
27 Fév Linda Maria Baros : au-dessus du volcan
Cette référence détournée au roman de Malcolm Lowry, Au-dessous du volcan, ne pouvait pas mieux se prêter à cette rencontre. Expansive et vibrante, la poésie ne cesse d’investir de nouveaux territoires, portée par une énergie créatrice foisonnante. C’est cette force vive que célèbre et souhaite diffuser Linda Maria Baros, la nouvelle directrice du Printemps des Poètes. Son ambition ? Exposer une poésie contemporaine bouillonnante d’imaginaire.
Rencontre avec la nouvelle figure de proue de ce commando poétique bien décidée à se lancer à l’assaut de l’espace public pour y semer une poésie brûlante de modernité et résolument incarnée.
Tandis que je suis Linda Maria Baros à travers les couloirs dédaléens de la Bibliothèque de l’Arsenal – ancienne demeure des grands maîtres de l’artillerie devenue bastion du savoir au XVIIIe siècle –, une pensée me traverse : la poésie se mérite.
Nous traversons quelques salons feutrés pour finalement atteindre le quartier général du Printemps des Poètes. C’est ici, au cœur de cette ruche poétique, que nous nous posons avec Linda Maria Baros pour un échange autour de son engagement et sa définition d’une poésie volcanique.
Linda Maria Baros est une poétesse, docteur en littérature comparée et traductrice franco-roumaine dont l’œuvre s’est imposée par son audace et sa puissance évocatrice. Lauréate du prix Apollinaire 2007 dont elle est aujourd’hui secrétaire générale, elle joue un rôle central dans le paysage poétique contemporain. En prenant la direction du Printemps des Poètes, elle en ouvre un nouveau chapitre avec la volonté de fédérer et poursuivre l’engagement de cette institution : faire rayonner la poésie d’expression française sous toutes ses formes.
S’habiller de la lettre A
Flashback : 1987 – Bucarest – Roumanie
Le « Génie des Carpates », le « Conducator » Nicolae Ceausescu impose depuis une quarantaine d’années la plus sombre des terreurs à son peuple par un régime communiste dictatorial et répressif.
Linda Maria Baros a 6 ans et va à la maternelle comme tous les enfants de son âge.
« Tu seras une très mauvaise citoyenne de notre belle patrie socialiste. »
Une phrase assassine que lui assène un jour son enseignant pour un crime de lèse-majesté : celui de ne pas avoir appris par cœur un poème « glucidique » vantant les mérites du despote et ne pas avoir fait un collage par manque de ciseaux.
C’est sans doute de ce jour que la poétesse gardera une écriture tranchante et tout sauf édulcorée.
Dans tous les cas, le lendemain matin elle annonce à son père qu’elle préfèrerait « s’habiller de la lettre A » plutôt que de retourner à la maternelle.
Se revêtir d’une lettre comme d’une cape d’Aventurière poétique et partir à la conquête de nouveaux territoires où l’expression et l’imaginaire sont libres.
« Faire corps avec la lettre A, c’était faire corps avec l’imaginaire. »
Dans ce jeune esprit plein de fougue et d’audace bouillonne déjà une créativité effervescente.
Cette lettre se transforme rapidement en un vers puis en en un poème qui sera publié dans une grande revue littéraire bucarestoise. Le talent n’est pas comme le bon vin.
Une révélation pour elle et une ouverture de perspectives qui lui ouvre les portes d’un monde où « l’imaginaire presque tangible permet de plonger dans la poésie ».
21 décembre 1989 : Linda Maria Baros assiste en direct, depuis le cinquième étage d’un immeuble donnant sur l’actuelle Place de la Révolution, à la chute d’un régime, aux violences assassines et autres exactions commises envers le peuple : « je pense que ces scènes sont une prise de conscience très importante de ce qui était en train de se passer, d’une vérité absolument dissimulée, de la violence qui se cachait derrière tous les mensonges qui déferlaient constamment sur la population. »
Ce jour marque aussi le point de départ d’un devoir de mémoire à assumer et à transmettre et que l’on peut retrouver dans son œuvre (notamment dans son recueil La nageuse désossée. Légendes métropolitaines. Publié chez Le Castor Astral).
L’arrivée en France
« J’ai toujours voulu étudier à la Sorbonne. »
Linda Maria Baros arrive en France en l’an 2000, animée par son amour de la langue française et un objectif : étudier à la Sorbonne la littérature française et comparée ainsi que la mythologie.
