projet « Espaces de parole pour sans-abri ». En 2007 il crée le fiEstival, festival international de poésie à Bruxelles avec Antonio Bertoli et Marco Giannoni, fiEstival qu'il codirige aujourd'hui avec Nadejda Peretti, et devient directeur de la Maison de la Poésie d’Amay (Belgique) et des éditions L’Arbre à paroles. En décembre 2010 il ouvre à Bruxelles la Librairie maelstrÖm 4 1 4. Il est également poète, peintre, performer et thérapeute. Il a publié des scénarios de BD (« La Face cachée de la ville », 3 vol.), de la poésie (« Œil ouvert œil fermé », « La foi, la connaissance et le souvenir », « L’indien de Breizh »), un livre de contes (« Contes de Nod »), ainsi que « Il faut savoir choisir son chant – 108 poécontes » sorti en 2022, tous publiés chez maelstrÖm reEvolution. Comme traducteur il a principalement traduit de l’espagnol « De ce dont on ne peut parler », le premier recueil de poésie de Alejandro Jodorowsky (2002) et de l’italien « Territoires du Cœur » (2007) et « Astres et désastres » (2018) de Antonio Bertoli, ainsi que son propre livre « La foi, la connaissance et le souvenir » (2016), tous publiés par maelstrÖm reEvolution

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