Ariane Ascaride : fada assumée !

Photos : © Louie Salto

Petite par la taille, immense par le talent, Ariane Ascaride est de ces enfants du sérail pour qui la scène est un territoire familier, comme une seconde peau. Sa simple présence réchauffe les cœurs, même les plus glacés.  Émouvante, drôle, courageuse et humaine, elle fait virevolter le drame et la comédie dans un tango mutin et jamais trop grave. Chaque parole, chaque geste, est chez la plus phocéenne des Parisiennes, un éclat de vie.

Rencontre en trois actes avec une très grande dame du cinéma français et la marraine du 27e Printemps des Poètes.

Il y a toujours dans une rencontre un peu de fortuit, quelques attentes, des silences qui en disent long, des mots qui touchent au-delà des apparences. Entre ce qui se raconte et ce qui se devine, ce moment fugace laisse souvent une trace, indélébile. J’ai été touchée par une fée, elle s’appelle Ariane Ascaride. Farfadet facétieux, un brin fêlée (ou fada), fille de Pasiphaé « celle qui brille pour tous » :  elle navigue entre les pépites et les bouts de charbons qui font la vie avec force et espièglerie.

Acte I : le discours qui claque comme le Mistral

Nous sommes dans l’un des salons du ministère de la Culture à l’occasion du lancement officiel de la 27e édition du Printemps des Poètes. Ariane Ascaride monte sur la scène et entame un discours qui aura l’effet sur l’auditoire d’un coup de Mistral : une claque rafraîchissante, qui remet les idées en place. Et l’église au milieu du village.

D’une incision chirurgicale, cette figure marquante du cinéma français, récompensée pour ses performances inoubliables (notamment dans des films comme Marius et Jeanette et Gloria Mundi de Robert Guédiguian, qui lui valent respectivement  le César de la meilleure actrice en 1998 et  la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine en 2019), entaille les préjugés et replace les artistes à leur juste place. Loin d’être des « saltimbanques » ils sont pour elle, « des éclaireurs dans le sens premier du terme » qui, toujours un pas en avant, éclairent avec humilité le chemin du monde. Honorée d’avoir été choisie comme marraine d’un événement qui célèbre ce qu’elle tient pour le summum de l’art littéraire, Ariane Ascaride insiste sur l’indispensable nécessité de la poésie en ces temps tourmentés.

À l’heure où « nous dansons tous sur des volcans », la thématique de cette édition est pour l’actrice d’une adéquation absolue. Contre le tumulte et les violences, elle exhorte à l’irruption d’une lave poétique qui rendra les terres plus fertiles d’une paix favorable à la cohésion des femmes et des hommes.

Et ne vous y trompez pas, « les poètes ne sont pas des êtres frêles et souffreteux. C’est l’imagerie que la vulgarité et l’ignorance veulent imposer. Les poètes sont des guerriers dont les mots sont les armes et à travers le temps ils ont toujours été les premières victimes des régimes autoritaires qui savent la force de leur pouvoir ».

La poésie est une force de résistance qui impose des brèches et qui permet, par son langage commun à la fois universel et fédérateur, une expression authentique des sentiments.  Elle berce ou elle tourmente mais jamais sa cadence ne s’arrête. Elle est, selon Ariane Ascaride, un souffle : des respirations capables de réveiller à la fois le cœur et la raison.

« L’art non engagé n’existe pas »

Lors d’un échange ultérieur, Ariane me confiera son admiration pour tous ceux qui, malgré le vacarme du monde, savent encore l’observer depuis un mirador poétique et qui portent en eux une incandescence mêlée à une certaine dose de folie (ce qui n’est pas pour lui déplaire).

« Le poète n’est pas seulement un diseur d’histoires, c’est quelqu’un qui va au front. La poésie, qui peut être celle de Victor Hugo, de Louise Michel ou encore d’Auguste Blanqui, est une arme. Ce n’est pas pour rien que dans les dictatures les premières personnes qu’on chasse sont les poètes. »

Elle évoquera alors avec gravité le terrible exemple de Victor Jara, chanteur, musicien, poète et militant politique chilien devenu l’un des emblèmes de la résistance face à la dictature de Pinochet. Ses tortionnaires lui infligèrent l’un des crimes les plus symboliques de la dictature : lui couper les mains pour faire taire sa plume et sa musique.