Elle consacre sa thèse à la mythocritique et interroge « Le mythe de la métamorphose érotique ».
Pourquoi un tel sujet ?
Linda Maria Baros considère la métamorphose comme un « noyau dur de l’existence », une dynamique essentielle à la vie.
C’est dans ce cadre qu’elle s’est proposée d’interroger le concept de métamorphose en amour (entendez aussi pulsion de vie). Contrairement à l’idée répandue d’un changement radical, la doctorante la perçoit comme un moyen de s’inscrire dans l’ordre des choses que l’on choisit. Une sorte d’autoportrait rêvé en somme, une tension permanente qui nous pousse au changement et qui reflète nos aspirations profondes
Le « Goncourt » de la poésie : une aventure vertigineuse
« Le prix Apollinaire a été une aventure extraordinaire, vertigineuse. »
En 2007, Linda Maria Baros reçoit cette distinction pour son recueil La Maison en lames de rasoir paru chez Cheyne.
Cette récompense est pour elle un véritable accélérateur de particules poétiques puisqu’ il appelle de nombreuses invitations aussi bien en France qu’à l’étranger, ainsi que de multiples publications.
En intégrant ensuite son jury, une véritable passion pour les prix littéraires, leur fonction de passeur poétique et d’amplificateur médiatique, se déclenche en elle.
« Je trouve primordial de pouvoir valoriser, à travers des prix, la création contemporaine. Pouvoir la porter d’un point de vue médiatique et la réintroduire constamment dans le quotidien. Avec énergie. »
Linda Maria Baros en est désormais la secrétaire générale depuis 2014.
Une nouvelle mythologie
La perception que nous avons du monde, son origine, son fonctionnement, l’intrication de ses différentes facettes est conditionnée depuis toujours par des mythes fondateurs dont nous n’avons souvent pas conscience. Un inconscient collectif qui cisèle le prisme par lequel nous appréhendons notre réalité.
Linda Maria Baros se propose, à travers le corpus de ses recueils, de configurer une nouvelle mythologie du monde contemporain, poétique et méta poétique. Un processus de réécriture qu’elle inscrit dans une volonté de donner à voir la réalité dans son acception première du mythe.
Ainsi dans Le Livre de signes et d’ombres (Ed. Cheyne, Prix de la vocation 2004) elle aborde le big bang poétique ; avant de passer dans La Maison en lames de rasoir à une exploration microcosmique de l’intime, de la création : « la maison est le mot, le poème qui se construit à mesure qu’on avance ».
Ensuite avec L’Autoroute A4 et autres poèmes (Ed. Cheyne, 2009), le poète devient un motard qui sillonne la feuille de papier A4 pour fendre l’horizon en deux. Un nexus qui relie la sphère intime de la maison au macrocosme qui est le nôtre aujourd’hui.
Et comme nous vivons essentiellement dans de grandes métropoles aujourd’hui, La nageuse désossée. Légendes métropolitaines (Le Castor Astral, 2020) est un recueil consacré à l’espace urbain, la cruauté de notre époque et à tous les mythes, archaïques ou contemporains, qui façonnent et symbolisent l’avenir des villes.
Avec un imaginaire à la fois cruel et onirique, cette poétesse esquisse une cosmogonie poétique, brûlante de vitalité et éminemment moderne.
De l’urgence de remettre la poésie au cœur de la cité
Pour Linda Maria Baros qui considère la poésie comme « une machine à hacher par-dedans les labyrinthes et les distances », le meilleur des poèmes est
« Le poème qui trépane, brise les sutures en surjet
et laisse ses artères, comme des tuyaux
sous pression, se débattre, libres, autour du cou.
Qui taillade les poignets de l’air
et en libère les dieux, les pierres. »
Extrait du poème Le pistolet d’insémination (La nageuse désossée. Légendes métropolitaines.)
Linda Maria Baros estime que la poésie nous permet de ne pas vivre « les oreilles bouchées, les lèvres cousues et les paupières soudées ».
En brisant les silences, les non-dits et en portant un autre regard sur le monde, à travers des images qui nous détachent de la réalité, la poésie nous permet paradoxalement d’avoir une vision plus juste de celle-ci.
« La poésie nous permet de voir le monde autrement et en même temps tel qu’il est vraiment ».
