Stéphanie Vovor : irrespectueusement vôtre

Photos : © DR

Elle a le regard qui frise l’insolence et l’attitude de celles qui n’attendent l’autorisation de personne. Une moue pop et assumée, les lèvres fardées de gloss, ne manque qu’une bulle de chewing-gum prête à éclater.

Je découvre Stéphanie Vovor d’abord en image. Derrière un look Madonna première époque – solaire et vacancière – on devine tout de suite la nana capable de cramer les lieux communs pour faire place nette à une poésie sans bigoudis.

Sur scène, je la découvre énergique, micro au poing, clamant ses textes sur fond de musique électro. Du genre à faire un malaise sur scène avec une telle intensité que tout le monde croit que cela fait partie de la performance, puis à se relever comme si de rien n’était. Normal.

Ses mots sont comme elle : ils claquent. Et résonnent. Comme ceux de Virginie Despentes.

Et cette comparaison n’a rien d’anecdotique.

Stéphanie Vovor est à Virginie Despentes ce que la flamme est à la braise : la continuité d’une écriture brûlante. Rien de tiède. Tout est vif, cru, non mastiqué, nécessaire.

Quand Despentes balance en ouverture de King Kong Théorie :

« J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. Et je commence par là pour que les choses soient claires : je ne m’excuse de rien, je ne viens pas me plaindre. »

Vovor enchaîne, dans Frénésies : « c’est pour les filles dont le trait d’eye-liner est mieux tracé que l’avenir, celles qui sont déjà ratées avant d’avoir mis un pied en grande section, celles qui n’ont pas su rectifier le tir et ne prononceront jamais de grands discours lors d’une remise de diplômes comme quoi elles sont le pur produit de la méritocratie et bla-bla-bla ».

Le ton est donné. Le pacte est scellé. Je vous aurais prévenus.

Quand la fièvre monte

Stéphanie Vovor est la preuve éclatante que l’on peut écrire, être publiée et faire entendre sa voix sans être une enfant du sérail et tout en choisissant de raconter « l’ordinaire, le populaire et le vulgaire. »

Elle grandit à Reims, dans le quartier de Croix-Rouge. On pourrait dire qu’elle est une fille du bitume, née entre les barres d’immeuble en béton où, pour beaucoup, les rêves fanent avant d’avoir fleuri.

Fille d’un père professeur de philosophie et d’une mère infirmière en psychiatrie, elle découvre très tôt les vertiges de la lecture et le refuge de l’écriture comme autant de brèches ouvertes vers l’ailleurs et l’imaginaire. A cinq ans à peine, elle rédige ses premiers livres pour ses proches.

Deux ans après, la ferveur devient vocation par la découverte de l’histoire de Shéhérazade. Pour Stéphanie Vocor, c’est une révélation. Elle aussi racontera pour vivre à gorge déployée. Des mots en cascade, des textes à grandes rasades, jusqu’à plus soif.

Stéphanie Vovor écrit surtout pour parler à voix haute, trouve dans l’écriture son exutoire et finalement, sa destinée.

Avec un bac littéraire en poche elle monte sur Paris, intègre les cours Florent directement en deuxième année et mène de front des études de droits des affaires au Panthéon-Sorbonne et vingt-cinq heures de gardes d’enfant par semaine, le tout en logeant dans une chambre de six mètres carrés. Même pas peur.

Avec un projet de roman, elle intègre ensuite en 2019 le master de création littéraire à Paris 8, sous le mentorat de Vincent Message. Promotion « Fièvre », un intitulé presque trop bien trouvé pour ce collectif de talents qu’elle qualifie, non sans malice, de « turbulents ».

Stéphanie Vovor embrasse pleinement sa double culture. Elle navigue entre les rives : Claudel, Koltès, Péguy ou encore Rimbaud, qui l’a fait chavirer avec Une saison en Enfer et de l’autre côté un penchant pour la téléréalité et autres sédatifs virtuels qu’elle érige en culture à part entière et qu’elle entend bien intégrer à ses livres.

Certaines punchlines de Jessica des Marseillais (émission de téléréalité) n’auraient, selon elle, pas déparé dans un film d’Audiard.

La fièvre est montée, nourrie de la parole entravée et du sentiment d’illégitimité ; les mots ont suivi comme un remède à ses frénésies.