Le sang coule mais la parole reste, « les poètes font peur car ils ont la liberté du dire et de l’écrire. »

Ce premier acte s’achève sur un air de Léo Ferré, qu’Ariane Ascaride m’a mis dans la tête : « Poètes, vos papiers ! »

Acte II : un requiem plein de vie

Entrée de l’artiste côté jardin. Début du seul-en-scène.
Coup de théâtre : Ariane Ascaride a rendu l’âme.
Rebondissement : en fait, non.

Je continue ma rencontre à la Scala. Ariane descend sur la scène de cette salle parisienne avec des valises. A-t-elle l’idée de les faire ou de les poser ? Sans doute un peu des deux.

Silence ! L’artiste s’apprête à faire son propre éloge funèbre in antecessum, parce qu’elle n’a pas confiance en les professionnels et parce que, comme le dit Guédiguian, son mari : « c’est con les morts n’entendent pas les belles choses qu’on dit à leur sujet. »  

Elle déroule un fil rouge, qu’elle tend. Au fur et à mesure, elle y accroche ses souvenirs avec des pinces à linge. Comme des vêtements fraîchement lavés, prêts à sécher sous le soleil Estaquéen.

L’occasion de raconter sa vie, sa famille, entre aventures banales et extraordinaires. D’autres moments plus obscurs. Mais jamais de pathos. Une parole libre, lumineuse, humaine. Car si une chose transparaît chez Ariane Ascaride, c’est bien cette force singulière : lorsqu’il fait sombre dans sa vie, elle ouvre grand les volets.

C’est aussi l’occasion d’évoquer un héritage complexe, parfois enchevêtré, des ancêtres invisibles mais omniprésents, qu’il a fallu détricoter au fil du temps.

« Je suis née dans une famille qui faisait fonctionner la fiction en permanence, une famille de fous ! »

Ce qu’on retiendra sans trop en dévoiler :

Une enfance à Marseille, dans un contexte familial aussi dur que fabuleux. Un père d’origine napolitaine, coiffeur, fervent communiste, passionné d’opéra et de théâtre. Il fera monter sa fille sur les planches dès son plus jeune âge dans des pièces dont il signera la mise en scène. Une mère silencieuse. Deux grands frères.

Entre éclats de rires et anecdotes poignantes, Ariane Ascaride partage quelques tranches de vie rocambolesques, comme la demande en mariage cocasse de Robert Guédiguian, qui fera d’elle sa muse et deviendra le réalisateur de leurs succès communs.

Et puis, il y a « la bande de malfaiteurs », celle des compagnons de toujours à la vie comme au cinéma :  Georges Meylan, Jean-Pierre Darroussin. Une famille choisie, à la vie, à la mort.

Une épopée fidèle au personnage, haute en couleurs, pleine de vie, courageuse, qui ne concède aux épreuves de l’existence ni rancœur, ni lassitude. Une démonstration de résilience, ou comment faire face aux turbulences avec exubérance.

Fin de l’acte 2, s’échappent de la platine vinyle, des échos de l’Armée Rouge qui chante en chœur.

Acte III : confidences poétiques

Antichambre téléphonique.
Dialogue entre deux protagonistes

La poésie est pour Ariane Ascaride une fidèle compagne depuis l’enfance. Tantôt refuge, tantôt bouleversante ou encore vivifiante ; elle incarne tour à tour des rôles essentiels dans le grand théâtre de la vie.

« Quand on est petit, on apprend des poèmes à l’école. Et puis, il y a des choses qui restent, que vous le vouliez ou non. »

Lorsqu’elle évoque son petit-fils qui, en passant devant le cimetière du Père-Lachaise, le qualifie de « joli village », Ariane Ascaride nous rappelle l’imaginaire encore intact des enfants, là où celui des adultes s’est souvent étiolé au fil des ans. Une invitation à conserver notre âme d’enfant.

Une fable de La Fontaine, Le Chêne et le Roseau, lui revient alors en mémoire, un refuge qui lui a donné la force de continuer à grandir :

L'Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au Ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'Empire des Morts.

« J’étais toute petite, les autres, ils étaient grands, ils étaient forts. Mais dans cette fable, c’est moi qui tenais, c’est eux qui partaient » se souvient-elle.