C’est dans ce sens qu’il est selon elle urgent d’octroyer à la poésie une place prépondérante dans notre société, pour donner à voir toutes les approches possibles, comme autant de formules poétiques et ainsi offrir un regard englobant sur ce qui fonde notre être culturel.
La candidature
Avec le Printemps des Poètes, c’est une histoire d’amour qui naît en 2004, lorsque la poétesse reçoit le Prix de la Vocation (remis annuellement par la fondation Marcel Bleustein-Blanchet), et qui n’a jamais perdu de sa vigueur. Le festival lui offre alors une tribune et l’accompagne dans son éclosion en tant que poétesse émergente.
Au fil des années, elle tisse des liens humains précieux et, forte de son rayonnement international, initie en 2005 un Printemps des Poètes en Roumanie.
Cette déclinaison s’est étendue à plus de 60 villes, s’imposant comme un rendez-vous incontournable.
Elle collabore aussi avec le festival dans le cadre de Versopolis, un programme européen de promotion de la jeune poésie, mêlant rencontres et de traductions de publications : « une autre aventure extraordinaire jusqu’en 2019 ».
Elle me confie avoir candidaté avec la volonté de réaffirmer « la force de la poésie volcanique qui s’écrit aujourd’hui » et l’envie profonde de fédérer et de repousser les frontières de sa diffusion, aussi bien spatiales que temporelles :
« La poésie annule les distances ».
Elle souhaite tisser un vaste réseau, à l’image d’un système sanguin irriguant tout le pays, mêlant grandes métropoles comme Paris ou Marseille et territoires à désenclaver, y compris en outre-mer.
À l’image de l’affiche de l’édition 2025 du Printemps des Poètes qui présente une œuvre emblématique de l’artiste japonaise Chiharu Shiota intitulée « Uncertain Journey », elle conçoit un Printemps des Poètes traversé par une énergie sanguine et indomptable.
La poésie volcanique
Le volcan, thème fédérateur de cette édition, se veut une métaphore de cette vitalité : une poésie en ébullition, prête à embraser les imaginaires et éveiller les désirs de poésie.
« La poésie volcanique dit avant toute chose l’éruption de l’imaginaire ».
Effervescence, ébullition, force créatrice et puissance du vivant : autant d’images que souhaite véhiculer et incarner ce festival aux tonalités magmatiques dont l’ambition est aussi de créer un désir de poésie.
Et pour y parvenir, repousser les frontières et désenclaver l’accès à la lecture là où il demeure limité. Car, selon la Linda Maria Baros, l’imaginaire est inhérent à l’être humain, il suffit de le raviver.
« Tout ce que nous lisons se dépose en nous, la poésie est volcanique de ce point de vue. À un moment donné ces images rejaillissent. »
La directrice du festival prône une poésie actualisée, incarnée, dans toute sa richesse et sa diversité. Et qui sort des sentiers battus.
Elle appelle à former de véritables commandos poétiques, prêts à prendre d’assaut les mots, secouer les lieux communs, renouveler la langue sans renier la tradition pour bâtir une poésie contemporaine, audacieuse et transdisciplinaire.
Pour que celle-ci demeure toujours en fusion et marque le monde de nouveaux reliefs
Lire…

Le Livre de signes et d’ombres
Cheyne Editions

La nageuse désossée
Le Castor Astral
Une trajectoire unique
Poétesse, traductrice et figure incontournable du paysage poétique contemporain, Linda Maria Baros est née en 1981 à Bucarest et vit à Paris depuis plus de vingt ans. Elle est également docteur en littérature comparée à la Sorbonne.
Son œuvre, ciselée et percutante, traverse les frontières : 7 recueils de poèmes, traduits dans 44 pays, des textes qui électrisent la langue et bousculent les codes. Parmi eux, La Maison en lames de rasoir (Cheyne, Prix Apollinaire 2007) et La nageuse désossée. Légendes métropolitaines (Le Castor Astral), qui remporte en 2021 le Grand Prix de Poésie de la Société des Gens De Lettres, le Prix international francophone du Festival de Montréal et le Prix Rimbaud de la Maison de Poésie de Paris/ Fondation Émile Blémont.
Sur tous les fronts poétiques, elle est secrétaire générale du Prix Apollinaire, rapporteur général de l’Académie Mallarmé, vice-présidente du PEN Club français, l’un des centres du PEN International, fédération mondiale d’écrivains qui défend la liberté d’expression et depuis septembre 2024, directrice générale du Printemps des Poètes.
Pas de commentaire