
03 Juil Surf sentimental, soif d’idéal
En français on dit : j’ai rencontré Malo Lafleur, un poète, performeur, chanteur et surfeur qui entre le Pays basque et les toits de Paris, dit de la poésie pour relier les cœurs.
Mais puisque le futur est un poème, je dirais plutôt ceci : si le Petit Prince avait grandi, il serait bientôt trentenaire, il aurait les yeux d’un vert revolver, mais la fleur au fusil.
Il aurait troqué sa cape pour une jupe d’antan, des bijoux de grand-mère, un maillot de rugby et un béret basque vissé de travers. Il parlerait le langage des vagues – celles qui mettent du baume à l’âme – et en bon funambule poétique, il naviguerait entre ciel et mer pour nous inviter, avec tendresse, espièglerie et bonne humeur à ne jamais oublier ce qui jadis, nous tenait à cœur.
Rencontre avec un rêve d’enfant devenu grand.
Un jeune poète en Ovalie
C’est l’histoire d’un jeune garçon qui a grandi au pays de l’Ovalie – là où les terrains de rugby sont sacrés comme des sanctuaires et les longboards le moyen de transport le plus commun.
Un décor pagnolesque mais à l’Ouest, où les bérets peuvent s’envoler sur un coup de Galerne. Un pays de sport et de traditions, qu’on ne bouscule pas d’un simple revers de manche. Un pays plein d’attraits, mais dans lequel la sensibilité peut parfois être raillée.
Le jeune Malo rêve alors de devenir fort fort comme une femme (ou un lion) et d’avoir une moustache à la Magnum. Enfant hyperactif, il trouve dans le sport un défouloir pour le plus grand bonheur de ses parents. Il apprend à s’ancrer dans la mêlée, à prendre la vague et développe l’art de la chute et du rebond. Mais il y a quelque chose dans cet être singulier qui ne prend pas totalement le pli, sauf, peut-être, en poésie…
« Malo, au tableau ! »
Il est l’heure de la récitation poétique en classe de CE2.
Malo se lève, se fraie un chemin entre les pupitres et les cartables en embuscade et s’installe devant son auditoire comme un acteur qui serait monté sur scène bien avant les trois coups, c’est-à-dire un peu trop tôt.
Les bras esquissent quelques gestes bravaches, les yeux plongent dans des profondeurs exagérées. Entre quelques gesticulations cabotines, Malo se cherche une pose, s’accorde une pause (il observe celle qui fait battre son cœur au premier rang) puis enfin, se jette à l’eau.
Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin
De venir dans ma chambre un peu chaque matin
Je l’attendais ainsi qu’un rayon qu’on espère…
(Extrait du poème Elle avait pris ce pli, de Victor Hugo).
Trou noir. Le reste, il ne s’en souvient plus. Hormis les images qui sont apparues dans son esprit, vivaces et prégnantes. Hormis les frissons qui ont hérissé le poil. Hormis le silence. Celui, rare, qui suit l’émotion pure.
La classe est figée. Pas un bruit. Personne n’applaudit. Un instant, il croit s’être trompé. Et pourtant non : il vient d’offrir, sans le savoir, un moment suspendu.
Et cette sensation, cette vibration, flotte encore : celle d’avoir touché — tous ensemble, sans se le dire — à quelque chose de fragile et de précieux. À une poésie qui ne prévient pas, mais qui laisse une trace, indélébile.
« C’est la seule chose qui me faisait vibrer à l’école. »
La poésie s’est immiscée dans la vie de Malo à la dérobée. Puis elle a infusé pour ne plus jamais le quitter.
Il commence à écrire sur les bancs du lycée mais s’engage, au début, dans une carrière somme toute bien tracée. D’abord manager dans une célèbre entreprise d’accessoires sportifs, il ajuste peu à peu la trajectoire pour se rapprocher de la créativité et devient concepteur rédacteur dans une agence publicitaire. Sur le papier, c’est « le job normal de ses rêves ».
« Sauf qu’à un moment on se retrouve dans une situation qu’on ne comprend pas et dans une vie qui n’est pas celle dont on avait rêvé. »
Boutures : naissance d’une poésie tournée vers le soleil
Boutures, c’est un seul-en-scène poétique, mais à plusieurs. C’est l’histoire d’un jeune trentenaire qui traverse une sorte de gueule de bois onirique. Alors, plutôt que de sombrer ou capituler, le protagoniste entrouvre l’espace de ses rêves ensommeillés. Et tend la main au public pour l’y convier. L’idée ? remonter le fil du rêve originel, l’immaculé, celui qui faisait vibrer à l’époque des dents de lait.
Alors nous embarquons tous dans un objet scénique non identifié pour mener avec lui un parcours initiatique tantôt drôle, tantôt touchant, toujours positif et incontestablement lumineux.
Et Malo Fleury se fait Lafleur. De celles qui germent dans les terres labourées de doutes et fausses certitudes mais qui, in fine, parviennent à percer pour s’épanouir droit vers le Soleil – fières comme des paons, mais pas comme Artaban. Des fleurs qui sèment alors au vent des graines de joie, de profonds sentiments et de fantasque légèreté comme un remède pour un monde qui semble avoir oublié.