La poésie peut aussi donner des coups, de foudre. Bertolt Brecht, poète et dramaturge allemand, l’a marquée par sa profonde bienveillance et sa volonté d’éveiller la conscience critique du spectateur (il est à l’origine du théâtre épique). Elle lui a rendu hommage dans un spectacle, « Du bonheur de donner » dans lequel elle souhaitait dévoiler, à travers une trentaine de ses poèmes, une facette méconnue de l’auteur à la réputation austère.

La poésie lui a également permis de pousser de joyeux coups de gueule. Avec son franc-parler habituel, elle me retrace l’origine de son spectacle sur Paris, ville chère à son cœur.

« J’étais très énervée pendant le Covid ». Sa colère trouve sa source dans des souvenirs teintés d’inquiétude et d’irréel. « Ma fille était enceinte, et je devais l’emmener voir son gynéco. On a traversé Paris en voiture… C’était de la science-fiction. » Elle évoque alors ce moment suspendu, où les rues désertes prenaient des airs de dystopie :« C’était Soleil Vert. » Le deuxième confinement ne fait qu’amplifier ce sentiment d’étouffement. « On ne pouvait plus jouer, on était obligés de rentrer dans nos poulaillers à 18 heures. » Mais l’envie de créer, elle, n’a jamais faibli. « Quand on est sortis de ça, comme pour se déplier, j’ai proposé à mes copines de faire un spectacle pour célébrer Paris et sa poésie. »

Les confidences filent comme les pages d’un beau roman pour finir sur la dernière des Misérables, de Victor Hugo. La générosité qui s’en dégage la remue à chaque fois. On se retrouve au Père Lachaise, pas loin de la fosse commune, face à une tombe tout juste de la taille d’un homme, celle de Jean Valjean et sur laquelle, jadis, on pouvait lire ces quatre vers :

La comédienne, pour qui la poésie est la voix de l’espèce humaine, et qui lui sert quand elle n’a plus de mots pour dire les choses, appelle de ses vœux une plus grande valorisation de l’art en général et de l’écriture en particulier.

Fin de l’acte 3, les chuchotements confidentiels s’estompent peu à peu.

Ultima verba

« Plus que jamais lisez des poèmes, plus que jamais allez au théâtre, plus que jamais allez dans les musées, ne pensez jamais que ce n’est pas pour vous, que vous êtes illégitimes pour la poésie. Jamais. Elle est à tout le monde. Et dans les temps actuels, elle est absolument indispensable. » 

Lire…

Une force et une consolation  Éditions de l’Observatoire
Bonjour Pa’  Éditions du Seuil

Marius et Jeannette… et César

Ariane Ascaride est une comédienne reconnue pour son rôle dans Marius et Jeannette, qui lui a valu un César de la meilleure actrice en 1998. Elle collabore régulièrement avec Robert Guédiguian, notamment pour La Villa (présentée à la Mostra de Venise en 2017) et Gloria Mundi, qui lui vaut la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine en 2019.

Elle s’est également illustrée au théâtre, avec des pièces jouées à guichets fermés comme L’envol des cigognes et Le dernier jour du jeûne.

 À la télévision, elle est apparue dans des séries comme Les Sauvages de Rebecca Zlotowski et Possessions de Thomas Vincent.

En 2010 Ariane Ascaride signe sa première réalisation — elle s’en était déjà approchée en co-écrivant avec Robert Guédiguian le scénario de Le voyage en Arménie pour lequel elle a obtenu le « Prix d’interprétation au Festival de Rome en 2007 – avec Ceux qui aiment la France, dans la collection, « Identités » de France 2.

En 2018, elle publie Une Force et Une Consolation aux éditions de l’Observatoire, écrit avec Véronique Olmi et en 2021 Bonjour Pa’ aux éditions du Seuil.

Touchée par les fées

Vous pouvez retrouver Ariane Ascaride sur les planches, à la Scala (Paris), jusqu’au 27 avril 2025 dans Touchée par les fées.  Un récit de ses années de luttes et de bonheurs intenses écrit par Marie Desplechin et mis en scène par Thierry Thieû Niang. Ariane Ascaride, qui incarne depuis toujours les valeurs de la féminité, la voix de la liberté et de l’émancipation des femmes au même titre que Gisèle Halimi qu’elle a incarnée dans une précédente pièce ; se raconte avec sincérité et humanité, avec courage et pudeur sans jamais se plaindre et balaie d’un grand éclat de rire les moments les plus durs de sa vie.

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