
24 Mar L’ombre poétique des archives de JFK
Le 23 janvier 2025, Donald Trump a signé un décret ordonnant la déclassification intégrale des archives liées aux assassinats de John F. Kennedy, Robert F. Kennedy et Martin Luther King Jr. Cette décision a conduit, le 18 mars, à la publication de plus de 80 000 documents par les Archives nationales américaines. Mais une fois encore, malgré l’ampleur de la divulgation, aucune révélation décisive n’est venue éclaircir les zones d’ombre qui entourent le 22 novembre 1963. Pas de preuve formelle de complot, ni de confirmation des nombreuses théories qui gravitent depuis soixante ans autour de Dallas.
Et pourtant, dans le silence déçu laissé par ces milliers de pages, un détail subsiste – plus discret, mais infiniment plus touchant. John F. Kennedy avait pour habitude de déclamer à son épouse Jackie un poème d’Alan Seeger, jeune poète américain mort au front en 1916 : I Have a Rendezvous with Death. Selon la légende, ce texte sombre et magnifique, évoquant la promesse d’une rencontre inévitable avec la mort, aurait été retrouvé sur lui, plié dans une poche, le jour de l’attentat. Mais à ce jour, aucune archive ni témoignage formel ne vient étayer cette affirmation. Dans cette fidélité à un poème, dans ces vers récités à voix haute, s’esquisse néanmoins une vérité plus intime que toutes les archives : celle d’un homme lucide, habité par l’idée de sa propre fin.
Un poète avant les autres
Alan Seeger naît à New York en 1888, dans une maison donnant sur la statue de la Liberté. Poète exalté, romantique jusque dans ses décisions les plus radicales, il quitte les États-Unis pour Paris dès 1912, bien avant que la capitale française ne devienne un cliché d’écrivain expatrié. Il a la foi de ceux qui croient encore que la littérature peut éclairer l’histoire.
En 1914, lorsque la guerre éclate, Seeger s’engage dans la Légion étrangère française. Il se bat non pas pour son pays, mais pour une idée. Il meurt en 1916 lors de la bataille de la Somme, à Belloy-en-Santerre, à 28 ans. Il laisse derrière lui un recueil posthume, Poems (1917), et une correspondance bouleversante, notamment avec sa mère.
Seeger avait ce talent rare : voir la beauté dans la tragédie, écrire la tendresse au milieu du carnage. Son style, élégant, mélancolique, porté par une musique intérieure très classique, n’avait rien de moderniste. Il s’inscrit plutôt dans la lignée des grands lyriques anglo-saxons du XIXe siècle.
« I Have a Rendezvous with Death » : le texte d’un destin
C’est en 1916, cinq mois avant sa mort, qu’Alan Seeger écrit son poème le plus célèbre : I Have a Rendezvous with Death. Il y évoque un rendez-vous fatal, dans une ville en flammes, à l’heure du printemps. Il y parle de fidélité, de promesse tenue, d’acceptation presque douce d’un destin inévitable.
J'ai un Rendezvous avec la Mort
À quelque barricade disputée,
Quand le Printemps retournera à l'ombre froissant
Et des pommes en fleur remplissent l'air-
J'ai un rendez-vous avec la Mort
Quand le printemps rapportera des beaux jours bleus.
Il se peut qu'elle me prenne la main
Pour me mener à son pays noir
Et me fermer les yeux et m'étouffer la respiration-
Il se peut que je la passe encore.
J'ai un rendez-vous avec la Mort
Sur quelque flanc défiguré d'une colline battue,
Quand le Printemps retournera encore cette année
Et les premières fleurs du pré apparaitront.
Dieu sait qu'il vaut mieux être couché profondément
Sur un oreiller de soie, parfumé,
Ou l'amour vibre dans le sommeil délicieux,
Le pouls près du pouls, et le souffle au souffle,
Ou des réveils silencieux sont chers...
Mais j'ai un rendez-vous avec la Mort
A minuit a quelque villes en flammes
Quand le Printemps voyagera au nord encore cette année,
Et moi, je suis fidèle a ma promesse,
Je ne manquerai pas ce rendez-vous.
Have a Rendezvous with Death – Traduction du poème d’Alan Seeger (1888-1916)
John F. Kennedy, selon de nombreux témoignages, affectionnait particulièrement ce poème. Il le récitait à sa femme, Jackie, parfois à voix haute, dans l’intimité. Il y voyait sans doute un miroir de sa propre condition, lui qui avait survécu de peu à la guerre, qui vivait avec une santé fragile, dissimulée sous une image publique construite sur la vitalité.
L’héritage silencieux d’un poème
À l’heure où l’image de Kennedy s’effrite, que l’on redécouvre l’homme sous médication, le stratège aux zones d’ombre, le politicien plus complexe que les mythes, cette trace poétique résonne avec une justesse intacte. Elle humanise.
Le poème de Seeger ne dit rien de la CIA, de la mafia ou des archives classées secret défense. Mais il nous dit tout de la fragilité d’un homme dans l’œil du cyclone. Il rappelle que, dans les derniers instants d’une vie, il n’y a parfois que quelques vers à dire — et qu’ils peuvent être d’une vérité bien plus puissante que toutes les enquêtes.
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