« J’aime bien l’idée que le seul moyen d’avoir accès à ma poésie est de venir me voir sur scène. »
Malo nous confie avoir encore du mal à figer ses textes sur le papier (même si c’est un projet en cours). Et puis, il y a dans la poésie vivante cette espèce de vibration énergétique qui, lorsque la magie opère, devient une grande vague d’émotions à surfer, comme un rouleau « propulseur » qui nous emmène vers les cieux étoilés.
« Depuis que je fais de la poésie, je ne rencontre que des gens extraordinaires. »
Le nouveau monde poétique
Malo croit beaucoup à l’effet salvateur du spectacle vivant et en particulier de la poésie. Un moment suspendu pendant lequel ce timide dans la vraie vie, fait (presque à poil) le grand saut : « c’est comme sauter d’une falaise, si on le fait à moitié on fait un plat. »
Et je peux vous confirmer qu’il n’y va pas à moitié.
Le poète surfeur estime aujourd’hui être « le résultat cohérent d’inspirations différentes » : il s’habille comme ça lui chante et lui plaît – souvent en Technicolor et parfois comme un souvenir d’enfance oublié dans une armoire séculaire -, il ne rêve plus de moustache à la Magnum, est plutôt devenu un homme comme « la femme qu’il rêvait d’être », autrement dit un être dont la bravoure « lionesque » ose la tendresse.
Son admiration pour les femmes qui l’entourent est sans faille :
« Elles parlaient beaucoup moins que les hommes, faisaient moins de bruit, mais chaque action et chaque parole étaient décisives. J’aime leur coquetterie, j’admire leur capacité à être sensibles et bienveillantes. » Sa grand-mère lui offre d’ailleurs ce qu’il considère être la plus belle définition de l’amour, celui qui se choisit, qui ne tarit pas avec les aléas de la vie et pour lequel on se bat et on construit.
Être soi sans détour. Revendiquer ce qui devrait être caché. Ne plus souffrir du sentiment d’extravagance que les autres peuvent renvoyer. Un pari qui semble aujourd’hui gagné.
Malo Lafleur trace un sillon singulier dans une génération où la poésie est souvent revendicative. Lui ne se veut ni littéraire, ni militant. Il préfère se définir comme un hyperactif fréquemment traversé par des fulgurances de poésie. Sa mission ? que celle-ci devienne accessible, vivante et connectée au « cerveau du ventre », celui qui ressent avant de réfléchir.
À travers ses textes et ses performances, il ne cherche pas à apporter des réponses mais à éveiller la curiosité de l’autre, à ouvrir l’espace du cœur. « Si en sortant de mon spectacle, on s’aime un peu plus, c’est gagné. » Admiratif de ses pairs qu’il compare à des rock stars, il rêve d’une poésie qui circule, qui touche et qui rassemble.
Si vous me demandiez de résumer Malo Lafleur, je vous inviterais à imaginer un jeune surfeur à Biarritz mais qui, parfois, s’élève aussi sur les toits de Paris, de visualiser Point Break, mais réalisé par Wes Anderson, avec tout ce qu’il a de drôlerie, de charme avec son soupçon de kitsch chic. Un peu comme si la sagesse d’un philosophe poétique s’était incarnée dans un sexy et espiègle Bodhi. Et enfin je vous encouragerais à écouter attentivement ses paraboles poétiques, elles nous apprennent à oublier ce qu’on croit savoir pour mieux écouter ce qu’on a toujours su – Malo est de ceux dont les antennes sensibles captent le monde et ses fréquences invisibles.
Enfin, je vous enverrais une jolie carte postale. On y verrait Malo et Amante Amato, son acolyte musical, allongés sur le sable. Ils feraient les sirènes sur la plage en rêvant de feux de mer, de coquillages et crustacés. Et sembleraient fredonner le souvenir doux-amer de leurs amours passées.
Malo… en bref
Une poésie qui touche, et qui respire comme l’océan
Malo Lafleur est un jeune poète performeur et artiste de la scène contemporaine, originaire du Sud-Ouest de la France. Il grandit entre rugby, océan et écriture, avant de se faire remarquer pour ses performances singulières, où se mêlent poésie, humour et sensibilité. Naviguant aujourd’hui entre Paris et Biarritz, il développe un univers à part — ni académique, ni revendicatif, mais sentimental, solaire et profondément vivant, invitant les spectateurs à entrer et à flâner dans ses paysages intérieurs.
Accompagné de son acolyte musical Amante Amaro, il multiplie les apparitions sur scène — festivals, cabarets poétiques, scènes ouvertes — et s’impose peu à peu comme une voix montante de la nouvelle génération de poètes performeurs. Se définissant lui-même comme « le résultat cohérent d’inspirations différentes », il aime brouiller les frontières entre slam, théâtre et chanson, avec une volonté constante : rendre la poésie accessible, viscérale, joyeusement dédramatisée. Une poésie qui touche, qui fait rire, et qui reconnecte à soi — et aux autres.
En 2023, il crée Boutures, un seul-en-scène poétique et participatif, qu’il jouera à partir de septembre un mercredi sur deux au Théâtre de la Boussole à Paris.
Pas de commentaire