
18 Mar Poésie commune : une nouvelle collection dans l’espace poétique
Née d’une conversation autour d’un thé brûlant dans un restaurant de la rue de Lancry à Paris, la collection « Poésie commune » incarne un virage dans l’édition poétique contemporaine. Fondée par Laure Gauthier et Bastien Gallet, cette collection, pensée comme un espace collectif, donne voix à une poésie engagée, ancrée dans le commun et portée par une dynamique de groupe. Avec quatre ouvrages inauguraux publiés au printemps 2025, ce projet éditorial entend renouveler la place de la poésie contemporaine en l’inscrivant dans un dialogue vivant et accessible.
Une collection née d’un constat
L’idée germe en décembre 2023, lorsque Laure Gauthier et Bastien Gallet échangent sur les manuscrits poétiques reçus chez MF. Un détail attire leur attention : les textes les plus marquants sont écrits par des femmes. Une tendance qui semble révéler un basculement discret mais profond du paysage poétique.
Loin d’être une simple intuition, cette transformation touche à une question essentielle : celle du commun en poésie. Comment la langue, ses accents, ses expressions oubliées, ses idiomes minorés, peuvent-ils être ressourcés et réinventés ? Comment la poésie peut-elle rendre visibles des problématiques collectives et les porter avec une force incandescente ?
C’est ainsi que naît Poésie commune, un projet éditorial qui refuse l’individualisme tout en préservant la singularité des voix. Une collection qui, selon ses initiateurs, « fait groupe, essaim, nuée, ni rivale ni exclusive ».
Une première salve de publications
La collection est pensée comme un rythme annuel, avec quatre livres publiés chaque printemps. L’édition 2025 inaugure cette dynamique avec quatre ouvrages :
- Xixi de Florence Jou
- Les branches des autres de Camille Sova
- Veules-les-Roses de Gabrielle Schaff
- Poudreuse de Séverine Daucourt
Chacun de ces ouvrages est accompagné d’un double commentaire critique, rédigé par les membres du collectif fondateur de la collection : Patrice Blouin, Lénaïg Cariou, Frédérique Cosnier, Elsa Boyer, Séverine Daucourt, Elke de Rijcke, Bastien Gallet et Laure Gauthier.
À cela s’ajoute un avant-goût des publications de 2026, avec un extrait de Paradisiaca. Un Lac-Opéra d’Elke de Rijcke.
Un projet éditorial qui dépasse le livre
Poésie commune ne se limite pas à la publication de recueils. La collection s’accompagne d’une chronique mensuelle publiée dans la revue en ligne « Les Temps qui restent », où sont diffusés des textes inédits, disponibles en lecture et en écoute. Cette démarche prolonge l’engagement de la collection : faire exister la poésie au-delà des cercles restreints, lui offrir une visibilité nouvelle et un ancrage fort dans l’ère numérique.
Un horizon ouvert
Avec Poésie commune, Laure Gauthier, Bastien Gallet et leur collectif tracent une voie inédite dans le champ poétique contemporain. En s’appuyant sur une logique de publication collective et de diffusion élargie, ils donnent à la poésie un nouvel espace d’expression, à la fois exigeant et accessible.
L’édition 2025 marque le début d’une aventure où la poésie, loin de se replier, s’ouvre à de nouvelles résonances et s’impose comme un lieu de partage et de réflexion sur le monde.
La collection “Poésie comune” 2025

Xixi
Florence Jou
Dans son texte, Florence Jou met en scène une jeune héroïne, mi-Bruce Lee, mi-Greta Thunberg, qui lutte contre un État corrompu et des industries polluantes. Son combat, à la croisée de l’activisme et de la quête initiatique, la conduit à une prise de conscience finale : « nous sommes les enfants de l’atmosphère », et perdre le ciel en nous, c’est aussi perdre la terre.
Loin d’un simple récit à message, l’écriture hybride de Florence Jou transforme cette révélation en une expérience sensible, où se mêlent enchantement littéraire, parodie numérique et anthropologie pragmatique. Son texte illustre comment, pour des lecteurs occidentaux modernes, une vérité écologique pourtant élémentaire ne devient perceptible qu’à travers un mélange d’influences multiples et d’un jeu poétique à plusieurs niveaux.
Autrice et performeuse, Florence Jou explore l’hybridation des médiums et la plasticité de l’écriture. Ses œuvres, publiées chez Publie.net, LansKine et L’Attente, s’inscrivent dans une démarche expérimentale et dialoguent avec le monde de l’art et de la performance.