Frénésies et bouches trouées

« On écrit avec ses entrailles, pas avec un stylo. »

Frénésies, c’est l’histoire de Jennifer, une jeune standardiste qui se prend l’âge adulte par effraction. Un apprentissage de la vie sur le fil du rasoir. Elle a un « bullshit job » travaille en open space, adore les films d’horreur à l’esthétique « boîte de raviolis », le collagène, Candy Crush, la téléréalité et se confronte à la zone grise du consentement. Elle a la bouche trouée, les mots jaillissent, éructent parfois, désaccordés, parfois beaux, parfois laids, toujours bruts.

« Ma voix trépigne, se contorsionne, franchit gauchement la barrière des dents. Parler correct je sais pas faire. » (extrait de Bouche Trouée, Frénésies, Ed. Castor Astral 2023).

Dans ce premier recueil, Stéphanie Vovor déploie une poésie narrative viscérale et percutante. Elle y capture l’essence d’un génération en quête de sens, désillusionnée, invisibilisée, marquée par la précarité, la surcharge informationnelle et la nécessité de trouver des sédatifs pour supporter la réalité de leurs rêves avortés.

Elle écrit la poésie des endroits qui sont censés en être dépourvus. Avec une certaine appétence pour la concrétude et « l’esthétique du sale ». Ce qu’elle veut montrer, c’est la noblesse du quotidien des oubliés.

« J’aime la poésie exploratoire, vertigineuse et inattendue. »

Contre l’éventuelle image de « grosse rageuse » elle répond par le désir de toucher un public large qui pourra se reconnaître dans l’expression des frénésies qui nous traversent tous à un moment donné ou un autre. Leur donner faim de littérature et d’écriture aussi.

« Je voudrais que les poètes soient considérés comme les boulangers du coin. »

Stépahie Vovor aspire à casser le surplomb, désacraliser la figure de l’artiste, pour que d’autres – même ceux issus d’univers éloignés des lettres – puissent se dire : « moi aussi je peux écrire. »

Le nouveau monde poétique

« Un jour, le vieux monde, on twerkera sur sa tombe. »

Les jeunes poètes d’aujourd’hui n’ont pas l’apanage de la cassure des conventions. Des iconoclastes, il y en a eu de tout temps. Stéphanie Vovor est bien d’accord : « Rimbaud serait absolument contemporain et ce serait Gorge Bataille ! ».*

Stéphanie Vovor incarne une nouvelle génération de poètes qui avance en meute, qui se rassemble, avance coude à coude pour déployer la poésie massivement dans l’espace public. Loin d’éclats poétiques rebelles éparses et isolés, on sent désormais la bande organisée.

Par les réseaux sociaux, les nombreux collectifs qui se créent – Stéphanie Vovor a co-fondé le Krachoir et fait partie du collectif Les Poétesses Gang – et les performances, la nouvelle génération œuvre pour une poésie débastillée, qui sort des livres et de l’entre-soi pour s’ancrer dans la réalité. Une poésie « ni convenable, ni convenue », accessible, inclusive et libérée de carcans surannés. Une belle manière de lui redonner ses lettres de noblesse finalement…

*N’y voyez aucune coquille, Gorge Bataille est une performeuse et poétesse dont la poésie est sexuelle, manifeste, lyrique et déjantée sur le trouble identitaire et la lutte des classes.

Stéphanie… en bref 

Frénésies : une incandescence brute et sans concession

Stéphanie Vovor est une poétesse et performeuse originaire de Reims, installée à Paris. Son écriture, vive et incisive, capte les tensions d’une génération marquée par la précarité, les rêves brisés et les illusions consumées par la société du spectacle.

Avec une langue tranchante, elle fouille les marges et interroge les discours dominants qui façonnent nos existences.

Son premier recueil, Frénésies (Le Castor Astral, 2023), est un cri brut, une plongée dans le tumulte d’un monde où s’entrelacent solitude connectée, faux-semblants et fureur de vivre. 

Elle figure également dans les anthologies Ces mots traversent les frontières aux éditions du Castor Astral, janvier 2023, Ces instants de grâce pour l’éternité aux éditions du Castor Astral, janvier 2024 et Esprit de résistance, paru en janvier 2025 aux éditions Seghers.

« Soleil Essence » 
Je ne veux pas parler de dunes, de merles et de fleurs 
Je veux te dire l’essence, le goudron, la ferraille 
Sans cacher les effluves, presser mon estomac 
Les jours moroses,
sans honte, 
je veux te dire 
L’odeur de l’égarement, la sueur, le vertige 
Et tant pis si ça schlingue 
Et tant pis si ça suinte 
Au-delà de nos plaies s’animent aussi les joies féroces 
Les ébauches savoureuses, toutes nos loyautés 

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