Veules-les-Roses
Gabrielle Schaff
Dans Veules-les-Roses, Gabrielle Schaff raconte l’histoire de personnages qui projettent leur voyage sans jamais le réaliser. Coincés dans un monde de papier ou d’écrans, ils explorent la ville normande à travers cartes, encyclopédies et images, sans jamais fouler son sol. Mais au fil de leurs rêveries, le paysage se délite, s’érode, disparaît, à l’image des êtres qui l’ont habité.
Le texte joue sur une tension entre représentation et réalité, où les traces du passé ressurgissent sous forme de vestiges, d’histoires fragmentées et de sépultures anonymes. Veules-les-Roses devient alors un espace spectral, marqué par la mort des grands hommes comme des anonymes, par l’érosion naturelle et l’empreinte humaine. Pourtant, dans cette disparition progressive, une issue subsiste : celle du langage, qui permet d’inventer un nouveau paysage littéraire.
Gabrielle Schaff, autrice et réalisatrice, conjugue son travail d’écriture avec le documentaire de création. Diplômée de la Sorbonne, de la Fémis et du Master de création littéraire du Havre, elle a publié en 2018 Passé inaperçu (Seuil, Fiction & Cie).

Poudreuse
Séverine Daucourt
Dans Poudreuse, Séverine Daucourt explore les mécanismes du libéralisme et leurs effets insidieux sur les individus et la société. À travers une écriture poétique incisive, elle dissèque les tactiques et manies des “solistes” du système, ces figures du capitalisme qui avancent en solitaire, et met en lumière les illusions collectives qui en découlent.
La neige, omniprésente dans le texte, devient une métaphore du temps et de l’illusion : tantôt poudre blanche, évocation de la drogue et de l’injonction au bien-être, tantôt poudre aux yeux, artifice destiné à détourner le regard et à nourrir le déni. Mais sous cette couche opaque, un espoir transparaît : celui d’un collectif émergent, fragile mais possible.
À la fois critique sociale et expérience sensorielle, Poudreuse est un texte qui se dissout lentement en nous, comme un poème à laisser fondre sous la langue.
Séverine Daucourt, autrice et traductrice, publie principalement aux éditions La Lettre Volée et Lanskine. Lauréate du Prix Kowalski des lycéens pour Transparaître (2020), elle inscrit son travail aux frontières du pop, de la performance et de la poésie. Traductrice de l’islandais, elle a notamment traduit Sjón, le parolier de Björk.

les branches des autres
Camille Sova
Dans Les branches des autres, Camille Sova détourne le langage des manuels, magazines et revues de développement personnel en utilisant le cut-up, une technique de fragmentation et de recomposition textuelle. Ses poèmes, à la fois étranges et délicats, réhabilitent les états d’âme comme des composantes essentielles de l’expérience humaine, loin de toute diabolisation.
Son livre invite à une déconnexion du conformisme et à un ancrage personnel, même dans l’incertitude. Il s’oppose ainsi aux dogmes du New Age, qui glorifient un idéal de performance et de maîtrise de soi. Les branches des autres revendique au contraire le droit à la fragilité, soulignant la singularité de chacun face aux injonctions d’épanouissement absolu.
Camille Sova évolue à la croisée des arts visuels et de la littérature, mêlant poésie, collage, chanson et performance. Son travail, publié dans plusieurs revues en France, au Canada et en Suisse, s’incarne aussi dans des lectures publiques et une première exposition personnelle en 2024. Elle vit et crée aujourd’hui à Marseille.
MF : une maison d’édition au croisement de la poésie, de la musique et de la philosophie
Créée dans la continuité du travail mené par la revue Musica Falsa, la maison d’édition MF s’est imposée comme un espace d’expérimentation littéraire et intellectuelle. À la croisée des genres, elle accueille des textes où se rencontrent poésie contemporaine, fiction, philosophie et musique, toujours avec une exigence formelle et une volonté d’exploration.
Dès ses débuts, MF s’est distinguée par la publication d’ouvrages en prose expérimentale, à une époque où les grands éditeurs délaissaient ces formes audacieuses. Elle a ainsi offert une place à des auteurs et autrices dont l’écriture s’aventurait hors des sentiers battus, explorant de nouvelles structures narratives et formelles.
Au fil des années, la maison a structuré son catalogue autour de plusieurs pôles :
- Une collection consacrée à la musique, réunissant textes de compositeurs, essais sur les pratiques musicales contemporaines et écrits sur l’art sonore.
- Une ouverture vers la philosophie et la théorie, mettant en avant des formes originales d’exposition du raisonnement et des textes qui n’hésitent pas à intégrer fiction et spéculation.
- Un espace dédié à la poésie, qui s’est récemment affirmé avec la création de Poésie commune, une collection visant à capter les nouvelles voix poétiques et à donner une visibilité à des écritures en dialogue avec les enjeux contemporains, qu’ils soient écologiques, sociaux ou liés aux nouvelles formes de langage.
Chaque année, MF publie simultanément quatre ouvrages poétiques au mois de mars, un choix éditorial qui permet de mettre en perspective la diversité des écritures et d’inviter le lectorat à une lecture comparée des tendances actuelles.
À l’image de son approche expérimentale, MF continue de repousser les frontières entre les genres, affirmant son engagement en faveur d’une littérature qui interroge, cherche et se réinvente constamment.
Pas de commentaire